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19/09/2024

FRANCOIS LA TÊTE EN L'AIR

                       Publié le 

Photo : Mario Duran-Ortiz (CC BY-SA 2.0)

Photo :  (CC BY-SA 2.0)

Est-il raisonnable de laisser le pape s’exprimer en toute liberté dans les avions qui le ramènent de ses voyages ? François apprécie, tout autant que les journalistes qui l’accompagnent, ce format d’échanges, mais il y est coutumier de sorties fort peu contrôlées… La question se pose après les propos qu’il a tenus lors de son retour du long périple qui l’a conduit jusqu’en Papouasie et à Singapour.

Interrogé sur l’abbé Pierre, il répond avec une sorte de désinvolture lassée que, sans doute, le Vatican savait depuis au moins la mort du fondateur d’Emmaüs, et qu’il ne lui est « pas venu à l’esprit » de tenter d’en savoir plus. Il ajoute que l’homme était un grand pécheur, preuve s’il en fallait encore que, dans l’esprit du pape, la distinction entre le péché – contre la chasteté – et l’acte sexuel accompagné de violences n’est pas totalement claire. En effet, ce qui est reproché à l’abbé Pierre n’est pas son goût pour les femmes mais la prédation sexuelle compulsive constatée dès les années 1950 et que rien n’a stoppée, de sorte que l’impunité effective dont il a bénéficié l’a porté à s’attaquer à des personnes vulnérables et à des mineures – la plus jeune des victimes connues avait moins de dix ans.

Faut-il rappeler que le pape François n’a reçu ni Jean-Marc Sauvé ni aucun autre responsable de la Ciase et a laissé son proche entourage exprimer des doutes quant à la fiabilité des chiffres de son rapport final ? Ce dont le pape ne veut pas entendre parler, c’est ce que dénonce ce rapport, le caractère systémique des abus et de leur dissimulation, car le « système » n’est rien d’autre que le cœur même du catholicisme, le pouvoir exclusif et sacré des clercs, tous mâles et célibataires. Il faudra pourtant bien un jour regarder la réalité en face.

Mais, dans cet avion, François n’en est pas resté là et, interrogé sur les deux candidats à l’élection présidentielle américaine, il a tranquillement renvoyé dos à dos Trump et Harris, résumant l’actuelle vice-présidente à son engagement en faveur du droit à l’avortement, qu’il synthétise en un caricatural « tuer des enfants ». À Trump, il reproche ses propos antimigrants. On cherche en vain dans ses paroles la moindre nuance entre une femme engagée pour les droits et la justice et un menteur effronté. Il est temps que le pape remette les pieds sur terre.

Christine Pedotti     

 

31/08/2024

SEPTEMBRE UN MOISPOUR LA CREATION

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Le 1er septembre s’ouvre jusqu’au 4 octobre pour l’Église un Temps pour la Création. Le père Arnaud Alibert nous y introduit par une relecture d’un passage-clé de l’encyclique du pape François, Laudato Si’.

  • Arnaud Alibert , Lecture en 2 min.
Septembre, un mois pour la Création

Du dimanche 1er septembre au vendredi 4 octobre 2024, fête de saint François, nous sommes appelés à placer notre existence sous le signe de la Création. Envisager le monde où nous sommes comme un bien précieux. Ne plus dire ce monde dans lequel nous vivons, mais ce monde duquel nous tirons les moyens de notre existence. Dire ensuite un immense merci au monde et à son divin Créateur et, dans l’élan de cette gratitude, nous mobiliser pour lui assurer un avenir. Telle est la feuille de route, autant intellectuelle que spirituelle, dont le sens se retrouve dans son encyclique source, Laudato Si’, de 2015. Je vous propose de relire le paragraphe 13, pas à pas.

« Le défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral, car nous savons que les choses peuvent changer. » Il n’y a aucun défaitisme à se pencher avec sérieux et réalisme sur l’état de notre maison commune. Nous sommes une grande famille humaine, largement capable de relever le défi.

« Le Créateur ne nous abandonne pas, jamais il ne fait marche arrière dans son projet d’amour, il ne se repent pas de nous avoir créés. » Pour qui en douterait, cet engagement écologique de notre existence a une dimension spirituelle qui en fait un rendez-vous personnel possible avec Dieu.

« L’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune, poursuit le pape. Je souhaite saluer, encourager et remercier tous ceux qui, dans les secteurs les plus variés de l’activité humaine, travaillent pour assurer la sauvegarde de la maison que nous partageons. Ceux qui luttent avec vigueur pour affronter les conséquences dramatiques de la dégradation de l’environnement sur la vie des plus pauvres dans le monde, méritent une gratitude spéciale. » Ici se laisse entrevoir combien action et contemplation sont liées. Les mains de l’homme sont disposées autant pour empoigner les outils du travail que pour se joindre en une prière.

« Les jeunes nous réclament un changement. Ils se demandent comment il est possible de prétendre construire un avenir meilleur sans penser à la crise de l’environnement et aux souffrances des exclus. J’adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète. » À l’échelle du monde, l’aventure de l’humanité est récente. Tout être humain est jeune et en quête d’avenir. L’engagement écologique n’a donc aucune raison d’être une ligne de fracture entre les générations.

« Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous. » Le mot qui doit barrer l’horizon de nos actions est dit : Conversion. Une conversion à l’ambition élargie : au-delà de nous-mêmes, elle participe du salut de tous.

