Les répercussions de ses paroles, comme lors de sa courageuse tirade contre les fantasmes identitaires de l’extrême droite il y a peu à Marseille, sont légion et démontrent que les appels du Saint-Père dépassent largement la communauté catholique. En quoi ce nouvel écrit s’appuie sur une prise de position écologiste radicale et comment expliquer un tel rayonnement auprès de laïcs et d’athées ?

La critique décroissante

Outre les références aux Évangiles comme l’invitation de saint François d’Assise à chérir le Vivant, ce sont bien les idées politiques radicales qui ressortent de la lecture du Laudate Deum. Si le souverain pontife déroule une vision spirituelle du mal qui ronge l’habitabilité de notre planète en faisant référence aux « gémissements de la terre », son analyse reste très concrète.

Le pape y décrit le capitalisme comme « une manière de comprendre la vie et l’activité humaine qui a dévié (…) jusqu’à lui nuire », reprenant la critique décroissante. En fustigeant à maintes reprises la recherche débridée du profit, il rend visible ce que tout le monde sait : que notre modèle économique ne cherche qu’une chose : s’agiter toujours plus, détruire, produire encore et encore au nom d’une approche consumériste de la prospérité. Une vision de la vie comme une éternelle prospection en quête d’une croissance matériellement inatteignable et moralement condamnable pour le pape.

Des arguments classiques de l’anticapitalisme

En reprenant des arguments classiques de l’anticapitalisme, le pape soulève des points que l’on retrouve dans la bouche d’Aurélien Barrau et des militants écologistes. Le Saint-Père condamne ainsi la « décadence éthique du pouvoir réel déguisée par le marketing » et accuse nos élites de nous faire miroiter de faux progrès.

Selon lui, lorsqu’on lance « un projet à fort impact environnemental et aux effets polluants, on illusionne les habitants de la région en leur parlant du progrès local (...), il résultera une terre dévastée, une région désolée, sans vie et sans la joie de la coexistence ». Quel meilleur requiem contre des projets mortifères comme l’A69 ou l’Eacop, condamnés par citoyens et scientifiques, mais soutenus par les élites économiques et politiques ?

Le pape inscrit dans une perspective marxiste

Non seulement le pape explique que la croissance est incompatible avec la préservation des ressources, mais il condamne la pensée techno-solutionniste qui la sous-tend. Il déclare que « les ressources naturelles nécessaires à la technologie comme le lithium, le silicium ne sont certes pas illimitées, mais le plus grand problème est l’idéologie qui sous-tend une obsession ». Cette croyance répandue selon laquelle la technologie nous sauverait de nos excès est une « façon monstrueuse » d’alimenter notre présent paradigme technocratique selon lui.

Comme développé dans le concept de décroissance prospère, le souverain pontife choisit de remettre en cause le fonctionnement élémentaire de notre modèle. Il fustige « la logique du profit maximum au moindre coût, déguisée en rationalité (…) et en promesses illusoires (qui) rend impossible tout souci sincère de la maison commune et pour la promotion des laissés-pour-compte ». Outre la condamnation des ravages sur le Vivant, le pape François s’inscrit aussi dans une perspective marxiste en interrogeant en profondeur la détention très inégalitaire du pouvoir dans notre société.

Des messages aussi spirituels que politiques

De fait, il critique l’accumulation de richesses à laquelle mène invariablement le capitalisme en la reliant à la question du pouvoir : « En quelles mains se trouve (…) tant de pouvoir ? Il est terriblement risqué qu’il réside en une petite partie de l’humanité ». Brisant le leurre néolibéral, le pape François dénonce « la soi-disant “méritocratie” qui est devenue un pouvoir humain “mérité” auquel tout doit se soumettre, une domination de ceux qui sont nés dans de meilleures conditions de développement ». Il est clair que le Saint-Père reprend à son compte une lecture de luttes des classes.

Si les messages du pape sont entendus au sein des sphères laïques, c’est parce qu’ils sont aussi spirituels que politiques. Pas dans le sens politicien du terme, mais dans sa version noble : celle du service de la Cité. Ce nouvel appel est un message spirituel charriant une force immense, épousant les thématiques écologistes de Nausicaä de la Vallée du Vent, et les idées anti-productivistes du Seigneur des anneaux. On ne peut s’empêcher de faire le lien avec le refus qu’ont formulé il y a peu les moines chartreux d’augmenter leur production, refusant philosophiquement le concept de croissance infinie.

Pour ma part, je ne suis pas croyant mais respecte la spiritualité des religions, et je trouve inspirant pour l’Église d’avoir un tel pape. Des leçons d’humanité à Marseille aux enjeux d’écologie radicale, cet homme distille des messages de paix, d’espoir et de prospérité post-capitalisme. Serait il donc un papo-gauchiste comme disent certains ?

Non, il fait simplement preuve d’humanité et de bon sens, et c’est en cela qu’il a des années-lumière d’avance sur nos dirigeants. À ceux qui s’illusionnent encore sur la capacité du capitalisme à nous sauver, méditez ce passage du Laudate Deum : « Face au visage des enfants qui paieront les dégâts de leurs action, la question du sens se pose : quel est le sens de ma vie , quel est le sens de mon passage sur terre (…) et de mes efforts ? »