22/12/2023
SOMNAMBULES !
Publié le
Le mot est à la mode. Il ne fait pas référence à un trouble du sommeil mais à un manque de lucidité politique et reprend le titre de l’ouvrage de l’historien australien Christopher Clark sur les causes de la Grande Guerre, paru voilà dix ans. Le somnambule (sleepwalker) marche dans son sommeil. Il est capable de faire des parcours et des gestes de la vie quotidienne sans en avoir la moindre conscience ; il dort. L’accusation de somnambulisme porte tantôt sur notre aveuglement face à la crise climatique, plus souvent sur le risque d’une déflagration mondiale dont la guerre en Ukraine serait le premier acte. Cette dangereuse marche sans conscience désigne aussi la torpeur des démocraties face au péril des autoritarismes qui les menacent en interne, Trump aux États-Unis, Rassemblement national en France pour ne prendre que deux exemples.
Les deux épisodes, quasiment jumeaux, de refus de financement du conflit ukrainien par un Congrès américain entravé par les Républicains ou au sommet européen sous la pression du Hongrois Viktor Orbán en sont l’inquiétante illustration. Il arrive aussi que les accusations se croisent. En France, la droite dure accuse de somnambulisme ceux qui, prétend-elle, laissent l’identité française se dissoudre face à l’afflux d’étrangers, la gauche retourne l’accusation envers ceux qui croient pouvoir refermer le monde et vivre dans l’entre-soi et l’autrefois.
Les métaphores autour du sommeil font florès. On traite certains de rêveurs – parfois doux. Une partie de la jeunesse se revendique « woke », éveillée. Et chacun veut éviter que l’avenir soit un cauchemar.
Noël nous parle aussi de veille. Dans l’Évangile de Luc, des bergers qui veillent dans les champs sont appelés à reconnaître le Sauveur promis à l’humanité. Dans celui de Matthieu, des sages étrangers qui surveillent le ciel voient se lever l’étoile d’un nouveau souverain et s’engagent dans un long périple pour le saluer. Et ce qu’ils trouvent n’est pas un rêve, juste un enfant au sein de sa mère, une vie minuscule porteuse de l’Espérance en majuscule.
Ainsi est la réalité, âpre et rude comme la paille de l’étable. Les chrétiens ne sont pas plus rêveurs que somnambules. Depuis plus de deux mille ans, ils tentent de vivre les yeux ouverts aux côtés d’un Dieu qui n’est pas dans les étoiles mais dans le frémissement de la chair.
Christine Pedotti
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