Nous avons un mois pour en prendre conscience.

30/08/2024

COMMUNAUTE MISSION DE FRANCE - ORDINATION

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21/08/2024

DE L'ALLEMAGNE A CALAIS, RECITS TRAGIQUES DE MIGRANTS EN QUÊTE DE LIBERTE

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Reportage 

Depuis le début de l’année, 25 personnes ont perdu la vie en tentant de traverser la Manche. Un record macabre, qui dépasse largement le bilan de 2023, établi à 12 décès. Derrière ces chiffres se cache l’histoire de familles, souvent passées par l’Allemagne, qui ont traversé l’enfer dans l’espoir de trouver la liberté.

Aylin Ho,  

De l’Allemagne à Calais, récits tragiques de migrants en quête de liberté

Dans les rues de Calais, dans la chaleur du mois d’août, migrants et vacanciers se croisent. Les uns se procurent des gilets de sauvetage dans des boutiques de plage, les autres savourent l’air marin de la côte. À quelques pas de la mer, tous les jours, une file se forme devant les grilles de l’accueil de jour du Secours catholique. Ce local est le seul endroit de la ville où les réfugiés peuvent se reposer quelques heures et s’approvisionner en eau, avant d’errer jusqu’au prochain départ en mer.

Malgré les efforts déployés, le nombre de personnes qui tentent de traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre ne cesse d’augmenter. En 2023, Londres et Paris s’accordent pour déployer 541 millions d’euros sur trois ans, pour freiner l’immigration illégale. 500 agents supplémentaires sont mobilisés sur les plages françaises. Des drones survolent les côtes pour anticiper les départs. Pourtant, « il n’y a jamais eu autant de personnes qui ont réussi à atteindre l’Angleterre », relate Flore Judet, de l’association L’Auberge des migrants. Dimanche 11 août, onze bateaux ont entrepris la dangereuse traversée, avec à leur bord plus de 700 migrants, un record.

Mais les tentatives ne réussissent pas toutes, et les morts s’accumulent dans la Manche. Deux personnes sont mortes dimanche matin, ce qui porte à neuf le nombre de migrants qui ont perdu la vie lors de ces traversées en l’espace d’un mois, et à 25 décès depuis janvier 2024, contre 12 sur l’ensemble de l’année dernière. « Par peur que la gendarmerie maritime ne perce les bateaux, les réfugiés s’entassent sur des embarcations incapables d’accueillir autant de gens », précise Angèle Vettorello, coordinatrice de l’association Utopia 56, à Calais. Certains ne meurent pas non plus de noyade en mer mais d’asphyxie sur les bateaux.

« Presque 20 personnes nous écrasaient, ma sœur et moi »

Dans la nuit du 27 au 28 juillet, Dina Al Shamari est morte, à 21 ans, étouffée dans une embarcation pneumatique. « Avant de monter à bord, elle a retiré sa chaîne, avec la lettre D en pendentif, et l’a donnée à sa mère. Comme un signe prémonitoire », raconte Mariam Guerey, salariée du Secours catholique de Calais. La sœur de Dina, Nour, 19 ans, a assisté à la scène : « Presque 20 personnes nous écrasaient, ma sœur et moi. Nous avons demandé à descendre, mais on ne nous a pas laissées faire. » Un homme a sorti un couteau pour faire taire les hurlements de la jeune femme et inciter le groupe à prendre le large.

Dina, ses parents, ses sœurs, son frère et son cousin avaient déjà tenté la traversée cinq fois avant le drame. La famille Al Shamari, persécutée au Koweït en raison de son appartenance à la minorité bidoune, qui lui interdit d’obtenir des papiers officiels, de trouver un emploi ou d’accéder au système de santé, est arrivée à Calais après un périple à travers l’Europe. Avant, elle s’était installée en Allemagne, pendant quatre ans.

Un passage par l’Allemagne

« Dina était très douée pour les études et a obtenu un diplôme dans le domaine dentaire », raconte Mariam Guerey. Pourtant, la demande d’asile de la famille est déboutée. De nouveau apatride, elle se met en route pour Calais, afin de rejoindre l’Angleterre. Objectif qu’elle conserve aujourd’hui, malgré la disparition de Dina.

Depuis quatre ans, les associations observent une augmentation du nombre de familles qui arrivent d’Allemagne. « Certains enfants y sont nés, parlent la langue et y ont été scolarisés. Ils entamaient enfin une intégration après des mois d’errance et se retrouvent à tout recommencer », observe Alexia Douane, coordinatrice juridique et sociale du Refugee Women’s Centre.

Fuir le pays, pour ne pas mourir

C’est le cas d’Issam (le prénom a été modifié), 24 ans, et Sarah (le prénom a été modifié), 29 ans. Assis sur un banc de l’espace réservé aux familles exilées de l’accueil de jour du Secours catholique, le jeune couple attend une distribution de couches. Leur fils de 1 an se balade dans la cour parsemée de peluches. Lorsque Issam porte une cigarette à ses lèvres se distingue une phrase en arabe, tatouée sur son avant-bras en hommage à sa mère. Le jeune homme, né en Syrie en 1999, décide à 16 ans, avec sa mère, de fuir le pays, pour ne pas mourir. Arrivée au Liban, la famille embarque dans un bateau de fortune pour rejoindre la Grèce. Une funeste traversée. Issam verra sa mère mourir, noyée dans la mer Méditerranée.

