22/02/2024
CARÊME ET RAMADAN: MÊME DEMARCHE ? UNE RELIGIEUSE ET UN IMAM EN DEBATTENT.
- Sœur Juliette Ploquin religieuse xavière
- Kalilou Sylla, imam de la Grande Mosquée de Strasbourg
Cette année, le Carême, qui a débuté ce mercredi 14 février, se superposera avec le Ramadan. À cette occasion, La Croix fait dialoguer la religieuse xavière Juliette Ploquin et l’imam de la Grande Mosquée de Strasbourg Kalilou Sylla sur le sens de cette période. Jeûne, prière, charité : les deux démarches partagent des points communs mais demeurent bien différentes.
Soeur Juliette Ploquin et l’imam Kalilou Sylla, le 5 février - Bruno Levy pour La Croix
entretien : Marguerite de Lasa et Héloïse de Neuville,
Deux temps précieux pour les croyants chrétiens et musulmans
Dans notre société plurielle où l’islam progresse et la culture religieuse recule, l’association se fait de plus en plus fréquemment : le Carême est assimilé au « Ramadan des chrétiens », et vice versa. Pour bon nombre de Français, ces périodes d’ascèse, de jeûne et de prière se ressembleraient, quitte à se confondre.
Pourtant, leur sens est bien différent. Nous avons voulu mettre en regard Carême et Ramadan dont les dates, cette année, se superposent en partie, pour comprendre comment catholiques et musulmans vivent aujourd’hui ce temps fort de leur vie de foi, leurs différences radicales, leurs influences possibles, mais aussi leur perméabilité aux tendances contemporaines. D’un côté, le Carême est une période privilégiée de conversion – « s’abaisser » en suivant le Christ jusqu’à Pâques –, de l’autre, le Ramadan apparaît comme une voie de progression personnelle – pour « monter d’un cran » dans sa ferveur de croyant…
Voilà quelques-unes des distinctions qui apparaissent dans le dialogue entre sœur Juliette Ploquin, religieuse xavière, et Kalilou Sylla, imam de la Grande Mosquée de Strasbourg. S’ils ne sont pas les ambassadeurs de leur religion respective, dont les courants et sensibilités sont multiples, tous deux sont, par leurs missions respectives et leur âge – moins de 40 ans –, des observateurs privilégiés de la manière dont les jeunes catholiques et musulmans se réapproprient ces temps forts de leur religion.
La Croix : Dans notre société où la culture religieuse recule, Carême et Ramadan ont de plus en plus tendance à être associés. Que représentent-ils dans vos religions respectives ?
Sœur Juliette Ploquin : Le Carême est la période des quarante jours qui précèdent Pâques. Ce sont quarante jours de préparation, de jeûne, de conversion pour préparer son cœur à la plus grande fête des chrétiens, la résurrection du Christ. Au sens strict, le mercredi des Cendres et le Vendredi saint sont des jours de jeûne. Pendant le reste du Carême, nous sommes invités à nous priver de ce qui est superflu, et à porter une attention particulière à la vie spirituelle. Et puis, nous essayons de nous tourner à la fois vers Dieu et vers l’autre, notamment les pauvres, malades ou souffrants. Personnellement, c’est un temps qui m’aide à faire un travail de relecture et de discernement, pour demander dans la prière : Seigneur, là où j’en suis aujourd’hui, quelle est la conversion à laquelle tu m’appelles ?
Kalilou Sylla : Le Ramadan est le nom du neuvième mois du calendrier lunaire, utilisé par les musulmans dans leur pratique religieuse. À ce mois est associée une adoration particulière : le jeûne, qui constitue l’un des cinq piliers de l’islam. Le jeûne consiste à s’abstenir de manger, de boire et d’avoir des relations intimes de l’aube au coucher du soleil. Pendant le mois du Ramadan, cette obligation s’appuie sur la deuxième sourate du Coran où Dieu dit : « Ô vous qui avez cru, nous avons prescrit le jeûne, comme on l’a prescrit aux communautés qui vous ont précédés. Ainsi, peut-être atteindrez-vous la piété. »
Dans le Ramadan, l’effort de privation semble vraiment physique, tandis que dans le Carême, il se joue peut-être quelque chose de plus immatériel. Qu’en pensez-vous ?
