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24/07/2024

QUAND L'EGLISE CATHOLIQUE INVESTIT LE SPORT

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19/07/20D24/

À l’occasion des Jeux olympiques , l’Église catholique exprime un intérêt renouvelé pour le sport. Une attention qui remonte au XIXe siècle, époque de l’avènement du sport moderne, explique l’historien Yvon Tranvouez.

Comment percevez-vous le fort investissement de l’Église catholique dans les Jeux olympiques, avec les Holy Games et l’organisation en janvier d’un colloque intitulé Sport et spiritualité au Collège des Bernardins ?

Yvon Tranvouez : Cela me paraît assez typique d’un intérêt renouvelé de l’Église pour le sport, avec, par exemple, le retour depuis quinze ou vingt ans des patronages, associé à l’idée que l’on peut avoir une action à travers les activités physiques et sportives, dans les banlieues notamment. Que l’Église essaie de tirer parti de la conjoncture olympique ne m’étonne pas outre mesure.

Vous avez consacré un ouvrage récent au père Henri Didon (1840-1900), dominicain et promoteur du sport moderne. Quel rôle a-t-il joué dans la création des Jeux olympiques ?

Un petit rôle et un grand rôle. L’essentiel de ce que l’on retient, c’est qu’il a inventé la formule « Citius, Altius, Fortius » – « Plus vite, plus haut, plus fort » –, qui est devenue la devise des Jeux olympiques. Il ne l’a pas inventée pour les Jeux olympiques mais pour l’association sportive qu’il a créée dans son collège en 1891, à la demande de Pierre de Coubertin, qui voulait développer les compétitions entre établissements publics et catholiques. Les catholiques avaient plutôt tendance à refuser, la République apparaissant comme un régime anticlérical. Le père Didon, qui était depuis longtemps un libéral, un républicain et un démocrate, a accepté. En 1894, quand le mouvement olympique est né au Congrès de la Sorbonne, Coubertin a repris la formule de Didon.

Si Didon n’est pas présent au Congrès de la Sorbonne, que l’on considère après-coup comme fondateur, on le trouve aux premiers Jeux olympiques, à Athènes, en 1896, où il a tenu à se rendre avec une délégation d’élèves de son collège. Il y prononce un sermon dans la cathédrale d’Athènes, la veille de l’ouverture. Il salue la renaissance des Jeux, qui avaient été interdits par l’empereur chrétien Théodose en 393 comme l’exemple même du paganisme. Le père Didon dit qu’il retrouve en même temps saint Paul et la force grecque. L’année suivante, lors de la deuxième édition des Jeux olympiques, il est quasiment l’orateur vedette, le plus applaudi : Coubertin lui avait demandé de dégager la portée morale et éducative des Jeux olympiques. Coubertin et Didon restent très amis, alors même que le premier va rompre avec l’Église très rapidement. Didon meurt en 1900, trop tôt pour avoir pu faire en faire plus. Mais il a eu ce coup de génie d’une formule capable de fédérer les participants de tous les sports autour du dépassement de soi dans la compétition. Ce n’est pas un théoricien, c’est un homme de formules, un prédicateur qui avait le don de synthétiser l’air du temps.

Quelle place les patronages catholiques ont-ils occupée dans le développement du sport ?

Il faut distinguer deux univers très différents. Celui auquel participe le père Didon, celui des collèges pour l’élite. Didon n’est pas le seul, il ne fait que prendre la suite de ce qu’ont fait les dominicains – les jésuites sont plus réservés par rapport au sport. L’autre monde est celui des patronages, nés à la fin du Second Empire à destination des ouvriers, afin de les occuper. « Ici on joue, ici on prie » est la formule des patronages. À la fin du XIXe siècle, on passe au sport, on a envie de se confronter à d’autres. En 1898 est créée la Fédération des sociétés catholiques de gymnastique. Il y a aussi la fédération laïque, la fédération ouvrière. On est dans une pratique affinitaire du sport : chacun joue dans son couloir idéologique, il y a une sorte d’entre-soi, alors que, pour le père Didon, l’important, c’est de jouer avec les autres, dans un esprit de ralliement à la République – ce qu’on lui a reproché. En tout cas, ces patronages se répandent, d’abord en ville, puis rapidement dans les paroisses rurales, ce qui va beaucoup favoriser le développement du sport, d’abord de disciplines comme le football, puis, dans l’entre-deux-guerres, du basket-ball, sport très « catholique », qui demande un plus petit espace.