Il continue sa route à travers l’Europe. En Serbie, il est hébergé par une famille pendant deux ans et tombe amoureux de Sarah, la fille du couple. Avec son statut d’immigré illégal, Issam ne peut pas s’éterniser en Serbie. Elle décide de l’accompagner dans son périple. Le couple rejoint l’Allemagne en 2023, où Sarah donne naissance à leur garçon.

Au bout d’un an et six mois sur place, la demande d’asile d’Issam est acceptée, mais pas celle de Sarah. En 2023, sur 2 300 demandes d’asile de réfugiés serbes, seules cinq ont été acceptées par l’Allemagne. « On a voulu me retirer mon fils et le placer en famille d’accueil », lance la mère. Il y a trois semaines, par peur d’être séparée, la famille fait ses bagages pour Calais. Son but est de rejoindre l’Angleterre, par la mer. Tenter une traversée, malgré celle qui a coûté la vie à la mère d’Issam.

Une naissance miraculeuse

Lundi 11 juillet, ils sont parvenus à monter sur un small boat, canot pneumatique utilisé par les migrants pour traverser les 60 kilomètres qui les séparent de l’Eldorado britannique. Le trajet a été annulé lorsqu’une femme a accouché à bord.

Le même jour, une autre naissance a eu lieu, dans un camp de migrants. « Depuis que ma fille a vu sa mère accoucher en pleine forêt, ensanglantée, elle fait des cauchemars toutes les nuits », décrit, les larmes aux yeux, Hamid Hagizadeh, 39 ans. Sa femme Fatima Norooziyan, 28 ans, a donné naissance à son fils, à même le sol. Miraculeusement, le bébé et sa mère sont sains et saufs.

Avant de se retrouver dans ce cauchemar, Fatima et Hamid vivaient en Iran. Issus de la minorité religieuse bahaïe, persécutés dans leur pays d’origine, ils craignent des représailles. Ils traversent l’Europe et atteignent le sud de l’Allemagne, où ils vivent pendant deux ans. Hamid travaille dans un salon de coiffure pendant plusieurs mois mais Fatima, seule à la maison, peine à s’occuper de leur fille. Elle souffre du dos, en raison d’une broche située le long de sa colonne vertébrale.

L’Office fédéral des migrations considère que leur vie n’est pas en danger dans leur pays d’origine, et leur demande d’asile est refusée, même après recours. Une situation qui risque de se multiplier depuis que l’Allemagne durcit ses lois en matière d’immigration (lire les repères ci-dessous). Dans une chambre de l’hôpital de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), Fatima donne le sein à son nouveau-né. Sa fille de 1 an et demi, Atrisa, dort, allongée sur le lit. Épuisé et traumatisé, le couple espère désormais pouvoir rester en France pour éviter la mortelle traversée.

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Des tentatives de traversée toujours plus nombreuses

Depuis le début de l’année 2024, 18 574 personnes sont parvenues à atteindre l’Angleterre depuis les côtes du nord de la France, selon un décompte de l’AFP. L’année dernière, 36 000 migrants avaient traversé la Manche.

L’été, les tentatives de traversée sur des bateaux de fortune sont particulièrement nombreuses, et les drames se multiplient. Au moins neuf personnes sont mortes en l’espace d’un mois, portant le bilan à 25 décès depuis le début de l’année.

Pour déjouer les contrôles policiers, les passeurs commencent la traversée de plus en plus loin du littoral, parfois dès les rivières. En mars, une fillette de 7 ans s’était noyée dans le canal de l’Aa, à Watten (Nord).

 

16/08/2024

APRES LE J.O. OU SONT PASSES LES SANS ABRIS PARISIENS

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Analyse 

Si chacun s’accorde à dire que le nombre de sans-abri dans les rues de Paris a beaucoup diminué à l’approche des Jeux olympiques, associations et préfecture divergent fortement sur le nombre de personnes mises à l’abri.

  • Nathalie Birchem,  

Après les JO, où sont passés les sans-abri parisiens ?

Mais où sont les SDF parisiens ? Alors qu’en janvier 2024, la Nuit de la solidarité parisienne dénombrait 3 462 personnes à la rue, tentes installées sur le macadam et silhouettes allongées au sol ont quasiment disparu de la capitale dans les semaines précédant les Jeux olympiques et paralympiques. Une concomitance qui ne doit rien au hasard, selon le Revers de la médaille, collectif d’acteurs de terrain qui estime, dans un rapport paru en juin, qu’un « nettoyage social » a eu lieu pour avoir une capitale plus présentable à l’approche des JO.

Selon ce collectif, 138 expulsions de bidonvilles, regroupements de tentes et squats ont été réalisées par les autorités durant la période allant d’avril 2023 à mai 2024, contre 122 durant la même période en 2022-2023, et 121 l’année précédente. Ces expulsions ont concerné 12 545 personnes, soit une 

augmentation de 38,5 % par rapport à la période 2021-2022, affirme le rapport. De plus, un communiqué du 4 août fait état de 42 nouvelles expulsions en mai, juin et juillet 2024, concernant 2 572 personnes, dont 1 043 en juillet, ce qui marque une forte intensification à l’approche de la cérémonie d’ouverture. Au total, ce sont donc près de 15 000 sans-domicile qui auraient été délogés dans les quinze mois précédant les JO, selon le Revers de la médaille.

