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01/12/2021

MIGRANTS, CHANGER DE VISION

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Si loin, si proches
Migrants, changer de vision
Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef à La Croix

Pendant quelques jours, on a pu croire que l’Europe allait être envahie. Ce n’était pas les Huns ni l’Armée rouge mais quand même « la plus grande tentative de dé-stabilisation de l’Europe » depuis la guerre froide, selon le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki. Des milliers de migrants attendaient en Biélorussie de pouvoir franchir la frontière. Pour les en empêcher, Varsovie a bouclé la zone, déployé plusieurs milliers de soldats, gardes-frontières et policiers. Des clandestins ont été débusqués jusque dans les hôpitaux.

Ce flux migratoire ne devait rien au hasard. Les Européens ont établi que la Biélorussie avait délibérément acheminé les migrants à cette frontière, après avoir délivré des visas et affrété des vols à partir de capitales du Moyen-Orient. L’autocrate Alexandre Loukachenko se vengeait ainsi des sanctions infligées à son régime depuis l’élection présidentielle truquée d’août 2020, qu’il affirme avoir emportée. Ses services ont activé des réseaux de passeurs au Kurdistan, en Syrie, au Liban, faisant miroiter un accès facile vers l’Allemagne, nouvel eldorado. Les mafias ont récolté une manne en suscitant l’élan d’hommes et de femmes jeunes, parfois avec enfants, désireux de fuir un avenir désespérant. La Pologne affirme avoir enregistré au total plus de 34 000 tentatives de franchissement de sa frontière, avec un pic en octobre. La Biélorussie a évoqué le chiffre de 7 000 migrants sur son sol, dont plusieurs centaines ont été depuis rapatriés. Selon les ONG, 11 personnes sont mortes durant la traque, de froid ou de maladie.

L’Union européenne a fini par faire reculer le potentat de Minsk. La compagnie aérienne biélorusse va être punie et la Commission propose un texte visant à pouvoir sanctionner à l’avenir « les sociétés complices de traite et de trafic de migrants ».

Fin de l’épisode ? La question des migrants est récurrente depuis vingt ans mais rarement elle aura pu être appréhendée avec autant de facilité. Les spectateurs que nous étions en ont perçu toute la dramaturgie : comme dans une tragédie grecque, la raison d’État a broyé les destinées humaines. Mais comment ne pas en garder un profond goût d’amertume. Quoi ? Étions-nous vraiment menacés par ces milliers de personnes cherchant un avenir meilleur ? N’était-il pas possible de trouver des solutions plus respectueuses de la dignité humaine ?

La question migratoire est difficile et malheureusement dans une impasse à l’échelle européenne. La plupart des gouvernements sont tétanisés par la dimension politique de l’enjeu. L’Union ne réussit pas à dégager de nouvelles formes de solidarité entre ses membres. Elle parvient malgré tout à peser sur ses voisins en vue de limiter les flux migratoires et de faire respecter ses frontières. Mais elle est sur la défensive et manque d’assurance. Une nouvelle stratégie nécessiterait de travailler sur les représentations que les citoyens ont des migrants. Une attitude plus confiante dans la rencontre et l’altérité devrait être stimulée, notamment en observant le passé. L’Europe a toujours été un continent d’arrivées et de départs. C’est ce que raconte l’exposition « Picasso l’étranger », au Musée national de l’histoire de l’immigration, à Paris (1). L’exilé catalan est devenu une figure mondiale de l’art en France. Picasso n’a pourtant jamais été naturalisé français et il a, de ce fait, longtemps vécu dans l’insécurité.

(1) Jusqu’au 13 février. histoire-immigration.fr

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