Faut-il y voir une volonté du catholicisme de ralentir sa perte d’influence dans la société ?

Oui, certainement. Il y a cette idée de garder les classes populaires qui pourraient échapper à l’emprise de l’Église. C’est vrai en France, c’est vrai en Angleterre avec les anglicans. Il y a une stratégie visant à lutter contre la déchristianisation des classes populaires et, également, du côté de l’élite, à lutter contre ce que l’on aperçoit déjà comme une sorte de dévirilisation du catholicisme : les hommes abandonnent la religion, qui n’est plus qu’un peuple de femmes, donc on doit faire en sorte de les faire revenir dans le giron.

L’Église identifie-t-elle des convergences avec certaines valeurs véhiculées par le sport ?

Disons qu’il y a une attention portée à certaines valeurs à maintenir dans le sport. Sont-elles spécifiquement catholiques ? C’est tout le problème. Le père Didon insiste sur le refus de la tricherie, la nécessité de disqualifier celui qui triche dans le sport. Mais ce n’est pas forcément catholique, c’est une valeur morale qui lui paraît commune à tous les honnêtes gens. L’insistance sur la moralité dans le sport est bien sûr présente, mais les laïcs peuvent en dire autant.

Plus que les valeurs chrétiennes du sport, ce qui est marquant à la grande époque des patronages, c’est la façon dont le patronage catholique se distingue du patronage laïque. Marquer un but, c’est faire avancer la chrétienté. Dans le début du XXe siècle, c’est la France chrétienne qui s’affirme contre la France laïque. Les sportifs sont aussi des enseignes. Ce qui est très frappant, aujourd’hui, c’est de voir comment les religions continuent à vouloir valoriser les stars du sport qui affichent leur appartenance, tous ces sportifs qui entrent sur le terrain de football en faisant des signes religieux.

Avant Jean Paul II, dont l’image de sportif a marqué les esprits, d’autres papes ont mis en avant leur amour du sport. Est-ce que cela relève d’une stratégie de communication pour donner une image moderne de la papauté ?

Je crois que c’est surtout à partir de Pie XI (1922-1939) que l’on voit cet affichage. Il y a bien sûr une volonté de montrer sa modernité. Dans le discours, il y a toujours l’idée que le sport doit être propre, moral, qu’il ne doit pas y avoir de dopage, que le sport doit aussi élever l’âme. Il y a toute une réhabilitation du corps qui est très importante car on vient de loin. En Angleterre, tout le premier XIXe siècle est très puritain, la réhabilitation du corps arrive ensuite. Le corps n’est plus une chose épouvantable, il fait partie de la Création et de l’économie du salut. Dans le catholicisme, c’est le jansénisme qui dévalorisait le corps. François Mauriac décrivait l’atmosphère de méfiance vis-à-vis du corps dans laquelle il avait été élevé. Pour les milieux dont le père Didon a eu la charge dans la bonne société à la fin du XIXe siècle, il y a tous ceux qui disaient que faire du sport, c’était perdre son temps par rapport aux études. On oublie aujourd’hui combien Didon et Coubertin ont dû batailler contre un état d’esprit très négatif. Les premiers Jeux olympiques ont fait l’objet de peu de comptes rendus dans la presse.

Comment expliquer le déclin du sport et des patronages catholiques ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Je pense que les patronages ont largement été victimes de l’essor de l’Action catholique. À un moment donné, on a pensé qu’à force de faire des patronages par le sport, on faisait des sportifs mais que c’était fatal pour la religion. On s’est dit qu’il valait mieux christianiser les gens dans leur travail, ce qu’a voulu faire l’Action catholique spécialisée. Les patronages ont aussi été victimes du mouvement missionnaire et de la pastorale de l’enfouissement. Le retour des patronages était inévitable avec l’avènement de l’âge des loisirs, alors que l’Action catholique a correspondu à une époque où le travail était une valeur centrale.

Propos recueillis par Timothée de Rauglaudre.

Yvon Tranvouez est historien professeur émérite à l’Université de Bretagne-Occidentale. À lire : Plus vite, plus haut, plus fort, Les éditions du Cerf, 2024, 356 p., 29 €

19/07/2024

LE SPORT QUELLE HISTOIRE !