Des chiffres non comparables

« Nous démentons à la fois le terme de nettoyage social et les chiffres du collectif, dont on ne comprend pas du tout comment ils ont été calculés, répond Christophe Noël du Payrat, directeur de cabinet du préfet d’Île-de-France. Nous procédons depuis plusieurs années à des opérations de mise à l’abri, indépendamment des JO. Sur 2023, 6 643 personnes ont ainsi été prises en charge, soit quasiment autant qu’en 2022 et qu’en 2021. En 2024, 1 728 personnes l’ont déjà été. » Un chiffre très différent de celui du Revers de la Médaille. Et pas seulement parce qu’il concerne un intervalle de temps non comparable mais aussi parce que le recensement préfectoral se base sur les opérations d’évacuations assorties de mises à l’abri, quand celui du collectif s’appuie sur des observations de terrain de toute forme d’expulsion de lieux de vie informels.

Toutefois, la préfecture reconnaît une intensification des évacuations avant les JO. « Nous assumons d’avoir augmenté le nombre de mises à l’abri, qui est passé de 35 pour tout 2023 à 39 rien que pour ce début de 2024. » Mais pas pour des raisons de nettoyage social : « Cela s’explique par deux évolutions dans nos méthodes de travail. Alors qu’avant, on faisait des opérations uniquement quand on avait des grands campements de 1 500 à 2000 personnes, désormais, on fait des mini mises à l’abri chaque semaine. De plus, nous allons aussi maintenant dans les accueils de jour pour proposer aussi des hébergements. Ce sont deux évolutions positives, il me semble. » Au total, selon la préfecture, 3 215 personnes ont été mises à l’abri depuis début 2024, dont 1 728 à l’issue des 39 mises à l’abri de l’année.

Une minorité hébergée, un avenir incertain

15000 depuis quinze mois ou 3 215 depuis sept mois… quel que soit leur nombre, où sont allées ces personnes ?

D’abord, 216 grands marginaux, qui vivaient, souvent depuis plusieurs années, à proximité des sites olympiques se sont vus proposer des hébergements pérennes. Un chiffre que ne conteste pas le Revers de la Médaille. « On a aussi ouvert quelques places pour des usagers de drogue, ce qui en tout monte le nombre de personnes en errance depuis de nombreuses années prises en charge durablement à 256 », précise la préfecture.

Mais pour le reste des délogés, « seule une petite minorité a été hébergée, estime Antoine de Clerck, coordinateur du Revers de la Médaille. Au départ, la seule proposition qui a été faite à l’issue des évacuations a été d’aller dans un des dix sas régionaux créés depuis 2023 en province. 5 630 ont accepté. Mais beaucoup ont refusé car c’est à Paris qu’ils ont leur travail, l’école de leurs enfants, leur réseau d’entraide. » Toutefois, précise-t-il, « en juillet, il s’est passé quelque chose de différent car l’État a hébergé près de 1 000 personnes dans des « sites tampons temporaires », ouverts en Île-de-France en vidant des centres d’accueil et examen de situations administratives » (Caes).

Combien sont encore hébergés à l’heure actuelle ? Côté Revers de la médaille, on est pessimiste. « Sur les 6 530 personnes parties en sas régionaux, on estime que 40 % sont des demandeurs d’asile et ont été envoyés dans des centres dédiés, explique Antoine de Clerck. Mais le reste des personnes envoyées en province n’a été pris en charge que trois semaines en moyenne avant d’être invitées à appeler le 115, qui est le plus souvent déjà saturé. Beaucoup reviennent donc ensuite sur l’Île-de-France. À Bordeaux, on avait estimé que c’était le cas pour 15 % des gens. » Et il est craint un retour à la rue aussi pour ceux qui ont été hébergés en juillet dans des sites franciliens car « le contrat ne prévoit que 30 jours d’hébergement », selon Antoine de Clerck.

La préfecture, elle, estime que sur les 3 215 personnes évacuées depuis janvier 2024, 1 707 ont été orientés dans un sas régional et le reste, sont allés dans les CAES d’Île-de-France. À l’issue de ces hébergements, « on n’a pas de fichier pour savoir ce que les personnes deviennent une par une, assure Christophe Noël du Payrat. 35 % des personnes en sas vont dans un centre pour demandeur d’asile et le reste est orienté vers de l’hébergement d’urgence, qui n’est pas toujours synonyme de courte durée, loin de là, notamment pour les familles. »

Enfin, suite à l’évacuation sans proposition d’hébergement de plusieurs campements de jeunes migrants à la rue car non reconnus comme mineurs pal’Aide sociale à l’enfance, la mairie de Paris a ouvert plusieurs gymnases, comme elle l’avait fait durant la trêve hivernale. Au total, « on a 800 jeunes en gymnases à Paris mais que vont-ils devenir à la rentrée quand la mairie va avoir besoin de les reprendre ? », interroge Antoine de Clerck.

05/08/2024

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24/07/2024

QUAND L'EGLISE CATHOLIQUE INVESTIT LE SPORT

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19/07/20D24/

À l’occasion des Jeux olympiques , l’Église catholique exprime un intérêt renouvelé pour le sport. Une attention qui remonte au XIXe siècle, époque de l’avènement du sport moderne, explique l’historien Yvon Tranvouez.

Comment percevez-vous le fort investissement de l’Église catholique dans les Jeux olympiques, avec les Holy Games et l’organisation en janvier d’un colloque intitulé Sport et spiritualité au Collège des Bernardins ?

