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21/08/2024

DE L'ALLEMAGNE A CALAIS, RECITS TRAGIQUES DE MIGRANTS EN QUÊTE DE LIBERTE

La Croix logo

Reportage 

Depuis le début de l’année, 25 personnes ont perdu la vie en tentant de traverser la Manche. Un record macabre, qui dépasse largement le bilan de 2023, établi à 12 décès. Derrière ces chiffres se cache l’histoire de familles, souvent passées par l’Allemagne, qui ont traversé l’enfer dans l’espoir de trouver la liberté.

Aylin Ho,  

De l’Allemagne à Calais, récits tragiques de migrants en quête de liberté

Dans les rues de Calais, dans la chaleur du mois d’août, migrants et vacanciers se croisent. Les uns se procurent des gilets de sauvetage dans des boutiques de plage, les autres savourent l’air marin de la côte. À quelques pas de la mer, tous les jours, une file se forme devant les grilles de l’accueil de jour du Secours catholique. Ce local est le seul endroit de la ville où les réfugiés peuvent se reposer quelques heures et s’approvisionner en eau, avant d’errer jusqu’au prochain départ en mer.

Malgré les efforts déployés, le nombre de personnes qui tentent de traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre ne cesse d’augmenter. En 2023, Londres et Paris s’accordent pour déployer 541 millions d’euros sur trois ans, pour freiner l’immigration illégale. 500 agents supplémentaires sont mobilisés sur les plages françaises. Des drones survolent les côtes pour anticiper les départs. Pourtant, « il n’y a jamais eu autant de personnes qui ont réussi à atteindre l’Angleterre », relate Flore Judet, de l’association L’Auberge des migrants. Dimanche 11 août, onze bateaux ont entrepris la dangereuse traversée, avec à leur bord plus de 700 migrants, un record.

Mais les tentatives ne réussissent pas toutes, et les morts s’accumulent dans la Manche. Deux personnes sont mortes dimanche matin, ce qui porte à neuf le nombre de migrants qui ont perdu la vie lors de ces traversées en l’espace d’un mois, et à 25 décès depuis janvier 2024, contre 12 sur l’ensemble de l’année dernière. « Par peur que la gendarmerie maritime ne perce les bateaux, les réfugiés s’entassent sur des embarcations incapables d’accueillir autant de gens », précise Angèle Vettorello, coordinatrice de l’association Utopia 56, à Calais. Certains ne meurent pas non plus de noyade en mer mais d’asphyxie sur les bateaux.

« Presque 20 personnes nous écrasaient, ma sœur et moi »

Dans la nuit du 27 au 28 juillet, Dina Al Shamari est morte, à 21 ans, étouffée dans une embarcation pneumatique. « Avant de monter à bord, elle a retiré sa chaîne, avec la lettre D en pendentif, et l’a donnée à sa mère. Comme un signe prémonitoire », raconte Mariam Guerey, salariée du Secours catholique de Calais. La sœur de Dina, Nour, 19 ans, a assisté à la scène : « Presque 20 personnes nous écrasaient, ma sœur et moi. Nous avons demandé à descendre, mais on ne nous a pas laissées faire. » Un homme a sorti un couteau pour faire taire les hurlements de la jeune femme et inciter le groupe à prendre le large.

Dina, ses parents, ses sœurs, son frère et son cousin avaient déjà tenté la traversée cinq fois avant le drame. La famille Al Shamari, persécutée au Koweït en raison de son appartenance à la minorité bidoune, qui lui interdit d’obtenir des papiers officiels, de trouver un emploi ou d’accéder au système de santé, est arrivée à Calais après un périple à travers l’Europe. Avant, elle s’était installée en Allemagne, pendant quatre ans.

Un passage par l’Allemagne

« Dina était très douée pour les études et a obtenu un diplôme dans le domaine dentaire », raconte Mariam Guerey. Pourtant, la demande d’asile de la famille est déboutée. De nouveau apatride, elle se met en route pour Calais, afin de rejoindre l’Angleterre. Objectif qu’elle conserve aujourd’hui, malgré la disparition de Dina.

Depuis quatre ans, les associations observent une augmentation du nombre de familles qui arrivent d’Allemagne. « Certains enfants y sont nés, parlent la langue et y ont été scolarisés. Ils entamaient enfin une intégration après des mois d’errance et se retrouvent à tout recommencer », observe Alexia Douane, coordinatrice juridique et sociale du Refugee Women’s Centre.