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Le sport, quelle histoire ! Par Christine Pedotti


En un peu plus d’un siècle, le sport a envahi nos sociétés et notre quotidien de façon si évidente que nous ne nous en rendons plus compte. Certes, la Grèce antique et Rome, son héritière, ont pratiqué des jeux sportifs, mais, ensuite, l’exercice du corps et sa mise en compétition subit un long effacement. Il n’est guère que les jeux de guerre qui subsistent, tournois, escrime, lutte. Pendant de longs siècles, on ne songe guère à se disputer une balle ou un ballon, à peine connaît-on le jeu de paume et la soule. Les corps sont exposés à la guerre, à la fatigue des travaux agricoles et de la première industrie. Qui songerait à courir, sauter, ou lever des poids pour le plaisir ?

Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que naisse le sport moderne et qu’il fasse la conquête du monde. Ses conséquences sont si massives qu’il est difficile de les cerner : libération des corps, et en particulier de celui des femmes, qui échappent au corset et aux contraintes, introduction du vêtement de sport dans l’habillement quotidien, nouveaux édifices dédiés aux disciplines sportives – piscines, immenses stades, courts de tennis, salles de sport… Les compétitions sportives et leurs résultats sportifs ont le plus souvent la première place dans l’information et les sportifs sont des stars planétaires. Des événements comme les Jeux olympiques, que la France organise cette année, deviennent des enjeux internationaux et des moments où se forgent les identités des peuples…

Le sport touche à tous les domaines, économiques, politiques, sociaux et culturels, il semble même parfois devenir un ersatz de religion.

                       Christine PEDOTTI 

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16/07/2024

MARIE-DERAIN : "ON NE PEUT PAS CONSIDERER QU'IL Y A DES VICTIMES ACCEPTABLES ET D'AUTRES INNACEPTABLES

La Croix logo/16/07/2024

Marie Derain : « On ne peut pas considérer qu’il y a des victimes acceptables et d’autres inacceptables »

Entretien

Marie Derain de Vaucresson Présidente de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation

L’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) a accordé 60 000 € de réparations financières à Jean-Yves Schmitt. Ce septuagénaire a été victime d’agressions sexuelles de la part d’un prêtre pendant son adolescence, avant d’être condamné, lui-même, à plusieurs reprises pour des actes pédocriminels. Marie Derain de Vaucresson, présidente de l’Inirr, revient sur cette décision.

  • Recueilli par Juliette Vienot de Vaublanc , l

La Croix : Comment avez-vous étudié la situation de Jean-Yves Schmitt, victime d’abus durant son adolescence, puis condamné pour des actes pédocriminels ?

Marie Derain de Vaucresson : Comme pour chaque personne victime, nous avons accueilli cet homme avec son récit, tel qu’il l’a rapporté. Un référent a identifié avec lui ce qu’il s’est passé, le contexte, et les conséquences que cela a pu avoir dans sa vie, en s’intéressant à différents critères : psychiques, somatiques, scolaires et professionnels, et dans ses relations, qu’elles soient familiales, conjugales ou amicales. Tout cela se déroule dans un laps de temps de trois à six mois, et s’accompagne d’une démarche de l’Inirr auprès du diocèse où se sont déroulés les faits, pour confirmer leur vraisemblance, savoir si l’agresseur est connu, si la victime s’est adressée au diocèse, et si des réponses ont déjà pu être apportées. Tout cela rentre en compte dans la fixation du montant des réparations.

Le fait que la personne en question se soit elle-même rendue coupable d’actes pédocriminels est-il entré en jeu, que ce soit favorablement ou défavorablement, dans la décision de lui verser 60 000 € de réparations ?

M. D. : À l’Inirr, nous sommes au côté des personnes victimes, dans une démarche de réparation et non d’indemnisation car cela signifierait que nous établissons un lien direct entre ce qui a été vécu et les conséquences que cela a eues. Or, ce n’est pas le cas. Pour Jean-Yves Schmitt, le fait qu’il ait été agresseur a eu une influence sur les discussions autour de sa situation, mais pas sur le montant des réparations financières qui lui ont été accordées. Pour aider au discernement, nous nous sommes concentrés sur le fait que c’était bien une personne victime qui s’adressait à nous, et que c’est cette dimension-là que nous devions prendre en compte.

Aviez-vous déjà connu ce genre de situation depuis la mise en place de l’Inirr ?