K. S. : Quand on parle du jeûne du Ramadan, on fait généralement allusion à l’obligation légale du Coran, mais cette période comporte aussi une vraie dimension spirituelle : un jeûne intérieur. Des courants de l’islam ont tendance à appuyer sur cet aspect technique et prescriptif. Or jeûner c’est bien, mais jeûner avec un objectif, en sachant quelle interprétation on donne à cette privation, c’est mieux.
Nous savons que nous n’allons pas manger ni boire, mais nous tentons aussi de nous détourner de tout ce qui n’est pas Dieu et de nous connecter le plus possible à notre Seigneur. Il s’agit donc vraiment de dépasser le seul jeûne technique, pour aller vers quelque chose de beaucoup plus spirituel. En écoutant votre définition du Carême, j’ai le sentiment qu’on pourrait presque l’utiliser comme définition du jeûne spirituel dans l’islam.
Y a-t-il un modèle à suivre pendant le Ramadan ?
K. S. : Pendant le Ramadan, nous disons que l’idée est de prendre exemple sur les anges, qui ne mangent pas, ne boivent pas, n’ont pas de relations intimes, et passent leur temps à adorer Dieu. Nous avons cette recommandation de multiplier les actes de bienfaisance et particulièrement de lire le Coran – qui a été révélé pendant le Ramadan au prophète Mohammed – que nous pouvons lire entièrement pendant tout le mois.
Sœur Juliette, ces dernières années l’ascèse retrouve un certain succès chez les catholiques. Faut-il y voir une influence du Ramadan ?
S. J. P. : Il peut y avoir une tendance chez les chrétiens à se dire que le Carême est uniquement spirituel, qu’on peut donc mettre de côté tous les efforts concrets. Je pense que, sur ce sujet, les musulmans viennent en effet nous interpeller. Voir des amis musulmans qui, eux, font le Ramadan sans la pudeur que nous avons parfois comme catholiques, interpelle les chrétiens qui peuvent se demander : « Et moi ? Qu’est-ce que c’est, mon Carême ? »
J’ai l’impression qu’aujourd’hui, certains jeunes redécouvrent ce temps, avec une soif de pratiques concrètes et parfois radicales : temps de Carême de 90 jours, jeûne d’alcool ou de viande, douches froides…
Le Carême est un chemin vers la plus grande fête chrétienne, la résurrection du Christ. Quelle est la perspective du Ramadan ?
K. S. : Le Ramadan est la période qui nous permet de « monter d’un cran ». C’est aussi le mois qui permet de renforcer l’éducation spirituelle, dans laquelle doit se lancer tout croyant pendant sa vie : l’objectif est de se purifier autant que possible des défauts spirituels – comme la haine, la méchanceté, l’envie, l’avarice – pour se rapprocher autant que faire se peut de l’excellence – « al-ihsân » – ou du bel-agir, c’est-à-dire la meilleure manière de faire les choses. L’idée est de dompter son ego.
Pendant cette période, la dimension de progression est très présente : beaucoup de jeunes tiennent d’ailleurs une sorte de calendrier pour noter les passages du Coran qu’ils lisent chaque jour, le nombre de prières qu’ils font… Il s’agit vraiment de mettre les bouchées doubles, de recharger ses batteries pour garder la même constance toute l’année. Et monter encore d’un cran l’année suivante.
L’objectif du Carême est-il également d’atteindre une forme de virtuosité religieuse ?
S. J. P. : La notion de virtuosité est piégeuse : dans la foi chrétienne, pour progresser, il faut commencer par s’abaisser. Je crois que nous sommes plutôt invités à reconnaître nos péchés et à faire l’expérience de la dépendance totale à Dieu. La dimension de vertu morale – même si elle est présente – me semble presque secondaire.
Pendant le Carême, nous partons avec le Christ traverser ce qu’il a vécu : les quarante jours dans le désert, la Semaine sainte qui s’ouvre lorsque Jésus entre dans Jérusalem, puis nous faisons tout le parcours avec lui jusqu’à sa Passion, sa mort et sa résurrection. C’est une façon d’inscrire dans notre temps et dans notre chair le cœur de la foi chrétienne. Cette notion de progression est présente et, en même temps, elle ne va pas sans la grâce. C’est-à-dire que, quels que soient nos efforts, ce n’est pas nous qui nous sauvons, c’est le Christ qui nous sauve par sa mort et sa résurrection.