Yvon Tranvouez : Cela me paraît assez typique d’un intérêt renouvelé de l’Église pour le sport, avec, par exemple, le retour depuis quinze ou vingt ans des patronages, associé à l’idée que l’on peut avoir une action à travers les activités physiques et sportives, dans les banlieues notamment. Que l’Église essaie de tirer parti de la conjoncture olympique ne m’étonne pas outre mesure.

Vous avez consacré un ouvrage récent au père Henri Didon (1840-1900), dominicain et promoteur du sport moderne. Quel rôle a-t-il joué dans la création des Jeux olympiques ?

Un petit rôle et un grand rôle. L’essentiel de ce que l’on retient, c’est qu’il a inventé la formule « Citius, Altius, Fortius » – « Plus vite, plus haut, plus fort » –, qui est devenue la devise des Jeux olympiques. Il ne l’a pas inventée pour les Jeux olympiques mais pour l’association sportive qu’il a créée dans son collège en 1891, à la demande de Pierre de Coubertin, qui voulait développer les compétitions entre établissements publics et catholiques. Les catholiques avaient plutôt tendance à refuser, la République apparaissant comme un régime anticlérical. Le père Didon, qui était depuis longtemps un libéral, un républicain et un démocrate, a accepté. En 1894, quand le mouvement olympique est né au Congrès de la Sorbonne, Coubertin a repris la formule de Didon.

Si Didon n’est pas présent au Congrès de la Sorbonne, que l’on considère après-coup comme fondateur, on le trouve aux premiers Jeux olympiques, à Athènes, en 1896, où il a tenu à se rendre avec une délégation d’élèves de son collège. Il y prononce un sermon dans la cathédrale d’Athènes, la veille de l’ouverture. Il salue la renaissance des Jeux, qui avaient été interdits par l’empereur chrétien Théodose en 393 comme l’exemple même du paganisme. Le père Didon dit qu’il retrouve en même temps saint Paul et la force grecque. L’année suivante, lors de la deuxième édition des Jeux olympiques, il est quasiment l’orateur vedette, le plus applaudi : Coubertin lui avait demandé de dégager la portée morale et éducative des Jeux olympiques. Coubertin et Didon restent très amis, alors même que le premier va rompre avec l’Église très rapidement. Didon meurt en 1900, trop tôt pour avoir pu faire en faire plus. Mais il a eu ce coup de génie d’une formule capable de fédérer les participants de tous les sports autour du dépassement de soi dans la compétition. Ce n’est pas un théoricien, c’est un homme de formules, un prédicateur qui avait le don de synthétiser l’air du temps.

Quelle place les patronages catholiques ont-ils occupée dans le développement du sport ?

Il faut distinguer deux univers très différents. Celui auquel participe le père Didon, celui des collèges pour l’élite. Didon n’est pas le seul, il ne fait que prendre la suite de ce qu’ont fait les dominicains – les jésuites sont plus réservés par rapport au sport. L’autre monde est celui des patronages, nés à la fin du Second Empire à destination des ouvriers, afin de les occuper. « Ici on joue, ici on prie » est la formule des patronages. À la fin du XIXe siècle, on passe au sport, on a envie de se confronter à d’autres. En 1898 est créée la Fédération des sociétés catholiques de gymnastique. Il y a aussi la fédération laïque, la fédération ouvrière. On est dans une pratique affinitaire du sport : chacun joue dans son couloir idéologique, il y a une sorte d’entre-soi, alors que, pour le père Didon, l’important, c’est de jouer avec les autres, dans un esprit de ralliement à la République – ce qu’on lui a reproché. En tout cas, ces patronages se répandent, d’abord en ville, puis rapidement dans les paroisses rurales, ce qui va beaucoup favoriser le développement du sport, d’abord de disciplines comme le football, puis, dans l’entre-deux-guerres, du basket-ball, sport très « catholique », qui demande un plus petit espace.

Faut-il y voir une volonté du catholicisme de ralentir sa perte d’influence dans la société ?

Oui, certainement. Il y a cette idée de garder les classes populaires qui pourraient échapper à l’emprise de l’Église. C’est vrai en France, c’est vrai en Angleterre avec les anglicans. Il y a une stratégie visant à lutter contre la déchristianisation des classes populaires et, également, du côté de l’élite, à lutter contre ce que l’on aperçoit déjà comme une sorte de dévirilisation du catholicisme : les hommes abandonnent la religion, qui n’est plus qu’un peuple de femmes, donc on doit faire en sorte de les faire revenir dans le giron.

L’Église identifie-t-elle des convergences avec certaines valeurs véhiculées par le sport ?

Disons qu’il y a une attention portée à certaines valeurs à maintenir dans le sport. Sont-elles spécifiquement catholiques ? C’est tout le problème. Le père Didon insiste sur le refus de la tricherie, la nécessité de disqualifier celui qui triche dans le sport. Mais ce n’est pas forcément catholique, c’est une valeur morale qui lui paraît commune à tous les honnêtes gens. L’insistance sur la moralité dans le sport est bien sûr présente, mais les laïcs peuvent en dire autant.

Plus que les valeurs chrétiennes du sport, ce qui est marquant à la grande époque des patronages, c’est la façon dont le patronage catholique se distingue du patronage laïque. Marquer un but, c’est faire avancer la chrétienté. Dans le début du XXe siècle, c’est la France chrétienne qui s’affirme contre la France laïque. Les sportifs sont aussi des enseignes. Ce qui est très frappant, aujourd’hui, c’est de voir comment les religions continuent à vouloir valoriser les stars du sport qui affichent leur appartenance, tous ces sportifs qui entrent sur le terrain de football en faisant des signes religieux.