M. D. : Ce n’est pas la première fois que nous recevons la demande d’une personne victime devenue un agresseur. Sur 679 décisions prises par l’Inirr, ce cas s’est présenté à six reprises, même si les faits subis et infligés étaient moins graves. Mais, nous ne sélectionnons pas les personnes victimes. À partir du moment où les faits sont vraisemblables, nous ne pouvons pas considérer qu’il y a des personnes victimes acceptables et d’autres inacceptables.

« Il faut comprendre que tout vient du fait que j’ai été victime : si je ne l’avais pas été, je n’aurais pas été prédateur », a expliqué Jean-Yves Schmitt à l’AFP. L’Inirr est-elle parvenue aux mêmes conclusions ?

M. D. : Le lien de causalité exclusif établi par la victime entre le fait d’avoir été victime et celui d’être devenu agresseur n’est pas ajusté. Dans certains médias, son avocat – qui par ailleurs n’est pas intervenu dans la démarche de l’Inirr – parle aussi d’un « virus de la pédophilie » qui lui aurait été transmis, mais ce virus n’existe pas. Une vie peut se structurer à partir d’une agression subie, surtout pour un adolescent entrant dans la sexualité, dont les repères et le rapport au droit se trouvent bousculés. Mais toutes les personnes agressées ne deviennent pas des agresseurs et, si elles le deviennent, nous ne pouvons pas établir un lien de causalité exclusif avec les événements vécus précédemment. Entre les deux, il y a le libre arbitre. C’est le sens des conclusions de l’Inirr, qui ne remettent nullement en cause la part de responsabilité de la personne victime dans ce qu’elle a commis.

Ne craignez-vous pas que les réparations financières accordées à Jean-Yves Schmitt soient mal reçues par ses victimes ?

M. D. : Ce n’est pas un sentiment, c’est un constat. Cette décision peut être reçue difficilement par ses victimes et les autres personnes victimes, puisqu’elles font partie d’une communauté au sein de laquelle se trouve un agresseur. Le fait que l’avocat de Jean-Yves Schmitt ait instrumentalisé notre démarche, en le déplaçant du côté de la responsabilité de l’Église dans le parcours de son client, alors que notre réponse ne relève pas de ce registre, ne va sans doute pas arranger les choses. Ce cas ne va pas faciliter la compréhension de notre démarche par les autres personnes victimes, qui pourraient trouver notre décision injuste et se sentir fragilisées.

06/07/2024

TROP DE NOS CONCITOYENS MUSULMANS ...

LE MONDE des religions 05/07/2024 

TROP DE NOS CONCITOYENS MUSULMANS NE SAVENT PLUS S’ILS PEUVENT COMPTER SUR L’ESTIME D’UN PAYS DONT ILS CONTRIBUENT À FORGER LE DESTIN

Français et Musulmans

Jean-François Bour, prêtre et expert des relations avec l’islam à la Conférence des évêques de France, appelle, dans une tribune au « Monde », à « entendre l’inquiétude » des musulmans face à l’extrême droite. Il déplore, dans le débat actuel, « une tendance à tolérer sans sourciller le soupçon global qu’instillent les affirmations racistes ou simplistes ».

Citoyen et prêtre catholique qui tente de favoriser un paradigme d’estime et de coopération entre les religions plutôt qu’une logique de confrontation, je suis fils du concile Vatican II (1962-1965) qui a osé un regard d’estime sur les autres religions − à ne pas confondre avec la naïveté. Les évêques français se sont déjà exprimés mais, avec d’autres catholiques, je pense important de me joindre au débat collectif pour entrer en discussion, même avec mes frères ou mes amis séduits par l’extrême droite.

Je m’y risque car trop de nos concitoyens musulmans ne savent plus s’ils peuvent compter sur l’estime d’un pays dont ils contribuent à forger le destin. Dans le contexte électoral actuel, leur inquiétude doit être entendue.

« Les musulmans sont la France, eux aussi »

De fait, les lumières métaphysiques, littéraires ou artistiques des civilisations islamiques qui éblouirent tant d’orientalistes, ont laissé place, dans nos esprits, au dédain ou à des thèses réductrices. Voici l’islam désigné souvent comme l’ennemi juré d’une civilisation judéo-chrétienne qu’il a pourtant aidé à gravir les sommets. Certes, ceux qui devraient en rénover les usages et les doctrines le servent parfois bien mal. Les islamistes, prospérant sur le désarroi et la misère, ont su jouer de logiques binaires jusqu’à favoriser la violence vengeresse d’un millénarisme étroit, qui terrorise aussi les musulmans. Tout cela finit par diffuser une peur que d’aucuns s’emploient à utiliser politiquement.