Fuir le pays, pour ne pas mourir

C’est le cas d’Issam (le prénom a été modifié), 24 ans, et Sarah (le prénom a été modifié), 29 ans. Assis sur un banc de l’espace réservé aux familles exilées de l’accueil de jour du Secours catholique, le jeune couple attend une distribution de couches. Leur fils de 1 an se balade dans la cour parsemée de peluches. Lorsque Issam porte une cigarette à ses lèvres se distingue une phrase en arabe, tatouée sur son avant-bras en hommage à sa mère. Le jeune homme, né en Syrie en 1999, décide à 16 ans, avec sa mère, de fuir le pays, pour ne pas mourir. Arrivée au Liban, la famille embarque dans un bateau de fortune pour rejoindre la Grèce. Une funeste traversée. Issam verra sa mère mourir, noyée dans la mer Méditerranée.

Il continue sa route à travers l’Europe. En Serbie, il est hébergé par une famille pendant deux ans et tombe amoureux de Sarah, la fille du couple. Avec son statut d’immigré illégal, Issam ne peut pas s’éterniser en Serbie. Elle décide de l’accompagner dans son périple. Le couple rejoint l’Allemagne en 2023, où Sarah donne naissance à leur garçon.

Au bout d’un an et six mois sur place, la demande d’asile d’Issam est acceptée, mais pas celle de Sarah. En 2023, sur 2 300 demandes d’asile de réfugiés serbes, seules cinq ont été acceptées par l’Allemagne. « On a voulu me retirer mon fils et le placer en famille d’accueil », lance la mère. Il y a trois semaines, par peur d’être séparée, la famille fait ses bagages pour Calais. Son but est de rejoindre l’Angleterre, par la mer. Tenter une traversée, malgré celle qui a coûté la vie à la mère d’Issam.

Une naissance miraculeuse

Lundi 11 juillet, ils sont parvenus à monter sur un small boat, canot pneumatique utilisé par les migrants pour traverser les 60 kilomètres qui les séparent de l’Eldorado britannique. Le trajet a été annulé lorsqu’une femme a accouché à bord.

Le même jour, une autre naissance a eu lieu, dans un camp de migrants. « Depuis que ma fille a vu sa mère accoucher en pleine forêt, ensanglantée, elle fait des cauchemars toutes les nuits », décrit, les larmes aux yeux, Hamid Hagizadeh, 39 ans. Sa femme Fatima Norooziyan, 28 ans, a donné naissance à son fils, à même le sol. Miraculeusement, le bébé et sa mère sont sains et saufs.

Avant de se retrouver dans ce cauchemar, Fatima et Hamid vivaient en Iran. Issus de la minorité religieuse bahaïe, persécutés dans leur pays d’origine, ils craignent des représailles. Ils traversent l’Europe et atteignent le sud de l’Allemagne, où ils vivent pendant deux ans. Hamid travaille dans un salon de coiffure pendant plusieurs mois mais Fatima, seule à la maison, peine à s’occuper de leur fille. Elle souffre du dos, en raison d’une broche située le long de sa colonne vertébrale.

L’Office fédéral des migrations considère que leur vie n’est pas en danger dans leur pays d’origine, et leur demande d’asile est refusée, même après recours. Une situation qui risque de se multiplier depuis que l’Allemagne durcit ses lois en matière d’immigration (lire les repères ci-dessous). Dans une chambre de l’hôpital de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), Fatima donne le sein à son nouveau-né. Sa fille de 1 an et demi, Atrisa, dort, allongée sur le lit. Épuisé et traumatisé, le couple espère désormais pouvoir rester en France pour éviter la mortelle traversée.

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Des tentatives de traversée toujours plus nombreuses

Depuis le début de l’année 2024, 18 574 personnes sont parvenues à atteindre l’Angleterre depuis les côtes du nord de la France, selon un décompte de l’AFP. L’année dernière, 36 000 migrants avaient traversé la Manche.

L’été, les tentatives de traversée sur des bateaux de fortune sont particulièrement nombreuses, et les drames se multiplient. Au moins neuf personnes sont mortes en l’espace d’un mois, portant le bilan à 25 décès depuis le début de l’année.

Pour déjouer les contrôles policiers, les passeurs commencent la traversée de plus en plus loin du littoral, parfois dès les rivières. En mars, une fillette de 7 ans s’était noyée dans le canal de l’Aa, à Watten (Nord).

 

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