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01/07/2023

POUR UNE SPIRITUALITE A VENIR - OLIVIER CHAZY

Texte du blog de Denis CHAUTARD  chautard.info

Je remercie Aude-Anne CHAZY (la sœur d’Olivier Chazy, membre de la Communauté Mission de France, 11 décembre 1947 – 26 avril 2023) de m’avoir transmis ce témoignage d’Olivier de 2016. C’est un véritable « testament spirituel ». Je vous le recommande. Il nous dit la force et la nouveauté de l’Evangile. 

POUR UNE SPIRITUALITE A VENIR - OLIVIER CHAZY.pdf

Pour une spiritualité à venir

En ces temps de mutation, le langage et la pratique de la foi chrétienne perdent en force de signification et appellent à des refondations. J’aime ce chantier. J’ai vécu durant de longues années au cœur du service public et j’ai pu mesurer la consistance d’un monde séculier sans référence religieuse. Pour moi, trouver, en ce monde séculier les paroles et les attitudes qui font aimer la vie, qui font sens, qui mobilisent, qui rejoignent ceux qui n’ont pas ou plus de références religieuses, est un pari passionnant. Je l’ai vécu au travers du dialogue avec les acteurs de terrain dans mes responsabilités professionnelles, mais aussi dans mes engagements syndicaux et de solidarité internationale.

Pour ceux et celles qui sont inscrits dans la longue filiation chrétienne, et j’en suis, l’évangile est l’une de ces sources toujours vivantes, qui nous est transmise du fond des âges par une longue file de témoins ayant appartenu aux civilisations juive puis grecque, puis latine, et nous invite à saisir en nous-même ces valeurs de l’universalisme, de la rencontre, de l’ouverture du cœur, du partage chaleureux, de l’engagement pour la justice, de la solidarité humaine, enracinées dans le messianisme juif revisité par Jésus, à distance de l’argent, du pouvoir, des normes pour s’attacher à l’esprit, au fond.

L’évangile témoigne d’un Jésus enraciné dans la vie, libre, engagé, aimant la justice et la vérité, subversif et résilient. Son message est à la fois psychologique et spirituel, un brin politique, il rend résistant et persévérant à l’adversité, il élève la vision de l’homme et de l’histoire humaine, il est loin des dogmatismes, il ne dit pas ce que chacun doit faire, mais il propose de sortir de l’enfermement de routine et de cœur, il éclaire le chemin, il donne du sens à la quête existentielle, de la profondeur et du bonheur à la vie, comme une ondée à sa présence. Il donne la force, comme le disait l’abbé Pierre, à construire, par temps de destruction, à parler de paix par temps de guerre, à croire, par temps de désespoir, à aimer, même si les autres distillent la haine.

La parole c’est du sens qui circule entre des personnes. Dans l’allégorie évangélique de la nature, il y a fécondation de la semence enfouie en terre, la semence se transforme en nouveau germe de vie végétale, fécondée par la terre nourricière, par analogie on peut dire qu’il y a une société séculière qui peut être fécondée par la parole évangélique et ses témoins, il y a un regard séculier sur l’évangile et réciproquement un regard des évangiles sur ce monde séculier, cela prend du temps, c’est à l’échelle d’une vie. Il semble bien que les évangiles soient faits pour ensemencer, faire émerger une spiritualité, J’ai vécu cette double dimension séculière et religieuse, j’ai découvert que l’unité profonde des deux était possible et que ce monde séculier pouvait porter une dimension spirituelle non religieuse et éclairer ma route. J’ai été confronté massivement aux deux laïcités produites de notre histoire celle de 1789 : en colère contre la religion, celle des années 70 déçue, indifférente, aspirée par d’autres valeurs. Ces deux laïcités peuvent dire quelque chose à l’Eglise et à la compréhension des évangiles.

