23/02/2024
CHRISTOPH THEOBALD : UN NOUVEAU CONCILE QUI NE DIT PAS SON NOM ?
Et si Christoph Théobald finissait par nous rendre optimistes sur l’issue du Synode…
Il est, pour chacun de nous, des livres qui font date parce qu’ils nous font entrer dans une autre dimension de la réflexion sur des sujets qui nous importent. C’est ce qui vient de m’arriver avec Un nouveau concile qui ne dit pas son nom ? du théologien jésuite franco-allemand Christoph Théobald (1). L’ouvrage documente l‘enracinement de la synodalité dans la Tradition de l’Église. Il décrit et argumente l’élargissement opéré par le pape François : de la collégialité épiscopale chère à Vatican II à la synodalité de l’ensemble du Peuple du Dieu, conforme à l’esprit du Concile. Mais surtout il finit par nous convaincre que ce pourrait être là l’entrée du Catholicisme dans une nouvelle ère « messianique » de son histoire. Et que cette évidence finira par s’imposer contre toutes les réticences, notamment ecclésiastiques. A lire, d’urgence !
Christoph Théobald, qui est l’un de nos meilleurs théologiens, a participé, comme expert, à la première Assemblée qui s’est tenue à Rome au mois d’octobre 2023. Il l’a donc vécue de l’intérieur après en avoir observé et analysé les phases préparatoires. Son livre nous remet en mémoire les jalons essentiels de ce Synode sur la synodalité : sa convocation officielle par le pape François le 10 octobre 2021, les différentes étapes : paroissiales, diocésaines, nationales puis continentales de la consultation préalable, jusqu’à la tenue de la première session. Il souligne les traits majeurs, parfois convergents, parfois divergents, des différents textes de synthèses issus des Églises de tous les pays et continents, fidèlement assumés dans les documents officiels comme l’Instrumentum laboris. Mais surtout, il met sa riche culture théologique et historique au service d’une mise en contexte et en perspective de ce synode. Et c’est là qu’il devient passionnant.
Le synode « nouveau » comme mise en œuvre du Concile
Ce n’est pas un hasard si l’auteur ouvre son premier chapitre sur le rappel des propos du cardinal Martini, archevêque de Milan aujourd’hui disparu, lors du Synode sur l’Europe de 1999. Évoquant dans son intervention « des nœuds disciplinaires et doctrinaux peu évoqués ces jours-ci… » il en avait appelé, publiquement, à l’urgence d’un nouveau concile. On sait que Vatican II naquit de la perception par le « bon » pape Jean XXIII de la nécessité d’un “aggiornamento“ (mise à jour) de l’Église catholique pour tenter de combler un peu du fossé qui s’était creusé avec le monde moderne. Or, dans l’esprit même du Concile, cet aggiornamento ne pouvait être tenu pour terminé à la clôture de ses travaux. C’est la raison pour laquelle Paul VI avait, dès 1965, institué le Synode des évêques. Avec les limites que l’on sait et que souligne – trente-cinq ans plus tard à peine – la proposition de nouveau Concile du cardinal Martini. Aujourd’hui, rapporte Christophe Théobald, la Commission théologique internationale interprète la synodalité selon le pape François comme une invitation à franchir le « seuil d’un nouveau départ… dans les traces du Concile Vatican II. » (2)
En réponse à nombre d’objections formulées, ici et là, notamment dans le milieu ecclésiastique et reprises par certains fidèles, le livre insiste sur l’inscription de la pratique synodale dans la Tradition. « Depuis les débuts de l’Église et des Assemblées de Jérusalem, écrit-il, la voie synodale est la seule qui a toujours permis de régler les conflits ». C’est bien en effet l’Assemblée de Jérusalem, en présence des deux “piliers“ de l’Église naissante qu’étaient Pierre et Paul, qui décida de ne pas imposer la circoncision aux convertis venus du paganisme. On lit dans les Actes des Apôtres : « D’accord avec toute l’Église, les apôtres et les anciens décidèrent alors… » (Act.15, 22) Il y a donc bien eu “discernement“ collectif… de toute l’Église !