Avant Jean Paul II, dont l’image de sportif a marqué les esprits, d’autres papes ont mis en avant leur amour du sport. Est-ce que cela relève d’une stratégie de communication pour donner une image moderne de la papauté ?

Je crois que c’est surtout à partir de Pie XI (1922-1939) que l’on voit cet affichage. Il y a bien sûr une volonté de montrer sa modernité. Dans le discours, il y a toujours l’idée que le sport doit être propre, moral, qu’il ne doit pas y avoir de dopage, que le sport doit aussi élever l’âme. Il y a toute une réhabilitation du corps qui est très importante car on vient de loin. En Angleterre, tout le premier XIXe siècle est très puritain, la réhabilitation du corps arrive ensuite. Le corps n’est plus une chose épouvantable, il fait partie de la Création et de l’économie du salut. Dans le catholicisme, c’est le jansénisme qui dévalorisait le corps. François Mauriac décrivait l’atmosphère de méfiance vis-à-vis du corps dans laquelle il avait été élevé. Pour les milieux dont le père Didon a eu la charge dans la bonne société à la fin du XIXe siècle, il y a tous ceux qui disaient que faire du sport, c’était perdre son temps par rapport aux études. On oublie aujourd’hui combien Didon et Coubertin ont dû batailler contre un état d’esprit très négatif. Les premiers Jeux olympiques ont fait l’objet de peu de comptes rendus dans la presse.

Comment expliquer le déclin du sport et des patronages catholiques ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Je pense que les patronages ont largement été victimes de l’essor de l’Action catholique. À un moment donné, on a pensé qu’à force de faire des patronages par le sport, on faisait des sportifs mais que c’était fatal pour la religion. On s’est dit qu’il valait mieux christianiser les gens dans leur travail, ce qu’a voulu faire l’Action catholique spécialisée. Les patronages ont aussi été victimes du mouvement missionnaire et de la pastorale de l’enfouissement. Le retour des patronages était inévitable avec l’avènement de l’âge des loisirs, alors que l’Action catholique a correspondu à une époque où le travail était une valeur centrale.

Propos recueillis par Timothée de Rauglaudre.

Yvon Tranvouez est historien professeur émérite à l’Université de Bretagne-Occidentale. À lire : Plus vite, plus haut, plus fort, Les éditions du Cerf, 2024, 356 p., 29 €

19/07/2024

LE SPORT QUELLE HISTOIRE !

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Le sport, quelle histoire ! Par Christine Pedotti


En un peu plus d’un siècle, le sport a envahi nos sociétés et notre quotidien de façon si évidente que nous ne nous en rendons plus compte. Certes, la Grèce antique et Rome, son héritière, ont pratiqué des jeux sportifs, mais, ensuite, l’exercice du corps et sa mise en compétition subit un long effacement. Il n’est guère que les jeux de guerre qui subsistent, tournois, escrime, lutte. Pendant de longs siècles, on ne songe guère à se disputer une balle ou un ballon, à peine connaît-on le jeu de paume et la soule. Les corps sont exposés à la guerre, à la fatigue des travaux agricoles et de la première industrie. Qui songerait à courir, sauter, ou lever des poids pour le plaisir ?

Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que naisse le sport moderne et qu’il fasse la conquête du monde. Ses conséquences sont si massives qu’il est difficile de les cerner : libération des corps, et en particulier de celui des femmes, qui échappent au corset et aux contraintes, introduction du vêtement de sport dans l’habillement quotidien, nouveaux édifices dédiés aux disciplines sportives – piscines, immenses stades, courts de tennis, salles de sport… Les compétitions sportives et leurs résultats sportifs ont le plus souvent la première place dans l’information et les sportifs sont des stars planétaires. Des événements comme les Jeux olympiques, que la France organise cette année, deviennent des enjeux internationaux et des moments où se forgent les identités des peuples…

Le sport touche à tous les domaines, économiques, politiques, sociaux et culturels, il semble même parfois devenir un ersatz de religion.

                       Christine PEDOTTI 

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16/07/2024

MARIE-DERAIN : "ON NE PEUT PAS CONSIDERER QU'IL Y A DES VICTIMES ACCEPTABLES ET D'AUTRES INNACEPTABLES

La Croix logo/16/07/2024

Marie Derain : « On ne peut pas considérer qu’il y a des victimes acceptables et d’autres inacceptables »

Entretien

Marie Derain de Vaucresson Présidente de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation

L’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) a accordé 60 000 € de réparations financières à Jean-Yves Schmitt. Ce septuagénaire a été victime d’agressions sexuelles de la part d’un prêtre pendant son adolescence, avant d’être condamné, lui-même, à plusieurs reprises pour des actes pédocriminels. Marie Derain de Vaucresson, présidente de l’Inirr, revient sur cette décision.

  • Recueilli par Juliette Vienot de Vaublanc , l

La Croix : Comment avez-vous étudié la situation de Jean-Yves Schmitt, victime d’abus durant son adolescence, puis condamné pour des actes pédocriminels ?