Ce monde séculier n’est pas nécessairement une terre aride, il est aussi porteur d’intuitions et de sensibilités essentielles, d’un savoir sans cesse en évolution, de combats exemplaires. Aucun être humain ne peut se priver de la recherche du sens surtout dans la confusion ou nous nous trouvons.

LES HÉSITATIONS DE L’EGLISE

L’Eglise a longuement hésité dans son histoire entre son ouverture au monde et un affrontement avec la modernité. Nous sommes tributaires de ces hésitations historiques qui ont freiné ou favorisé la fécondité de la semence évangélique en monde séculier, quand l’Eglise a été dans l’affrontement, elle a suscité une grande hostilité des forces vives de ce monde séculier, quand elle a été dans l’ouverture, et c’est sans doute le cas présentement avec un Pape venu d’un pays du sud, nous avons un propos qui surprend mais qui rencontre un écho fort, y compris dans les milieux éloignés de l’Eglise.

L’Evangile est dans le code génétique de l’Eglise et la totalité de ses dimensions doivent être honorées, c’est un risque et une responsabilité majeure confiée par Jésus lui-même à l’Eglise « tout ce que vous lierez sur terre sera lié au ciel, tout ce que vous délierez sur terre sera délié au ciel » il y a tout simplement le risque de barrer la route de la quête spirituelle de beaucoup. Je pense particulièrement à la place accordée à requête de justice. La perte historique de vigueur de l’exigence évangélique de justice, a fait de graves dégâts spirituels et a conduit à l’hostilité contre l’Eglise mais aussi à une certaine désorientation. Cette quête est constitutive de notre humanité, elle passe par une vigilance, à la fois comme citoyens, mais aussi comme disciple des évangiles. L’évangile porte également un regard aigu sur les institutions, leurs mensonges, leurs abus. Dans la période où nous nous trouvons elles sont porteuses de tous les enjeux sur le droit des pauvres, la citoyenneté, le développement, l’environnement, la justice et doivent être interpellées a tout niveau : pour leurs complexités, leurs fermetures, leurs conflits d’intérêt, leur dérives et laxismes, leurs compromissions avec les puissants, leurs brutalités parfois….

ET SON NOUVEL ENGAGEMENT

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 Il est frappant d’observer que l’actuel positionnement du Pape François, s’accompagne d’une forte interpellation des institutions et d’un soutien aux pauvres en lutte. C’est une surprise et une grande joie de l’entendre parler de cette « dictature subtile de l’argent, aux relents de fumier du diable » reprenant une expression de Basile de Césarée, Père de l’Eglise, de dénoncer la corruption « qui pue comme un animal mort », de venir interpeller l’occident à Lampedusa sur cette mondialisation de l’indifférence qui nous a ôté notre capacité de pleurer », de le voir convoquer deux rencontres mondiales des mouvements populaires en lutte en octobre 2014 et juillet 2015 avec les paysans sans terre, le mouvement pour la paix en Israël, les organisations de bidonville de vendeurs ambulants.....C’est aussi une parole qui rappelle aux gestionnaires de l’institution chrétienne qu’ils doivent, avant tout, être des témoins par leur façon de vivre.

LA DIMENSION UNIVERSELLE DE L’OFFRE DE FRATERNITÉ ET DE JUSTICE

Deux textes évangéliques sont enracinés en moi : les béatitudes et le jugement dernier, Mathieu V et Mathieu XXV. L’esprit de paix, d’humilité, de bienveillance, la mise en œuvre du droit des pauvres, de la justice, de la solidarité avec les opprimés, l’attention particulière aux souffrants. Cette invitation me parait toujours aussi neuve dans notre modernité dont  la requête centrale est l’autonomie de la personne, elle s’enrichit dans la diversité des cultures et des identités ou nous nous trouvons aujourd’hui. Il est clairement établi que la violence, la domination, la volonté d’humilier, le refus de l’étranger ne sont pas la spécificité de tel ou tel groupe mais sont inscrits dans notre code génétique d’être humain. C’est ainsi que nous nous enracinons dans l’histoire humaine, et tout à la fois dans l’horizon du royaume de Dieu.