Je ne viens pas, pour autant, pointer du doigt ceux qui ont exprimé, dans les urnes, une exaspération multiforme. Je ne souhaite pas analyser ici les raisons d’un vote RN. Elles sont diverses. Je me permets simplement d’interroger la tendance à tolérer sans sourciller le soupçon global qu’instillent les affirmations racistes ou juste simplistes.

Je me contente d’un constat simple qui part de l’anniversaire du débarquement allié que nous venons de commémorer : il donne à voir les libérateurs de l’Europe dans leur composante multi-ethnique et multireligieuse. La France put alors compter sur des milliers d’hommes issus des cultures musulmanes d’Afrique sub-saharienne et du Maghreb. Beaucoup sont morts pour la France comme déjà, avant eux, leurs ancêtres en 14-18. Qu’ils reposent en paix. La Grande Mosquée de Paris en est le digne mémorial et la gardienne de la mémoire de nombreux musulmans qui sauvèrent des juifs de la terreur nazie.

Mais je veux aussi, comme déjà dans mes vœux aux musulmans poul’Aïd-el-Kebir, prendre en compte mes compatriotes musulmans d’aujourd’hui. Ils sont binationaux mais pas toujours, pratiquants ou non, mariés à un conjoint musulman ou pas ; ils sont réfugiés, pauvres ou riches, peu ou très qualifiés, habités d’un sens civique profond ou insuffisant, clairs avec l’islamisme ou pas suffisamment, honnêtes ou délinquants, ouverts au dialogue interreligieux ou méfiants… Ils vivent les milles nuances d’une identité complexe.

Ils sont présents dans tous les métiers, arrivés récemment en France ou de quatrième génération : ce sont nos médecins, nos infirmières, nos ingénieurs, nos étudiants, nos aides à domicile… Ils ont leurs passions et leurs loisirs, comme tous les Français, et s’affrontent, comme chacun, à la fatigue du combat quotidien. Alors, gardons l’esprit clair : ils sont la France eux aussi. Ils font la France aujourd’hui. Dans bien des familles où se vit le brassage culturel, on ne parle d’ailleurs plus de personnes anonymes : il s’agit ici d’un gendre, là d’une belle-fille, de petits enfants, de cousins, de demi-frères et de demi-sœurs…

Le risque d’une « dérive revancharde »

Qu’on me permette de dire encore mon admiration pour ces responsables du culte musulman qui me confient leurs efforts pour éviter que l’atroce affrontement qui oppose Israéliens et Palestiniens n’échauffe les esprits ou ne sombre dans l’antisémitisme. On ne saurait, sans risquer une grave injustice, établir un lien nécessaire entre une culture ou une religion et l’insécurité, le terrorisme, l’antisémitisme ou la délinquance. Tout ceci exige des actions éducatives, sociales et judiciaires adaptées.

J’assume donc, en citoyen et en croyant, la reconnaissance de la dignité égale de chacun et un patriotisme imperméable au nationalisme, une identité d’autant plus forte qu’elle est capable de relations, d’échanges et de partage avec l’autre dans sa différence. Ma lecture des Ecritures bibliques, premier et nouveau Testament, m’incite autant à chercher la Vérité qu’à méditer la manière dont Dieu associe des « païens » et des « réprouvés », à l’accomplissement de son Salut. C’est pourquoi, il nous reste à affronter avec courage et surtout ensemble, les causes des détresses qui minent notre société. Personne ne sortira grandi d’une dérive revancharde qui autorise les passions tristes à traquer un bouc émissaire.

C’est d’un esprit citoyen rénové dont nous avons besoin, celui qu’a fondé, malgré ses excès, la Révolution française : elle a posé le socle d’une citoyenneté égalitaire où nul n’est réduit à ses origines, à ses opinions ou croyances. Elle a établi le cadre où chacun peut se mettre au service du bien de tous. Les communautés croyantes elles-mêmes ont le devoir de former à cette citoyenneté, avec la République, en amenant leurs adeptes à s’approprier leur religion d’une manière responsable et libre, sans craindre l’émancipation que protège notre contrat social.

Pour avancer, et alors qu’on nous accule à exprimer qui ou ce que nous rejetons, décidons de consolider d’abord les liens qui font la France aujourd’hui : dans les entreprises, les associations, le sport, le dialogue interreligieux, l’action éducative et humanitaire… Le monde est en feu et il est grand temps de nous associer les uns aux autres pour affronter la complexité des défis.