Marie Derain de Vaucresson : Comme pour chaque personne victime, nous avons accueilli cet homme avec son récit, tel qu’il l’a rapporté. Un référent a identifié avec lui ce qu’il s’est passé, le contexte, et les conséquences que cela a pu avoir dans sa vie, en s’intéressant à différents critères : psychiques, somatiques, scolaires et professionnels, et dans ses relations, qu’elles soient familiales, conjugales ou amicales. Tout cela se déroule dans un laps de temps de trois à six mois, et s’accompagne d’une démarche de l’Inirr auprès du diocèse où se sont déroulés les faits, pour confirmer leur vraisemblance, savoir si l’agresseur est connu, si la victime s’est adressée au diocèse, et si des réponses ont déjà pu être apportées. Tout cela rentre en compte dans la fixation du montant des réparations.

Le fait que la personne en question se soit elle-même rendue coupable d’actes pédocriminels est-il entré en jeu, que ce soit favorablement ou défavorablement, dans la décision de lui verser 60 000 € de réparations ?

M. D. : À l’Inirr, nous sommes au côté des personnes victimes, dans une démarche de réparation et non d’indemnisation car cela signifierait que nous établissons un lien direct entre ce qui a été vécu et les conséquences que cela a eues. Or, ce n’est pas le cas. Pour Jean-Yves Schmitt, le fait qu’il ait été agresseur a eu une influence sur les discussions autour de sa situation, mais pas sur le montant des réparations financières qui lui ont été accordées. Pour aider au discernement, nous nous sommes concentrés sur le fait que c’était bien une personne victime qui s’adressait à nous, et que c’est cette dimension-là que nous devions prendre en compte.

Aviez-vous déjà connu ce genre de situation depuis la mise en place de l’Inirr ?

M. D. : Ce n’est pas la première fois que nous recevons la demande d’une personne victime devenue un agresseur. Sur 679 décisions prises par l’Inirr, ce cas s’est présenté à six reprises, même si les faits subis et infligés étaient moins graves. Mais, nous ne sélectionnons pas les personnes victimes. À partir du moment où les faits sont vraisemblables, nous ne pouvons pas considérer qu’il y a des personnes victimes acceptables et d’autres inacceptables.

« Il faut comprendre que tout vient du fait que j’ai été victime : si je ne l’avais pas été, je n’aurais pas été prédateur », a expliqué Jean-Yves Schmitt à l’AFP. L’Inirr est-elle parvenue aux mêmes conclusions ?

M. D. : Le lien de causalité exclusif établi par la victime entre le fait d’avoir été victime et celui d’être devenu agresseur n’est pas ajusté. Dans certains médias, son avocat – qui par ailleurs n’est pas intervenu dans la démarche de l’Inirr – parle aussi d’un « virus de la pédophilie » qui lui aurait été transmis, mais ce virus n’existe pas. Une vie peut se structurer à partir d’une agression subie, surtout pour un adolescent entrant dans la sexualité, dont les repères et le rapport au droit se trouvent bousculés. Mais toutes les personnes agressées ne deviennent pas des agresseurs et, si elles le deviennent, nous ne pouvons pas établir un lien de causalité exclusif avec les événements vécus précédemment. Entre les deux, il y a le libre arbitre. C’est le sens des conclusions de l’Inirr, qui ne remettent nullement en cause la part de responsabilité de la personne victime dans ce qu’elle a commis.

Ne craignez-vous pas que les réparations financières accordées à Jean-Yves Schmitt soient mal reçues par ses victimes ?

M. D. : Ce n’est pas un sentiment, c’est un constat. Cette décision peut être reçue difficilement par ses victimes et les autres personnes victimes, puisqu’elles font partie d’une communauté au sein de laquelle se trouve un agresseur. Le fait que l’avocat de Jean-Yves Schmitt ait instrumentalisé notre démarche, en le déplaçant du côté de la responsabilité de l’Église dans le parcours de son client, alors que notre réponse ne relève pas de ce registre, ne va sans doute pas arranger les choses. Ce cas ne va pas faciliter la compréhension de notre démarche par les autres personnes victimes, qui pourraient trouver notre décision injuste et se sentir fragilisées.

06/07/2024

TROP DE NOS CONCITOYENS MUSULMANS ...

LE MONDE des religions 05/07/2024 

TROP DE NOS CONCITOYENS MUSULMANS NE SAVENT PLUS S’ILS PEUVENT COMPTER SUR L’ESTIME D’UN PAYS DONT ILS CONTRIBUENT À FORGER LE DESTIN

Français et Musulmans

Jean-François Bour, prêtre et expert des relations avec l’islam à la Conférence des évêques de France, appelle, dans une tribune au « Monde », à « entendre l’inquiétude » des musulmans face à l’extrême droite. Il déplore, dans le débat actuel, « une tendance à tolérer sans sourciller le soupçon global qu’instillent les affirmations racistes ou simplistes ».

Citoyen et prêtre catholique qui tente de favoriser un paradigme d’estime et de coopération entre les religions plutôt qu’une logique de confrontation, je suis fils du concile Vatican II (1962-1965) qui a osé un regard d’estime sur les autres religions − à ne pas confondre avec la naïveté. Les évêques français se sont déjà exprimés mais, avec d’autres catholiques, je pense important de me joindre au débat collectif pour entrer en discussion, même avec mes frères ou mes amis séduits par l’extrême droite.

Je m’y risque car trop de nos concitoyens musulmans ne savent plus s’ils peuvent compter sur l’estime d’un pays dont ils contribuent à forger le destin. Dans le contexte électoral actuel, leur inquiétude doit être entendue.