Aujourd’hui, ces formes de jeûne peuvent être assimilées à des pratiques de développement personnel qui se multiplient en dehors des religions traditionnelles. Le Carême et le Ramadan suivent-ils ces logiques ? S’agit-il de devenir la meilleure version de soi-même ?
S. J. P. : Effectivement, c’est une tendance très volontariste qu’on observe parfois chez des jeunes chrétiens. Pourtant je crois qu’être chrétien, ce n’est pas vouloir devenir la meilleure version de soi-même, mais chercher à ce que le Christ vive en nous. Cela signifie mourir à soi-même et, en un sens, c’est l’opposé du développement personnel. Dans le développement personnel, on est soi-même son propre but : on va se ciseler un corps parfait, une âme forte, etc. Or ce qui est fondamental, c’est la relation à Dieu.
Il est nécessaire de discerner ce qui est bon pour nous pour approfondir cette relation, et ne pas tomber dans la tentation de la toute-puissance ou de la maîtrise absolue. Parce que le Christ que nous suivons est tout-puissant, mais pas de la manière dont on l’imagine : c’est la toute-puissance de l’amour qui passe par l’humilité et le don de soi.
Kalilou Sylla, que vous inspire cet objectif de devenir « la meilleure version de soi-même » ? Pendant le Ramadan, n’est-ce pas ce que l’on recherche ?
K. S. : J’ai envie de dire si ! (Rires.) Nous nous fondons sur des textes importants pour nous, dans lequel le prophète dit : « Dieu a prescrit l’excellence en toute chose. » Dans la tradition musulmane, Dieu nous a donné un cadre et, en fonction du contexte, de la place qui est la nôtre, chacun doit essayer d’être, autant qu’il lui est possible, le meilleur qu’il peut. Jusqu’à parvenir à l’excellence dans la manière de vivre.
Nous devons vivre comme si nous voyions Dieu – « car si tu ne Le vois pas, Lui, Il te voit », dit la tradition prophétique. Mais malgré tous nos efforts, nous savons que nous n’aurons jamais fait tout ce qui est nécessaire et qui sied à la majesté divine.
Le Carême et le Ramadan sont deux périodes qui peuvent être éprouvantes. Qu’y trouvez-vous de gratifiant ?
S. J. P. : C’est de faire l’expérience que cela me rapproche de Dieu. La liturgie catholique est vraiment magnifique pour cela : nous progressons de dimanche en dimanche, pour creuser ce désir de Dieu qui est très fort, et finalement arriver à Pâques. J’ai en tête une image amoureuse : pendant quarante jours je l’attends, je l’attends, je l’attends… Et enfin, à Pâques, il est là, c’est incroyable, c’est la fête.
Pendant tout le Carême, dans la liturgie catholique, nous ne chantons jamais l’Alléluia, parce que c’est un temps de pénitence. Et à la vigile pascale, pendant la nuit, nous vivons cette messe très longue où nous relisons toute l’histoire du salut. Et enfin, on entend le premier Alléluia qui résonne depuis quarante jours. Que c’est beau de pouvoir chanter Dieu ! C’est vraiment la vie qui revient.
K. S. : Je rejoins un peu ce que dit sœur Juliette : pendant le Ramadan, nous prenons conscience qu’une autre vie est possible. Nous voyons que nous avons la capacité de vivre autrement, de nous priver d’un certain nombre de choses. À la fin du mois, on se rend compte qu’on a fait énormément d’efforts. Alors pourquoi ne pas poursuivre ?
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Deux animateurs tournés vers les jeunes
Sœur Juliette Ploquin a 36 ans, elle est entrée dans la vie religieuse il y a huit ans. Xavière, elle vit actuellement en communauté à Créteil, suit des études de théologie et participe à animer le réseau Magis, qui regroupe des jeunes de 18 à 35 ans. Cette année, elle a participé à élaborer un calendrier de Carême pour les jeunes.
Kalilou Sylla a 28 ans, il est imam de la Grande Mosquée de Strasbourg. Originaire de Sevran (Seine-Saint-Denis), il est parti après son bac étudier la théologie musulmane à l’Institut Mohammed-VI de formation des imams, au Maroc. Dans le cadre de ses fonctions d’imam, il a lancé les assises de la jeunesse, des séances hebdomadaires d’échanges avec les jeunes.
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11:09 Publié dans FOI, RELIGION, SPIRITUALITE | Lien permanent | Commentaires (0)
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