Au bord de l’Ouj, la rivière dont la ville tire son nom, les promeneurs profitent du soleil et de la douceur le long du quai, les pêcheurs ont mis les lignes à l’eau. Non loin de là, les cafés ont sorti les terrasses et les tables affichent complet, des musiciens jouent des chansons traditionnelles. Cette vie en apparence insouciante loin du fracas des armes, c’est ce qui a surpris Juliana, une déplacée de Kiev. « J’ai fui la capitale avec mon mari et mes deux enfants pour venir retrouver mes parents qui habitent ici. Il nous a fallu dix-sept heures de train pour arriver à Oujgorod. Cela fait du bien de voir des magasins ouverts, de ne plus entendre le bruit des bombes. »
Mais la guerre se rappelle aux habitants de multiples manières. Mercredi, la sirène annonçant un possible bombardement les a réveillés en sursaut à 4 heures. Une fausse alerte. Dans le centre historique, un homme appelle d’une voix forte à donner pour aider les déplacés et financer des équipements militaires. Un peu plus loin, une affiche à la gloire des missiles antichars américains Javelin a été placardée dans une rue commerçante. À quelques pas de là, ceux qui ont fui les combats font la queue devant un bâtiment municipal pour trouver un logement provisoire. Environ 3 000 nouveaux déplacés rejoignent ce havre de paix chaque jour. Ils étaient plus nombreux encore au début de la guerre. Près de 500 000 personnes ont transité par la région pour fuir vers les pays voisins et plus de 80 000 sont installées dans la ville. Beaucoup sont partis sans rien et dépendent de l’aide humanitaire.
Face aux désastres de la guerre, c’est l’Ukraine tout entière qui s’est mobilisée. « L’État s’occupe prioritairement de l’armée, raconte Nathalia Kabatsiy, la directrice de l’ONG Comité d’aide médicale. Ce sont les associations qui s’occupent principalement des populations civiles touchées. Nous avons fait deux révolutions en Ukraine et il y a la guerre au Donbass depuis 2014, alors nous avons l’habitude de nous organiser. Nous avons des réseaux très efficaces. Heureusement, car l’État est un peu dépassé et il y a pas mal de désorganisation. » Le téléphone de la jeune femme ne cesse de sonner, tantôt pour transmettre des demandes, tantôt pour annoncer l’arrivée d’un camion.
« Notre association s’occupait des réfugiés en Ukraine et d’améliorer la prise en charge des personnes handicapées, raconte Nathalia. Je n’avais pas fait d’aide d’urgence depuis les inondations dans la région en 1998 ! Mais les réflexes reviennent vite. » En quelques jours, l’ONG est devenue la chef de file de l’aide humanitaire pour la région de Transcarpatie. Elle loue désormais deux entrepôts dans la ville et un autre en Slovaquie. L’équipe s’est étoffée et compte à présent une dizaine de salariés et une centaine de bénévoles. Grâce à ses partenaires de toute l’Europe, des camions remplis de produits de première nécessité arrivent chaque jour. Ce vendredi matin, deux semi-remorques en provenance d’Autriche et de Paris se présentent. « C’est le cinquième camion qui vient de France, raconte Nathalia, un autre doit arriver demain. Je viens d’apprendre que la Fédération nationale de protection civile doit nous livrer dix camions de duvets et de matériel médical. L’élan de solidarité est vraiment extraordinaire. » Ouest-France Solidarité, l’association du quotidien éponyme, a, elle, versé 45 000 euros pour aider aux frais logistiques et plus de 80 000 euros pour acheter des médicaments qui manquent cruellement.
Le Comité d’aide médicale ne fait pas que venir en aide aux déplacés de la région. Devant le quai de chargement, des véhicules se présentent pour des envois vers les villes touchées par les combats ou proche de la ligne de front, comme Kiev, Kharkiv ou Odessa. Le ballet est incessant. Le gouvernement met aussi gratuitement à disposition des wagons de fret. « Oujgorod et Lviv ne sont pas touchées directement par la guerre, témoigne la responsable de l’association. Ces deux villes sont devenues les nœuds humanitaires du pays. »
En traversant le centre-ville d’Oujgorod, Nathalia contemple les terrasses de café : « Ça me fait bizarre de voir ça. Depuis le 24 février, je n’ai pas pris un jour de repos. J’ai l’impression qu’on est un peu dans des mondes parallèles. »
De notre envoyé spécial le par /
Photo : Kap olena, CC BY-SA 4.0,
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