VIVRE L’OUVERTURE DU CŒUR ET LE COMBAT POUR LA JUSTICE DANS L’UNITÉ SPIRITUELLE ET SÉCULIÈRE

J’ai pu un jour poser la question suivante à l’abbé Pierre : qu’est-ce que la foi dans ce monde d’incertitude ? Il m’a répondu « la foi est une ouverture du cœur qui conduit à la rencontre » sa réponse est restée gravée en moi, peut être par ce qu’elle permettait de dire ce qu’est la foi dans un langage séculier. Oui l’évangile nous invite à vivre concrètement à la fois une conversation intérieure, et un engagement radical pour la justice, ou les pauvres soient les acteurs de leur lutte. Cela fait sens dans l’horizon séculier ou nous nous trouvons. L’abbé Pierre a su faire l’unité entre la mystique du moine qu’il était et cette dimension séculière de la lutte contre la misère dont il a dit qu’elle était « un devoir sacré et une loi de l’humanité » C’est ainsi qu’à sa mort le journal « Le Monde » a pu titrer « Hommage de la République et de l’Eglise » Réciproquement il arrive que des voix s’élèvent au sein du monde séculier pour nous donner des paroles essentielles qui fassent vivre, je pense à ce passage d’Albert Camus, dans son roman l’été « je redécouvrais à Tipasa qu’il fallait garder intacte en soi une fraîcheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice, et retourner au combat avec cette lumière conquise.

 Le message évangélique est sans vie s’il n’est pas incarné

L’Evangile se dit « Bessorah » en Hébreux, probable langue initiale des évangiles, et peut se traduire à la fois par « bonne nouvelle » et « donner chair à la parole » Tout passe par les témoins, c’est eux qui donnent vie au texte avec leur ferveur, leur persévérance, qui le mettent à jour, trempant leur plume dans notre réalité toujours nouvelle. J’ai eu le privilège de rencontrer quelques grandes figures de prêtres ouvriers de la Mission de France et j’ai humblement mis mes pas dans leurs traces, comme je l’ai pu. J’ai retenu la radicalité de leur engagement, fait de disponibilité, d’intériorité et de ferveur, de fidélité aux petits et aux souffrants, et à leur suite j’ai tenté d’inscrire cette radicalité dans ma vie, j’ai ouvert mon domicile à de grands marginaux puis a des familles sans logement, tout en travaillant toute ma vie comme chargé de mission au ministère des affaires sociales, J’ai été un enfant de 1968, J’ai fait du syndicalisme, et j’ai milité pour la révolution sandiniste, imprégnée des évangiles, j’ai rejoint le mouvement Emmaüs, je me suis engagé en Roumanie avec lui, enfin je suis allé au Congo RDC pour ramener des enfants des rues dans leur famille. J’ai vécu toutes ces dimensions en recherche du sens profond de ma vie et avec la conscience qu’il était urgent de changer ce monde.

J’ai dans le cœur les souvenirs de mes engagements passés, celles des ferveurs sandinistes prêts a donner leur vie par amour pour leur peuple pauvre, J’ai aimé ces animateurs d’ « Emmaüs Coup de main » de Roumanie totalement investis dans la cause des jeunes de la rue ; ces travailleurs sociaux des Cemea à la mission presqu’impossible auprès des zonards ; ces psychologues identifiés a la cause des adolescents en souffrance, tenant bon malgré l’incertitude ou les pouvoirs publics les entrainaient, ces très jeunes enfants, ayant vécus dans les rues de Kinshasa, accourus en nombre exprimer leur joie pour le soutien reçu, j’ai le privilège aujourd’hui de partager ma vie quotidienne avec des familles migrantes et d’y rencontrer un monde bien réel de personnes qui peuvent être aussi bien généreuses et ouvertes qu’installées dans la méfiance relationnelle ou la défiance vis-à-vis des institutions, j’ai aimé ces petits déjeuner organisés à 4 heure du matin pour les zonard et jeunes encanaillés du festival d’Aurillac, ou ces jeunes racontaient leur vie  en confiance dans ce lieu suspendu a nulle part.