« Les musulmans sont la France, eux aussi »

De fait, les lumières métaphysiques, littéraires ou artistiques des civilisations islamiques qui éblouirent tant d’orientalistes, ont laissé place, dans nos esprits, au dédain ou à des thèses réductrices. Voici l’islam désigné souvent comme l’ennemi juré d’une civilisation judéo-chrétienne qu’il a pourtant aidé à gravir les sommets. Certes, ceux qui devraient en rénover les usages et les doctrines le servent parfois bien mal. Les islamistes, prospérant sur le désarroi et la misère, ont su jouer de logiques binaires jusqu’à favoriser la violence vengeresse d’un millénarisme étroit, qui terrorise aussi les musulmans. Tout cela finit par diffuser une peur que d’aucuns s’emploient à utiliser politiquement.

Je ne viens pas, pour autant, pointer du doigt ceux qui ont exprimé, dans les urnes, une exaspération multiforme. Je ne souhaite pas analyser ici les raisons d’un vote RN. Elles sont diverses. Je me permets simplement d’interroger la tendance à tolérer sans sourciller le soupçon global qu’instillent les affirmations racistes ou juste simplistes.

Je me contente d’un constat simple qui part de l’anniversaire du débarquement allié que nous venons de commémorer : il donne à voir les libérateurs de l’Europe dans leur composante multi-ethnique et multireligieuse. La France put alors compter sur des milliers d’hommes issus des cultures musulmanes d’Afrique sub-saharienne et du Maghreb. Beaucoup sont morts pour la France comme déjà, avant eux, leurs ancêtres en 14-18. Qu’ils reposent en paix. La Grande Mosquée de Paris en est le digne mémorial et la gardienne de la mémoire de nombreux musulmans qui sauvèrent des juifs de la terreur nazie.

Mais je veux aussi, comme déjà dans mes vœux aux musulmans poul’Aïd-el-Kebir, prendre en compte mes compatriotes musulmans d’aujourd’hui. Ils sont binationaux mais pas toujours, pratiquants ou non, mariés à un conjoint musulman ou pas ; ils sont réfugiés, pauvres ou riches, peu ou très qualifiés, habités d’un sens civique profond ou insuffisant, clairs avec l’islamisme ou pas suffisamment, honnêtes ou délinquants, ouverts au dialogue interreligieux ou méfiants… Ils vivent les milles nuances d’une identité complexe.

Ils sont présents dans tous les métiers, arrivés récemment en France ou de quatrième génération : ce sont nos médecins, nos infirmières, nos ingénieurs, nos étudiants, nos aides à domicile… Ils ont leurs passions et leurs loisirs, comme tous les Français, et s’affrontent, comme chacun, à la fatigue du combat quotidien. Alors, gardons l’esprit clair : ils sont la France eux aussi. Ils font la France aujourd’hui. Dans bien des familles où se vit le brassage culturel, on ne parle d’ailleurs plus de personnes anonymes : il s’agit ici d’un gendre, là d’une belle-fille, de petits enfants, de cousins, de demi-frères et de demi-sœurs…

Le risque d’une « dérive revancharde »

Qu’on me permette de dire encore mon admiration pour ces responsables du culte musulman qui me confient leurs efforts pour éviter que l’atroce affrontement qui oppose Israéliens et Palestiniens n’échauffe les esprits ou ne sombre dans l’antisémitisme. On ne saurait, sans risquer une grave injustice, établir un lien nécessaire entre une culture ou une religion et l’insécurité, le terrorisme, l’antisémitisme ou la délinquance. Tout ceci exige des actions éducatives, sociales et judiciaires adaptées.

J’assume donc, en citoyen et en croyant, la reconnaissance de la dignité égale de chacun et un patriotisme imperméable au nationalisme, une identité d’autant plus forte qu’elle est capable de relations, d’échanges et de partage avec l’autre dans sa différence. Ma lecture des Ecritures bibliques, premier et nouveau Testament, m’incite autant à chercher la Vérité qu’à méditer la manière dont Dieu associe des « païens » et des « réprouvés », à l’accomplissement de son Salut. C’est pourquoi, il nous reste à affronter avec courage et surtout ensemble, les causes des détresses qui minent notre société. Personne ne sortira grandi d’une dérive revancharde qui autorise les passions tristes à traquer un bouc émissaire.

C’est d’un esprit citoyen rénové dont nous avons besoin, celui qu’a fondé, malgré ses excès, la Révolution française : elle a posé le socle d’une citoyenneté égalitaire où nul n’est réduit à ses origines, à ses opinions ou croyances. Elle a établi le cadre où chacun peut se mettre au service du bien de tous. Les communautés croyantes elles-mêmes ont le devoir de former à cette citoyenneté, avec la République, en amenant leurs adeptes à s’approprier leur religion d’une manière responsable et libre, sans craindre l’émancipation que protège notre contrat social.

Pour avancer, et alors qu’on nous accule à exprimer qui ou ce que nous rejetons, décidons de consolider d’abord les liens qui font la France aujourd’hui : dans les entreprises, les associations, le sport, le dialogue interreligieux, l’action éducative et humanitaire… Le monde est en feu et il est grand temps de nous associer les uns aux autres pour affronter la complexité des défis.

Jean-François Bourprêtre

Jean-François Bour est prêtre dominicain, expert du dialogue entre catholiques et musulmans à la Conférence des évêques de France et membre de l’Institut dominicain d’études orientales (IDEO), au Caire.

Le Monde 5 juillet 2024   Lien à la Source