Le drame de la noyade de vingt-sept personnes, femmes, hommes et enfants entre les côtes française et anglaise nous donne envie de pleurer. Nous savions pourtant que cela allait arriver ; nous savons que cela arrivera de nouveau. Nous savons aussi que les conditions de survie à proximité des lieux d’embarquement sont épouvantables et inhumaines. Et pourtant, à part pleurer, crier, nous indigner, nous ne savons pas ce qu’il faut faire.
Nous nous sommes fait récemment l’écho dans nos colonnes des trois personnes qui étaient en grève de la faim pour protester contre les exactions des forces publiques françaises qui détruisent les campements de fortune. Mais nous savons aussi que la constitution de camps assurant des conditions de vie moins inhumaines aux abords d’une mer que les autorités de part et d’autre veulent maintenir aussi infranchissable qu’un mur n’est pas une solution non plus… Nous avons également compris que les accords du Touquet, qui déplacent la frontière britannique sur la côte française, aggravent l’impasse dans laquelle nous sommes. Et nous voyons bien que Boris Johnson profite allégrement de la situation pour asseoir la légitimité d’un Brexit qui commence à coûter très cher à ses concitoyens. Nos cris, notre indignation s’opposent en vain au cynisme politique, qui s’appuie des opinions publiques qui partout en Europe redoutent l’afflux de populations réputées inassimilables et nourrissent des fantasmes de remplacement et de destruction de notre modèle culturel.
Et puis, il y a Maryam, une jeune femme kurde de 24 ans qui voulait rejoindre son fiancé, résident légal au Royaume-Uni. Sur les photos qu’elle a postées sur les réseaux sociaux avant son départ, elle est belle comme un soleil, resplendissante de bonheur et d’espoir. Elle croit qu’elle a la vie devant elle. Sauf que le Royaume-Uni a fermé sa frontière ; bien qu’elle ait un visa italien, elle ne peut traverser. L’amour fait des miracles, croit-elle, et, par un jour sombre de novembre, sans crainte, elle embarque sur un frêle esquif et prévient son amoureux qu’elle arrive. La Manche sera son tombeau ; une histoire belle et tragique comme un livret d’opéra.
Combien faudra-t-il de Maryam pour provoquer un sursaut d’humanité ?
Christine Pedotti
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