15/03/2024
L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE S'IMMISCE DANS LES SERIES
LA CROIX 15/03/2024/ CULTURE
- Les nouvelles technologies génératives font progressivement leur entrée dans le processus de fabrication des œuvres audiovisuelles, suscitant l’intérêt autant que l’inquiétude des professionnels.
- Un thème d’actualité dont s’empare cette année le festival Séries Mania, qui ouvre ses portes ce vendredi à Lille.
Le Problème à trois corps est projeté ce soir en ouverture du festival Séries Mania. Dans cette série de science-fiction à gros budget, diffusée sur Netflix à partir du 21 mars, les créateurs de Game of Thrones, David Benioff et D. B. Weiss, imaginent une intelligence artificielle capable d’influer sur le cours de l’histoire. Demain, le public lillois découvrira également Rematch (Arte, en compétition internationale) sur la fameuse partie d’échecs opposant en 1997 le champion Garry Kasparov et Deep Blue, le supercalculateur d’IBM. Un bras de fer entre l’humain et la machine transformé ici en thriller psychologique.
En l’espace de deux jours, deux séries à la tonalité plutôt sombre abordent donc la question de l’intelligence artificielle. Mais l’IA n’est pas qu’un support pour l’imagination. « Ces technologies se diffusent et évoluent très vite, c’est important de s’y préparer », souligne Anne Bouverot. La présidente de Séries Mania est bien placée pour le savoir : titulaire d’un doctorat en intelligence artificielle à l’École normale supérieure, cette ancienne ingénieure télécoms vient de rendre à Emmanuel Macron un rapport dans lequel une quinzaine d’experts dressent 25 recommandations pour accompagner cette « révolution technologique incontournable » dans l’ensemble des secteurs d’activité.
Dans l’industrie audiovisuelle, le développement de l’IA suscite questionnements et inquiétudes dont la sixième édition des « Dialogues de Lille », le rendez-vous professionnel du festival, se fait largement l’écho. Plusieurs tables rondes tentent d’évaluer son impact et la nécessité d’encadrer son utilisation par des accords professionnels ou des politiques publiques. En parallèle des débats, le Séries Mania Institute, qui accueille cette année une centaine de participants, fait intervenir des spécialistes de l’intelligence artificielle dans les formations destinées aux scénaristes et aux producteurs, et projette de lancer l’an prochain une formation dédiée.
Une question flotte sur toutes les lèvres : l’intelligence artificielle représente-t-elle une opportunité ou une menace pour la filière ? Difficile de trancher à ce jour. Comme le montre l’étude prospective réalisée par le cabinet Bearing Point pour le CNC (le Centre national du cinéma et de l’image animée), certaines professions vont être amenées à évoluer, voire à disparaître, à court terme. Avec les progrès exponentiels des effets spéciaux et du « sound design », maquilleurs-prothésistes, cascadeurs, décorateurs ou encore bruiteurs pourraient perdre de leur utilité. Quant au doublage, qui permettait jusqu’ici à de nombreux comédiens de boucler leur fin de mois, il peut désormais être réalisé par des logiciels qui modifient même le mouvement des lèvres en fonction de la langue.
Le cas des scénaristes est plus complexe. Selon un sondage récent réalisé par la Cité des scénaristes et l’Afdas, 34 % d’entre eux ont déjà utilisé une intelligence artificielle. Pour autant, comme le rappelle Frédéric Krivine, élu du conseil d’administration de la Guilde française des scénaristes, « aucune série à ce jour n’a été écrite majoritairement ou même significativement avec cette technologie ». En revanche, les auteurs peuvent puiser des idées dans le dialogue avec la machine : « C’est une sorte d’aide au développement, même si de nombreux scénaristes estiment irremplaçable l’échange humain. »
Seules les séries quotidiennes peuvent y voir un réel gain de productivité : nourri par les centaines d’épisodes des saisons passées, un logiciel pourrait fournir en un temps record de nouveaux scénarios, peaufinés ensuite en atelier. « Trois scénaristes réaliseront en trois jours ce que 25 font actuellement en une semaine », estime Frédéric Krivine. Selon David Defendi, fondateur de Genario, son logiciel peut également effectuer des tâches rébarbatives, comme le découpage en séquences lors de l’adaptation d’un livre en scénario. « Un romancier peut désormais transposer lui-même son texte à l’écran », se réjouit-il. En mettant à la portée de tous des techniques et des compétences autrefois réservées à une élite, l’intelligence artificielle sera, selon lui, un « formidable moyen de favoriser la diversité et l’inclusion ». Il imagine déjà des séries innovantes écrites par des habitants des cités ou des collectifs d’artistes.
Cécile Jaurès chroniqueuse RADIO FRANCE
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