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13/11/2022

LE JUSTE ENRACINEMENT - FREDERIC BOYER écrivain -

LA CROIX hebdo samedi 12/11/2022 - CHRONIQUE 

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Frédéric BOYER - écrivain

La confusion règne chez bien des catholiques qui dénoncent le soi-disant « multiculturalisme » de l’Église (celle de François), face à la crise migratoire et identitaire. L’Église devient alors instrumentalisée et érigée en gardienne des traditions nationales et culturelles, pour dénoncer le « métissage » du monde, alors même que nous entrons dans une ère radicalement nouvelle de l’Histoire où notre responsabilité commune devant les crises et les catastrophes, d’ores et déjà présentes, devrait nous conduire à repenser notre rapport au monde et à autrui selon les « aspirations chrétiennes » (ce mot convient plus que valeurs, disait Simone Weil) de la charité et de l’espérance. Catholiques, nous devons faire preuve de courage et d’invention dans l’anamnèse de notre utopie chrétienne. Le repli sur des identités épuisées, malades et souvent fantasmées, n’est pas une solution mais un remède pire que le mal.

Rappelons que la Torah et nos Bibles s’ouvrent non pas sur la création d’un peuple ou d’une nation mais sur la Création universelle, placée sous la responsabilité harmonieuse de l’humanité. Si nous avons le devoir de nous « multiplier » sur toute la terre, nous avons aussi celui de ne pas verser le sang. L’un ne peut être honoré sans l’autre. Et j’ajouterais : de ne pas inverser la Création en détruisant le monde créé. Le Dieu de la Bible est le Seigneur de toute la Création et de toute l’humanité, jamais le Seigneur de quelques-uns. Il appelle Abraham, et sa descendance après lui, à une alliance particulière, mais au service de toutes les « familles de la Terre » (« En toi seront bénies toutes les familles de la Terre », Gn 12, 3). Le particularisme de l’élection s’entend au service de l’universalisme du salut qui s’étend à tous et à la Création comme « Terre » où vivre ensemble. Sans cela, notre « élection » n’est qu’un mensonge. Et l’universalisme ne peut être que celui du respect et de l’amour de tous et de chacun. Sans cela, notre « universalisme » n’est qu’un mensonge. Pour nous, chrétiens, des formes institutionnelles de souveraineté partagée ne peuvent constituer une menace pour les peuples et les nations, mais au contraire permettre la garantie d’identités diverses au service du « monde commun ». Les chrétiens espèrent la cité céleste à venir comme le lieu et le temps de la réconciliation des nations antagonistes. Cette utopie spirituelle et politique est notre aspiration.

C’était le sens de l’appel de Jean XXIII dans Pacem in terris (1963) en faveur d’une autorité mondiale indispensable pour gérer le bien commun de l’humanité. Qui ne nous appartient pas comme une conquête ou un dû mais est placé sous notre responsabilité infinie. Le trésor de l’enracinement de l’humanité dans des terres, des traditions, des cultures, ne pourra jamais être l’alibi des guerres et des exclusions, sous peine d’être un remède pire que le mal contre lequel il prétend lutter. Cet enracinement ne s’entend que s’il devient le socle du partage et de la responsabilité de tous pour chacun. « Un chrétien, affirmait Simone Weil, ne devrait pouvoir en tirer qu’une seule conclusion : c’est qu’au lieu qu’on doit au salut de l’âme, c’est-à-dire à Dieu, une fidélité totale, absolue, inconditionnée, la cause du salut de l’État est de celles auxquelles on doit une fidélité limitée et conditionnelle » (L’Enracinement). En reprenant Simone Weil aujourd’hui, les chrétiens ont le devoir de lutter contre le déracinement des êtres et celui de la Création parce que de cette lutte dépend notre propre enracinement dans la vie créée et au service de tous. Et abandonner les besoins des autres et du monde sous prétexte que mes propres besoins particuliers seraient menacés ne sera jamais le juste enracinement, mais une impasse sanglante.

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