Deux questions s’entrecroisent : pourquoi Navalny est-il retourné en Russie, alors qu’il connaissait le danger qui le guettait ? Pourquoi le pouvoir russe a-t-il pris le risque de faire de cet homme un martyr ?
Pour Navalny, l’affaire est assez claire. À bout de moyens politiques classiques, il lui restait son propre corps pour s’opposer au pouvoir : un « être là » suffisant pour être encore et toujours dérangeant, insupportable pour ceux qui auraient voulu le faire rentrer dans le rang, l’effacer, le précipiter dans l’oubli. Pour opposer la seule force de son corps malgré les innombrables vexations, les punitions d’isolement et de mitard utilisés comme d’antiques oubliettes, il a fallu à cet homme un courage hors norme, courage qui, in fine, lui a coûté la vie.
Est-ce pour autant une victoire pour Poutine ? La mort de Navalny ne signifie pas l’oubli. Même si les manifestations de chagrin sont réprimées dans les villes russes, même si les fleurs sont jetées aux ordures, le nom de Navalny est devenu pour longtemps celui d’une résistance inflexible, inébranlable. Navalny mort est plus encombrant que vivant, d’autant que sa mère, telle une éternelle Antigone, réclame son corps aux autorités. Sans doute les Russes, dans leur majorité, n’entendent-ils qu’un écho très incertain de cette affaire, mais elle révèle et expose, au moins à nos yeux, le véritable visage du poutinisme : celui de la peur. Le despote est incertain et apeuré au point de craindre un homme seul enfermé dans une geôle à 2 000 km de Moscou, au point de craindre même le corps de cet homme ! Quel aveu !
Christine Pedotti
Photo Evgeny Feldman, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Les commentaires sont fermés.