Jean-François Bourprêtre

Jean-François Bour est prêtre dominicain, expert du dialogue entre catholiques et musulmans à la Conférence des évêques de France et membre de l’Institut dominicain d’études orientales (IDEO), au Caire.

Le Monde 5 juillet 2024   Lien à la Source

 

05/07/2024

LEGISLATIVES 2ème tour

Deux jours avant le second tour des élections législatives, 80 personnalités musulmanes et issues de la société civile signent cet appel à voter pour empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir. Initié par le recteur de la Mosquée de Paris Chems-eddine Hafiz, le texte s’alarme de la montée du racisme.

Comment réagir après un tel désastre politique ? Les Français, pétris d’humanisme et d’universalisme, ne sont pas des racistes. Comment alors comprendre que plus de 10 millions de nos concitoyens ont pu déposer un bulletin d’extrême droite dans l’urne ?
Chez ces Français, ni riches, ni pauvres, la peur du déclassement et une hostilité, ou au minimum une inimitié envers les arabes et les africains (les immigrés, devenus musulmans avant d’être considérés comme des islamistes intégristes), transformés en boucs émissaires, peuvent être un exutoire commode.
Mais ce jeu de chamboule-tout est un « tout-le-monde-perd » : les Français opposés au RN, ceux « issus de la diversité » et enfin les électeurs de Marine Le Pen eux-mêmes.
Or, si certains de nos concitoyens peuvent être taxés de xénophobes, nous ne sommes pas un pays raciste, en tout cas, pas avant d’être manipulés par une rhétorique de peur et de division.
Le RN n’a pas été élu par l’émotion mais par un travail de plus de vingt ans, avec un long processus de dédiabolisation, qui l’a positionné progressivement comme un parti éligible, normalisé, malgré un discours de haine et d’insécurité.
Il a progressé inexorablement, comme ses équivalents dans les sociétés démocratiques occidentales, en remplaçant la lutte des classes par la peur de l’autre, agrégeant autour de lui de plus en plus de Français agacés, déclassés, inquiets des suites de la mondialisation et de la globalisation, rejoints par les agriculteurs qui ne s’en sortent plus et des anciens gilets jaunes ou bonnets rouges. Il ne restait plus qu’aux cyniques, flairant le bon calcul politique, à emboîter le pas et « aller à la soupe ».
Avec les élections Européennes, ce qui était au départ un référendum « pour ou contre la diversité » s’est transformé, au fil de la normalisation, en un référendum pour ou contre le RN, ou plutôt un référendum pour savoir si le RN était un parti comme les autres, une fois achevé le processus de « mitterrandisation » de Marine Le Pen. Dès lors, les excès de Reconquête (qui n’en a que le nom) ont même permis au RN d’apparaître plus raisonnable.
En 2017, le président de la République a été élu sur la promesse d’un dépassement du clivage droite-gauche, voulant mieux coller aux réalités du monde. Cependant, la difficulté de ce discours, conjuguée à une faible implantation locale sans assise populaire, a conduit à une perte de repères de ce qui faisait société entre nous, au profit de forces toujours plus divergentes. C’est la fameuse montée des extrêmes, la radicalité des uns stimulant la radicalité des autres. De fait, au ministère de l’Intérieur en 2018, Gérard Collomb, avait eu cette phrase prémonitoire : « aujourd’hui, on vit côte à côte et je le dis, moi je crains que demain on ne vive face à face ». Nous y sommes.
Et nos concitoyens musulmans dans tout ça ? Comparé à un taux de participation national de 66,7 % (47,5 % en 2022), la participation en Seine-Saint-Denis a été de 60,6 %  pour 38,9 % en 2022). Ceci représente en soi un chiffre remarquable témoignant d’une prise de conscience des
enjeux. Si l’extrême droite venait à gagner les législatives, ces populations parmi les plus pauvres, fragiles et discriminées, comprennent bien que nous risquons de voir nos valeurs les plus fondamentales mises en péril.
Sa prise de pouvoir entraînera une érosion des droits civiques, une montée de la xénophobie, avec une fracture encore plus profonde de notre société vis-à-vis de tous ceux à qui la parole raciste demande « d’aller à la niche »… Les horribles politiques discriminatoires et les discours de haine que l’on voit renaître grandiront, contre les uns, contre les autres, menaçant la cohésion et l’unité de notre nation. Le règne du « chacun pour soi », avec la guerre du « tous contre tous » remplaçant l’idée de communauté nationale.
Nous ne pouvons accepter qu’une partie d’entre nous, Français, soit pointée du doigt, faussement responsables des maux de la société, rendus boucs émissaires. La diversité de notre pays est une force, et la République ne peut prospérer que si chaque citoyen, respectant les règles de la République, soit respecté et protégé en retour.
Face à la montée du RN et de ses discours de division, les enfants d’immigrés, les descendants de ceux qui ont travaillé sans relâche pour construire, eux aussi, notre pays et trouver une vie meilleure, reconnaissent la nécessité et le pouvoir qu’ils détiennent entre leurs mains – le pouvoir de voter. Chaque citoyen doit se lever et faire entendre sa voix, non pas par la colère ou la violence, mais par le pouvoir du bulletin de vote.
Face aux racistes qui nient le pouvoir du vote (on se souvient des lois raciales discriminantes aux États-Unis), nous devons tous voir, quelles que soient nos convictions, que le vote est une action sacrée, façonnant l’avenir et influençant le cours de l’histoire. Voter n’est pas seulement un droit, mais un devoir éminent envers notre République. Protégeons ce pays qui nous protège.
Parce que chaque voix compte ; chaque vote est un acte de foi en la démocratie, un acte de foi en la justice, un acte de foi en un avenir meilleur. Une espérance…
Nous ne pouvons pas laisser la peur et l’intolérance déterminer notre avenir. L’histoire nous a montré à chaque fois les conséquences désastreuses de l’inaction face à l’extrême droite.
Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de prouver que nos principes d’égalité, de fraternité et de liberté qui forment le socle de notre nation peuvent triompher de la haine et de la division.
Nous, citoyens unis dans notre diversité, faisons entendre nos voix. Notre avenir s’organise aujourd’hui, dès cette élection. Pour demain, pour nos enfants, pour le quotidien, pour la France.