Dans la foi, le peuple de Dieu est infaillible
Christoph Théobald souligne que le retour à cette pratique originelle constitue l’innovation majeure introduite par le pape François dans le dispositif plus restreint institué par Paul VI. On passe d’une synodalité réservée aux seuls évêques, au titre de la collégialité, à une synodalité de l’ensemble du Peuple de Dieu, comme à l’origine. Et cela aussi bien dans la phase de consultation initiale (questionnaire mondial) que dans le discernement final puisque l’Assemblée a été élargie à soixante-dix non évêques. Ce « glissement », commente le théologien, est parfaitement conforme aux textes conciliaires qui reconnaissent « l’infaillibilité dans la foi » de l’ensemble des baptisés. (LG 12) Même si dans l’Église, la décision finale reste de type hiérarchique, comme, semble-t-il, lors de l’Assemblée de Jérusalem.
La synodalité comme mode de régulation de la vie en Église
Autre caractéristique de l’évolution introduite par le pape François : passer d’un synode – qu’il soit diocésain, national, continental ou universel – conçu comme “événement“ ponctuel, convoqué de loin en loin par l’autorité légitime, à la synodalité comme “processus“ habituel de délibération et de discernement dans la vie ecclésiale. Ce qui faisait dire au cardinal Hollerich, secrétaire général du Synode, dans une conférence de novembre dernier : « La synodalité commencera en paroisse ou elle ne sera pas. » (3) C’est là, d’évidence, le premier lieu où, de manière régulière, les fidèles et les clercs peuvent, dans une égale dignité baptismale, apprendre à s’écouter, faire relecture de ce qu’ils ont vécu, décider ce qui est souhaitable pour la communauté et discerner parmi eux comment chacun, en fonction des charismes qui lui sont reconnus, peut y aider.
Cette volonté de partir de la vie, donc de réalités culturelles différentes, à tous les échelons : paroisses, diocèses, églises par pays ou continents… n’est pas sans conséquence. Elle ouvre à la possibilité de réponses différentes selon les besoins des uns et des autres. Ce qui ébranle d’évidence le centralisme romain. Christoph Théobald commente : « Ce qui est en jeu c’est la difficile sortie d’une uniformisation post-Grégorienne (à partir du XIe siècle) et surtout “coloniale“ de l’Église latine, et le passage à sa différenciation géographique et culturelle. » C’est de fait tout l’enjeu d’un « synode sur la synodalité » dont François attend d’abord, plus que des réponses à telle ou telle question ponctuelle (célibat sacerdotal, place des femmes dans l’Église…) qu’il valide le principe d’une plus large autonomie des Églises particulières pour mieux répondre aux besoins, et en précise les modalités. (4) Pour Christoph Théobald, nul doute : « La synodalisation de l’Église est une véritable “révolution culturelle“ ».
Un synode qui ne gomme aucune des « questions qui fâchent »
Difficile d’entrer ici dans une présentation exhaustive de l’ouvrage. Disons encore que Christoph Théobald ne tait aucune des interrogations et réticences suscitées par ce processus, nourries de la crainte, légitime, d’une mise en danger de l’Unité de l’Église voire même de l’intégrité du dépôt de la foi. Mais il souligne combien la conscience vive de ces « risques » traverse les documents préparatoires du synode eux-mêmes qui ont choisi de n’éluder aucune des « questions qui fâchent ». Y compris les conséquences possibles d’avancées pastorales pouvant interroger les fondements de la doctrine. Jamais, sans doute, l’institution elle-même ne s’était aussi ouvertement « mise en danger » en acceptant de tout mettre sur la table. Non pour se fragiliser ou pour « détruire l’Église » comme on l’entend ici ou là, mais au contraire en faisant le pari qu’éclairé par l’Esprit Saint le « peuple de Dieu » réuni autour de ses pasteurs, saura dépasser ses divisions et trouver des chemins d’avenir. « La synodalité est le chemin que Dieu attend de l’Église au troisième millénaire » disait déjà le pape François en 2015 dans son discours pour les 50 ans de l’institution synodale.
