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30/01/2023

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

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Chronique À vif 30/01/2023 / Ayyam Sureau, philosophe

"Penser ne vise pas tant à répondre a une question qu'a répondre du sens qu'on lui donnera. A en être responsable donc. C'est pourquoi une pensée porte le nom de la personne qui l'a exprimée."

Intelligence artificielle

Lorsqu’un membre du gouvernement dit « les Français… », on devine que les mots qui vont suivre sont « et les Françaises ». Prédiction facile. Mais si nous pouvions prédire le reste du discours, un mot après l’autre, à partir des schémas de langage repérés dans une énorme quantité de textes ? Ce serait extraordinaire et en dirait long sur l’inventivité de nos politiques. Le programme ChatGPT a été entraîné à générer du texte à partir du traitement d’un océan de textes digitaux.

Lancé par OpenAI, un laboratoire de recherche privé en Californie, ChatGPT suscite fascination et inquiétude. Accessible au public, nous sommes des millions à l’avoir essayé. La machine surdouée répond sur tout sujet. L’influence de Marcel Proust sur la littérature américaine ; les avantages comparés de différents régimes politiques ; ce qu’il convient d’offrir à un enfant de 10 ans ; le rôle des protéines dans l’alimentation. ChatGPT peut aussi coder, traduire, rédiger ; imiter le style de la Bible, du rappeur Eminem ou de Marguerite Duras. Ses réponses sont plutôt justes, parfois drôles, rédigées dans le style d’une conversation humaine.

Comment les enseignants évalueront-ils désormais les devoirs faits à la maison ? Combien d’entre nous perdront leur emploi ? La machine diffuse-t-elle, sans les discerner, des informations fausses, biaisées, dangereuses ? Peut-elle devenir un outil de propagande ? On nous met en garde : le système n’est pas parfait. Mais quelle place désormais pour l’intelligence humaine face à ce succès de l’intelligence artificielle ?

Ces questions ouvrent sur d’autres interrogations. Depuis quand croyons-nous que parler, écrire, penser consistent à générer du texte ? Les réponses de ChatGPT sont une suite de mots machinalement générés à partir de textes antérieurs dont les auteurs originaux ne sont, par ailleurs, jamais cités. Un piratage statistique indécelable. Est-ce cela que nous demandons à nos étudiants ? D’être des perroquets hypermnésiques capables d’une synthèse anonyme ? Si c’est le cas, c’est inquiétant. Si une machine peut produire, comme nous, des devoirs scolaires, des discours, des tweets, des chansons, des poèmes ou des mails, il me semble que cela en dit davantage sur notre propre rapport au langage, sur l’indigence de nos créations, sur nos automatismes acquis, que sur l’évolution de la machine. Celle-ci pourrait nous rétorquer, comme un enfant, si nous lui reprochions de nous imiter : « C’est toi qui as commencé. »

L’activité humaine de penser demeure peu comparable à la prédiction d’un fil de mots basée sur la seule ingestion des productions antérieures. Elle me paraît, au contraire, tenir autant de l’oubli que de la mémoire, davantage du vide que du plein. Ce n’est pas une somme de savoir qui caractérise une intelligence incarnée, mais une certaine relation au savoir. Une manière d’appréhender ce qu’on ne sait pas, ce qui est enfoui, ce qui n’est pas encore. La pensée travaille dans le creux entre les mots et ce qu’ils peuvent signifier. Elle ne génère pas de réponses, mais d’autres questions. En cela, loin de restituer le langage selon les schémas connus, qu’elle tâche au contraire d’éviter, elle lui offre un avenir. Incarnée, elle émane d’une personne vivante, ancrée dans une expérience réelle, douée d’une sensibilité singulière. Penser ne vise pas tant à répondre à une question qu’à répondre du sens qu’on lui donnera. À en être responsable donc. C’est pourquoi une pensée porte le nom de la personne qui l’a exprimée.

Les larges modèles de langage, comme ChatGPT, constituent une avancée technologique considérable qui nous libérera de tâches machinales à condition que nous parvenions à nous en servir sans en dépendre. Ces machines doivent leur existence à des siècles de patience, de réflexion et de créativité. Il ne nous reste plus qu’à nous réjouir de n’avoir plus à parler, écrire et penser comme des machines.

Refugees Playing Britannicus Ayyam SUREAU, philosophe

27/01/2023

REQUIEM SOCIALISTE

« Jadis », mot terrible qui à lui seul enterre une époque. Jadis, le parti socialiste français constituait un espoir pour les classes moyennes et populaires et pour les intellectuels qui, tout en refusant de céder à la tentation du communisme, voulaient une société vivante, dans laquelle les assignations de classe et de milieu culturel pouvaient être contestées. Même si, souvent, la rhétorique conservait des accents révolutionnaires, tous et toutes savaient que les socialistes français, comme leurs voisins sociodémocrates, étaient à la fois pragmatiques et réalistes et qu’ils préféraient réformer plutôt que de nier le réel et, plus grave encore, « changer le peuple ».

La relecture de l’histoire longue en Europe montre que cette social-démocratie a été porteuse de l’amélioration des conditions de vie et de travail du plus grand nombre, de l’élévation du niveau de vie et d’éducation, et de la mise en place des grands systèmes de protection sociale – retraite, maladie, minima sociaux. Comme le chantaient les amis de Coluche voilà quarante ans, « aujourd’hui, on n’a plus le droit d’avoir faim ni d’avoir froid ». Certes, il y a encore des « trous dans la raquette », des mailles trop larges dans le filet, des situations de non-recours, mais, au bout du compte, à l’instigation de cette social-démocratie, la gauche, en luttant, et la droite, en acquiesçant de guerre lasse, ont instauré cette « providence » de nos sociétés, une situation unique dans l’histoire.

