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21/03/2024

AIDE A MOURIR OU SOINS PALLIATIFS ? LES DEUX

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Publié le 

Il était temps. Après un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), puis une conférence citoyenne organisée par le Conseil économique social et environnemental (Cese) et dont les conclusions ont été remises il y a presqu’un an, Emmanuel Macron s’est enfin décidé à honorer une promesse de campagne de 2022 en proposant de légiférer sur l’aide à mourir. Bien sûr, on ne peut s’empêcher de penser que c’est le souci de redonner, à défaut d’une dimension sociale, une dimension sociétale à son quinquennat qui l’a conduit à passer outre les messages d’opposition réitérés qui lui ont été adressés par l’Église catholique, y compris, au plus haut niveau, par un pape qui a, lors de son déplacement à Marseille en 2023, dénoncé la « perspective faussement digne d’une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer ».

Pourtant, on a rarement vu une préparation éthique et démocratique aussi approfondie. Avant ces travaux, beaucoup pensaient que l’équilibre atteint par la loi Claeys-Leonetti de 2016 suffisait. Il repose, sous réserve des directives anticipées du patient, sur le principe de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Le problème, c’est que, comme l’ont montré les travaux tant du CCNE que de la convention citoyenne, cet équilibre laisse de côté tout une série de situations. C’était le cas de celle de Paulette ­Guinchard-Kunstler, ancienne secrétaire d’État aux Personnes âgées, qui n’était pas particulièrement favorable au « droit à mourir », mais qui, atteinte d’une maladie neurologique, a choisi de recourir au suicide assisté en Suisse, faute de pouvoir bénéficier en France d’un dispositif légal. C’est ce type de situation que vise la nouvelle loi. Des situations où le processus létal n’est pas suffisamment engagé pour qu’il puisse être accéléré, mais qui conduisent à une forme de mort psychologique et sociale. Cette vie biologique végétative et souffrante est-elle encore une vie humaine ? C’est la question que devraient se poser tous ceux qui crient à la rupture anthropo­logique. S’il y a rupture, ce n’est pas là, mais dans la mort elle-même, qui est de moins en moins souvent un passage immédiat de la vie à la non-vie.

Attention toutefois, l’arbre de l’aide à mourir ne doit pas cacher la forêt du problème de société majeur que génère cette évolution. Les opposants à la légalisation ont pointé un risque de dérive : la substitution du recours à l’aide à mourir, beaucoup moins coûteuse, aux soins palliatifs. Un risque probablement surestimé : on voit mal les soignants éliminer les personnes en fin de vie pour faire faire des économies à l’assurance maladie. Mais le vrai problème n’est pas là : le droit à mourir dans des conditions humaines n’était accessible en 2022 qu’à un de nos concitoyens sur deux : le développement des lits de soins palliatifs stagne depuis 2019, alors que leur existence est une condition de l’application de la loi Claeys-­Leonetti. Bien sûr, ce ne sont pas les déclarations qui ont manqué, mais la politique de rationnement que recouvre l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), qui est la principale cause de la crise du système de santé, n’a pas permis de dégager les marges de manœuvre nécessaires pour investir dans ces soins.

Pour rassurer, l’exécutif a prévu que la loi inclue un volet sur les soins palliatifs, dont le principal enjeu serait, semble-t-il, de changer leur nom. Mais il n’est pas besoin de légiférer, ni a fortiori de changer leur nom, pour développer les soins palliatifs. C’est d’abord une question de moyens pour former les soignants, pour créer de nouvelles unités, pour en financer le fonctionnement. Aujourd’hui la dépense annuelle qui leur est consacrée est de 1,6 milliard d’euros, auxquels la « stratégie décennale » qui devrait être présentée à la fin du mois de mars a prévu d’ajouter un milliard d’ici dix ans. On voit bien que cela ne doublera pas l’offre face à un besoin qui va continuer d’augmenter du fait du vieillissement de la population. Surtout, cela suppose une augmentation annuelle de plus de 6 % de l’enveloppe consacrée à ces soins – soit le double du taux de croissance de l’Ondam prévu pour 2024 – qu’il faudra voter chaque année, dans un contexte où le ministre de l’Économie annonce la nécessité d’économies supplémentaires sur l’assurance maladie. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas gagné.

Daniel Lenoir