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16/07/2024

MARIE-DERAIN : "ON NE PEUT PAS CONSIDERER QU'IL Y A DES VICTIMES ACCEPTABLES ET D'AUTRES INNACEPTABLES

La Croix logo/16/07/2024

Marie Derain : « On ne peut pas considérer qu’il y a des victimes acceptables et d’autres inacceptables »

Entretien

Marie Derain de Vaucresson Présidente de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation

L’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) a accordé 60 000 € de réparations financières à Jean-Yves Schmitt. Ce septuagénaire a été victime d’agressions sexuelles de la part d’un prêtre pendant son adolescence, avant d’être condamné, lui-même, à plusieurs reprises pour des actes pédocriminels. Marie Derain de Vaucresson, présidente de l’Inirr, revient sur cette décision.

  • Recueilli par Juliette Vienot de Vaublanc , l

La Croix : Comment avez-vous étudié la situation de Jean-Yves Schmitt, victime d’abus durant son adolescence, puis condamné pour des actes pédocriminels ?

Marie Derain de Vaucresson : Comme pour chaque personne victime, nous avons accueilli cet homme avec son récit, tel qu’il l’a rapporté. Un référent a identifié avec lui ce qu’il s’est passé, le contexte, et les conséquences que cela a pu avoir dans sa vie, en s’intéressant à différents critères : psychiques, somatiques, scolaires et professionnels, et dans ses relations, qu’elles soient familiales, conjugales ou amicales. Tout cela se déroule dans un laps de temps de trois à six mois, et s’accompagne d’une démarche de l’Inirr auprès du diocèse où se sont déroulés les faits, pour confirmer leur vraisemblance, savoir si l’agresseur est connu, si la victime s’est adressée au diocèse, et si des réponses ont déjà pu être apportées. Tout cela rentre en compte dans la fixation du montant des réparations.

Le fait que la personne en question se soit elle-même rendue coupable d’actes pédocriminels est-il entré en jeu, que ce soit favorablement ou défavorablement, dans la décision de lui verser 60 000 € de réparations ?

M. D. : À l’Inirr, nous sommes au côté des personnes victimes, dans une démarche de réparation et non d’indemnisation car cela signifierait que nous établissons un lien direct entre ce qui a été vécu et les conséquences que cela a eues. Or, ce n’est pas le cas. Pour Jean-Yves Schmitt, le fait qu’il ait été agresseur a eu une influence sur les discussions autour de sa situation, mais pas sur le montant des réparations financières qui lui ont été accordées. Pour aider au discernement, nous nous sommes concentrés sur le fait que c’était bien une personne victime qui s’adressait à nous, et que c’est cette dimension-là que nous devions prendre en compte.

Aviez-vous déjà connu ce genre de situation depuis la mise en place de l’Inirr ?

M. D. : Ce n’est pas la première fois que nous recevons la demande d’une personne victime devenue un agresseur. Sur 679 décisions prises par l’Inirr, ce cas s’est présenté à six reprises, même si les faits subis et infligés étaient moins graves. Mais, nous ne sélectionnons pas les personnes victimes. À partir du moment où les faits sont vraisemblables, nous ne pouvons pas considérer qu’il y a des personnes victimes acceptables et d’autres inacceptables.

« Il faut comprendre que tout vient du fait que j’ai été victime : si je ne l’avais pas été, je n’aurais pas été prédateur », a expliqué Jean-Yves Schmitt à l’AFP. L’Inirr est-elle parvenue aux mêmes conclusions ?

M. D. : Le lien de causalité exclusif établi par la victime entre le fait d’avoir été victime et celui d’être devenu agresseur n’est pas ajusté. Dans certains médias, son avocat – qui par ailleurs n’est pas intervenu dans la démarche de l’Inirr – parle aussi d’un « virus de la pédophilie » qui lui aurait été transmis, mais ce virus n’existe pas. Une vie peut se structurer à partir d’une agression subie, surtout pour un adolescent entrant dans la sexualité, dont les repères et le rapport au droit se trouvent bousculés. Mais toutes les personnes agressées ne deviennent pas des agresseurs et, si elles le deviennent, nous ne pouvons pas établir un lien de causalité exclusif avec les événements vécus précédemment. Entre les deux, il y a le libre arbitre. C’est le sens des conclusions de l’Inirr, qui ne remettent nullement en cause la part de responsabilité de la personne victime dans ce qu’elle a commis.

Ne craignez-vous pas que les réparations financières accordées à Jean-Yves Schmitt soient mal reçues par ses victimes ?

M. D. : Ce n’est pas un sentiment, c’est un constat. Cette décision peut être reçue difficilement par ses victimes et les autres personnes victimes, puisqu’elles font partie d’une communauté au sein de laquelle se trouve un agresseur. Le fait que l’avocat de Jean-Yves Schmitt ait instrumentalisé notre démarche, en le déplaçant du côté de la responsabilité de l’Église dans le parcours de son client, alors que notre réponse ne relève pas de ce registre, ne va sans doute pas arranger les choses. Ce cas ne va pas faciliter la compréhension de notre démarche par les autres personnes victimes, qui pourraient trouver notre décision injuste et se sentir fragilisées.

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