Former partout dans l’Église à la « conversation dans l’Esprit. »
Dès lors la manière de dépasser de possibles dissensions pour parvenir à un consensus, même provisoire au regard de la « longue marche » de l’Église, réside dans la « conversation dans l’Esprit » comme méthode de travail. C’est elle, nous rappelle le théologien, qui a prévalu aux différentes étapes du processus synodal. Comme à Rome où l’on a vu, par exemple, siéger à la même table de huit personnes (il y en avait une cinquantaine) une jeune femme et un cardinal de Curie, à égalité de temps de parole. Chacun s’exprimant successivement puis évoquant, lors d’un second tour, ce qu’il avait retenu de positif dans les interventions des autres, avant que ne s’engage un débat destiné à construire une position commune. Bref : la mise en œuvre d’un processus de conversion personnelle ouvrant sur la conscience commune des réformes à engager. Le décompte des votes de l’Assemblée d’octobre indique que la plupart des 273 scrutins ont été acquis à des majorités supérieures à 95% de participants : cardinaux, évêques et non-évêques, clercs et laïcs, hommes et femmes, venus des cinq continents.
Sauf que l’expérience de 370 délégués réunis à Rome autour du pape, si riche soit-elle, n‘est pas immédiatement transmissible à 1,3 milliards de catholiques à travers le monde, s’ils ne font pas eux-mêmes l‘expérience de cette « synodalité ». D’où l’urgence paroissiale soulignée plus haut. Cette évidence conduit l’auteur à s’avouer incertain sur l’issue finale du Synode, compte tenu des réticences rencontrées. Et pourtant sa conviction semble bien assurée : « Ce n’est qu’en prenant au sérieux les résistances de divers niveaux (…) qu’on peut espérer que l’actuel processus synodal se transforme en voie de pacification, voire de réconciliation et de créativité au service de la présence missionnaire de l’Église dans nos sociétés et sur notre planète. » Et plus loin : « L’actuel processus synodal nous offre l’occasion inattendue (un Kaïros) de sortir d’une répétition stérile de ces oppositions.»
Pour un « messianisme chrétien » renouvelé ?
Mais le livre de Christoph Théobald nous invite à aller plus loin encore dans la réflexion. Pour lui, il existe deux lectures possibles de la synodalité dans l’Église. « Soit elle s’inscrit – pour faire bref, comme une concession – dans la structure hiérarchique de l’Église qui domine le deuxième millénaire de son histoire, soit elle devient la base d’une nouvelle figure de l’ecclésialité chrétienne et catholique ajustée à notre contexte. » Or le contexte est précisément celui que François décrit comme un “Changement d’époque“ dont Vatican II n’a pas totalement pris la mesure, du moins dans sa mise en œuvre. Par incapacité à clarifier ou dépasser la distinction entre « pouvoir sacré » et « statut séculier », incapacité à s’ouvrir à un “messianisme chrétien“ de totale altérité vis-à-vis “de l’autre et de tous les autres“, autrement-croyants, qu’ils soient juifs, adeptes d’autres religions ou athées. Si la synodalité est invitation à “marcher ensemble“ c’est bien, in fine, à l’ensemble de l’humanité que s’adresse la proposition, invitation étant faite à chacun, quelles que soient ses convictions, d’entrer en dialogue, de prendre le temps de la rencontre, de l’écoute et du discernement au service de tous et de l’avenir de notre “maison commune : la terre. Quitte, pour le chrétien, à confesser en chemin Celui qui le fait vivre. Car c’est bien là la vocation ultime d’une Église dont nul ne connaît les contours…
De l’inquiétude à l’espérance…
Que l’on me permette ici un ultime développement personnel. J’ai retrouvé, avec ce livre, l’émotion qui m’a saisi à vingt ans, à la lecture des premiers textes du Concile publiés par les éditions du Centurion, comme à l’été 2013, à celle de l’interview du pape François aux revues jésuites (5). J’y avais consacré un billet de ce blog titré : « Comme une lettre reçue quarante-cinq ans après », allusion à la clôture d’un Concile dont, avec d’autres, je me sentais orphelin. Or voilà que Christoph Théobald nourrit ici ma certitude que le pontificat de François est bien à lire comme dépassement de « la lettre » de Vatican II et inscription dans la fidélité du meilleur de l’Esprit qui le portait. Il cite cette phrase du bénédictin Ghislain Lafont : « Ma conviction est qu’avec Vatican II ce n’est pas d’une nouvelle réforme qu’il s’agit mais d’une nouvelle étape de l’histoire de l’Église qui a commencé. »
Ceux qui lisent ce blog régulièrement savent combien mon adhésion au processus synodal engagé par le pape François s’accompagne depuis le début d’une réelle inquiétude. Elle porte pour une part sur l’inconnu des propositions qui seront formulées, à l’automne prochain, au terme de la seconde session de l’Assemblée synodale. Elle porte aussi sur les conclusions qu’en retiendra le pape François dans son exhortation apostolique qui aura, dès lors, valeur magistérielle.