Les enjeux de notre situation actuelle :

Comment ignorer la situation indigne et dégradante réservée aux « Roms », aux sans-abris ? la souffrance imposée aux migrants et aux chômeurs ? Pour avoir pris ma part dans la solidarité avec

les « Roms », j’ai vu les brutalités institutionnelles qu’ils subissent, les privant de façon parfaitement illégale, d’école pour les enfants, d’eau potable pour leurs campements et de ramassage des ordures.

Comment ignorer également les systèmes financiers et de crédits internationaux qui asphyxient les peuples pauvres, et parfois les affament, les Institutions internationales qui agissent sous l’emprise d’idéologies économiques libérales meurtrières. Le pays parmi les plus pauvres de la planète que je fréquente chaque année, le Congo RDC, consacre 20% de son budget d’Etat annuel de 8 milliards de dollars a rembourser une dette abusivement considérée comme soutenable, qui n’a servi qu’a la consommation de luxe de l’ancien chef d’Etat Mobutu.

Comment ignorer les déséquilibres majeurs des politiques publiques : c’est ainsi que, en France, 18 départements connaissent une crise structurelle de logement tandis que 2,6 millions de logements sont vacants sur le reste de la France, que l’aménagement du territoire en cours va encore aggraver l’emprise de l’Ile de France sur le reste du pays alors que la région absorbe 85% des emplois supérieurs sur 2% du territoire.

Comment ignorer les racines de domination, d’humiliation et d’exclusion qui génèrent le terrorisme mondialisé au quel nous assistons.

Nous avons en nous les soifs qui annoncent les spiritualités à venir, nous le pressentons, toute vie peut s’accomplir dans un élan d’amour de la vie, accéder à cet « été invincible au milieu de l’hiver » dont parlait Albert Camus.

Daesh affirme « nous vaincrons par ce que nous aimons plus la mort que vous n’aimez la vie » C’est un message en creux invitant à aimer la vie. Je me suis trouvé place de la République quelques jours après les attentats, la foule mêlée a quelques proches des victimes était recueillie, un groupe dansait en se tenant les mains à côté d’un piano couvert de bougies, on se regardait, on me donnait une bougie, j’aidais une dame à prendre une photo, contre la barbarie était né un moment de fraternité, un père d’une victime a dit que cette fraternité l’aidait à traverser l’épreuve.

REJOINDRE LE MONDE RÉEL, LA JUSTICE ET L’ESPÉRANCE DES HOMMES

Tout être humain porte en lui un potentiel d’amour de la vie, semblable à celui qui inspire les évangiles, une énergie pour se mettre en marche, pour être acteur, pour sortir de l’indifférence au monde, pour préserver sa droiture et sa hauteur de vue, se réconcilier, résister pour que toute leurs places soit laissée aux pauvres, aux étrangers, aux exclus dans nos relations de proximité comme l’espace publique et les décisions collectives. Restreindre ce potentiel évangélique à sa seule libération spirituelle me parait une limitation tragique, de même que l’enfermer dans un discours coupé de la vie réelle, dans un faux transcendant « vieux comme la mort » disait Marie Dominique Chenu, ce grand théologien qui demandait à l’Eglise d’entrer dans l’histoire. Il nous faut continuer d’abattre le mur de séparation avec la vie réelle, avec ceux de nos contemporains qui cherchent sincèrement la justice et le droit des pauvres et y ajouter toujours la ferveur et la fraternité.

Olivier CHAZY 2016

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