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NON AU RM

Affichage de  en cours...

Au fond, ces trois mots pourraient suffire. Il n’y a rien à ajouter, rien à retrancher. C’est un non, ferme, massif, non négociable, sans « mais », sans exception. Et l’on pourrait plagier l’Évangile : « Que votre non soit non. »

Beaucoup cependant auront envie d’objecter : « Mais à quoi disons-nous oui ? » Et il est vrai que face à ce bloc terrible, qui pour l’heure semble si uni, si uniforme, si univoque, il y a toutes les nuances et toute la diversité de nos choix et engagements politiques.

Alors, les questions surgissent, frontalement ou insidieusement : moi qui suis de gauche depuis si longtemps, qui ai si souvent « fait barrage », dois-je de nouveau voter pour un candidat du centre ou de la droite ; moi qui suis modéré, puis-je donner ma voix à un histrion gauchiste qui va aller siéger à l’Assemblée ? Toutes ces questions sont légitimes, mais elles ne connaissent qu’une seule réponse : dimanche prochain, chacun de nos bulletins peut donner ou refuser la majorité absolue au RN. Et c’est la seule chose qu’il faut peser.

Ensuite, parce qu’il y aura un après, on fera des bilans, on tentera des alliances, on imaginera des remèdes… Mais, pour cela, il faut que la digue tienne. Car la vague qui menace n’est pas celle d’une simple alternance, c’est une vague qui balaierait tout ce qui fait que la France est la France, héritière des Lumières, de la Révolution française, effondrée par le désastre de 1940, rebâtie dans le sang des résistants et des libérateurs alliés. C’est la France du fronton de nos mairies qui peut être effacée, celle de la Liberté, de l’Égalité, de la Fraternité, la France de la République de tous et de toutes, généreuse, inclusive. C’est la France que nous aimons, celle pour laquelle nos ancêtres ont donné leur sang qui est au risque d’être salie et violentée. Et, pour nous qui nous appelons Témoignage chrétien, cette France est aussi celle d’un christianisme qui a fécondé sa générosité et son hospitalité au nom de l’attention aux petits, aux vulnérables, aux blessés de la vie, aux abandonnés au bord du chemin. Cette France est notre joie, notre honneur, notre gloire, notre espérance.

Non au déshonneur, non au désespoir, non au RN.

Rejoignez la campagne Nous c'est non sur https://nouscestnon.fr/