À dire vrai, mon inquiétude porte surtout sur la manière dont ce synode sera « reçu » au sens d’accepté, compris et loyalement mis en œuvre. Elle se nourrit du peu d’empressement perçu chez nombre de nos évêques et plus encore dans une frange non négligeable du clergé, souvent jeune, comme l’ont relevé bien des observateurs, en France et dans d’autres pays. Le paradoxe, dit avec des mots dont j’assume la subjectivité et peut-être l’injustice, étant de sentir l’action prophétique d’un pape possiblement freinée par des clercs nostalgiques d’une autre vision de l’Église, plus traditionnelle, proche d’un catholicisme identitaire voire simplement patrimonial. Ce pressentiment, chez moi, vient de loin. En 2018 je titrais déjà un article de ce blog : Le pape François sera-t-il le Gorbatchev de l’Église catholique ? c’est-à-dire plus admiré à l’extérieur qu’écouté parmi les fidèles. La question, pour moi, reste posée, tant sont nombreux ceux qui persistent à considérer que François n’aura été qu’un “mauvais moment à passer » avant de retrouver l’Église “de toujours“ bien assurée dans le sentiment de détenir – et elle seule – l’unique Vérité. Au regard d’une succession qui finira bien par arriver, je redoute moins un éventuel retour de balancier qu’une désobéissance généralisée. Pardon pour ceux que ce propos pourrait heurter.
Mon sentiment – ma crainte – était que la déception et le découragement de certains ne soient alors proportionnés à l’espérance nourrie en eux par le pontificat de Jorge Mario Bergoglio. Avec pour conséquence qu’ils prennent, après bien d’autres, le chemin d’un exil sans retour. J’en étais là il y a huit jours encore en ouvrant le livre de Christoph Théobald. J’ai trouvé à sa lecture un tel réconfort, une telle conviction que la vision de François était réellement prophétique pour faire entrer le catholicisme dans une ère nouvelle, qu’une forme de peur s’est dissipée. Parce que m’est apparue l’alternative possible à l’exil. Celle de communautés de croyants mettant en œuvre cette ecclésiologie “comme des grands“, avec ou sans leurs prêtres et leurs évêques, sans rien demander à personne mais en espérant tout ! « il faut même qu’il y ait des scissions parmi vous, écrivait saint Paul, afin qu’on voie ceux d’entre vous qui résistent à cette épreuve. » (1, Cor 11,19).
René Poujol
- Christoph Théobald, Un nouveau concile qui ne dit pas son nom ? Ed. Salvator, 2023, 192 p., 18 €.
- Commission théologique internationale, La synodalité dans la vie et la mission de l’Église. 1918. n°9. Texte consultable sur les site du Vatican.
- Cardinal Hollereich, Conférence 15 novembre 2023 à Arlon (Belgique) Cathobel
- Comment ne pas projeter cette grille de lecture sur la tourmente présente autour de Fiducia supplicans ?
- Interview reprise dans le livre L’Église que j’espère. Flammarion/Etudes 2013, 240 p.
Source : https://www.renepoujol.fr/vatican-la-revolution-culturelle-selon-francois/
11:34 Publié dans FOI, RELIGION, SPIRITUALITE | Lien permanent | Commentaires (0)
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