La question posée aujourd’hui est la suivante : « Et après ? » La déréliction actuelle des socialistes français dit assez le manque de carburant idéologique et intellectuel. Les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon hurlent : « Faisons payer les riches. » Bonne idée, sous réserve d’être sûr d’avoir toujours des riches : pour taxer la richesse, il faut la produire. Et c’est bien cette question de production des richesses qui n’est pas élucidée. Les enjeux environnementaux ne nous facilitent pas la tâche : la mise à l’arrêt des économies riches pendant le Covid a eu pour conséquence de précipiter 200 millions de personnes dans l’extrême misère. Face à ces immenses défis, il n’y a pas de réponses simplistes. Voilà pourquoi on pleure de voir les socialistes français disparaître dans de misérables guerres aussi picrocholines que narcissiques.

Christine PEDOTTIpedotti ronde.jpg

 

15/01/2023

RATZINGER, UNE ERREUR DE CASTING

TC.GIFRatzinger, une erreur de casting

 
Publié le par Patrick Nathan

Quand on ne retient d’un personnage illustre décédé que ses premières années et son départ fracassant, il y a lieu de s’interroger. Dans les hommages entendus à l’occasion du décès de Benoît XVI, chez les critiques comme chez les thuriféraires, on a surtout entendu parler du grand penseur et professeur et de sa démission papale inédite. À bien y regarder, tout le parcours épiscopal de Josef Ratzinger relève justement de l’erreur d’orientation la plus flagrante.

En le propulsant archevêque de Munich en 1977, Rome a certes offert un poste prestigieux au professeur Ratzinger, mais l’a arraché, à jamais, à son monde universitaire chéri. Cet homme brillant connu pour sa gentillesse, sa crainte des conflits et son peu d’appétence pour les mondanités était tout sauf le portrait du manager ! Voilà le théologien enseignant perdu pour les travaux intellectuels, et bien à la peine dans un diocèse tourmenté par les contestations internes. Pour le tirer d’une situation inconfortable, et se consacrer tranquillement à son combat géostratégique, Jean Paul II le récupère pour en faire le gardien du dogme à Rome en 1981. Josef Ratzinger ne voulait d’aucun de ses deux postes, qu’avec lucidité et humilité il ne se sentait pas capable d’assumer. Et que dire de l’élection, lors du conclave de 2005, d’un homme qui, deux ans plus tôt, à 75 ans, avait présenté sa démission au pape, aspirant à retrouver, enfin, sa chère Bavière, ses livres et son piano.

Las, par trois fois, la sacro-sainte obéissance ecclésiale a tranché : « Puisque l’Esprit saint, partenaire de toutes les décisions institutionnelles importantes, a validé ta nomination, elle est pertinente et il convient de dire amen. » Tant pis si elle émane d’une administration pour laquelle piété et pensée conforme tiennent lieu de bon CV, et qui ne s’inquiète aucunement des qualités managériales et humaines de l’impétrant puisque « la grâce y pourvoira ». Tant pis pour le désir profond de l’élu et ce à quoi il se sent appelé. Et, quand un choix malheureux est posé, l’Église se retrouve avec à sa tête un homme en difficulté et malheureux. En France, nous avons quelques exemples de nominations épiscopales funestes. Pour éviter de citer les cas plus douloureux, évoquons le parcours de Joseph Doré, brillant intellectuel, professeur à l’Institut catholique de Paris, doyen. Et bing, le voilà à 61 ans nommé archevêque de Strasbourg… où il ne se débrouille pas si mal. Mais, à 69 ans, il démissionne pour raisons de santé et retourne à sa vraie compétence. Depuis, il a publié plusieurs ouvrages et dirigé la somme Jésus, l’encyclopédie (Albin Michel).

Dans quelle fonction est-on le plus utile à l’Église ? Telle doit être la question aujourd’hui. Dans une maison qui brûle et qui doit se réinventer, couper les ailes aux penseurs en les coiffant d’une mitre est une faute et un gâchis. Le nonce apostolique en France reconnaissait récemment qu’un nombre croissant de prêtres refusaient l’épiscopat, preuve que le sujet est sur la table.

Patrick Nathan

Photo : Muu-karhu, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

05/01/2023

LE MERITE DE BEN0ÎT

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publié le 5/01/2023Photo : Kancelaria Prezydenta RP (GFDL 1.2 or GFDL 1.2), via Wikimedia Commons

Photo : Kancelaria Prezydenta RP (GFDL 1.2 or GFDL 1.2), via Wikimedia Commons

La mort du pape émérite Benoît XVI est l’occasion de réinterroger cet acte incroyablement novateur qui fut le dernier de son pontificat, sa démission. S’il est une raison pour laquelle il entrera dans l’histoire, c’est bien celle-ci. Les puristes auront beau préciser que ce ne fut pas une démission mais une renonciation, la nuance est de peu d’importance.

Le fait seul compte : il a estimé en conscience que l’homme, Josef Ratzinger, n’était plus en état d’assumer la fonction de pape. Et, en séparant l’homme et la fonction, il a en quelque sorte ramené le pontificat sur la terre. La chose est étonnante car elle entre en dissonance avec les pratiques vaticanes depuis au moins le concile de Vatican I (1870) qui avait revêtu le pape – certes sous strictes conditions – de la vertu d’infaillibilité. Elle va à l’encontre aussi de la désolante manie, laquelle s’aggrave de pontificat en pontificat, de canoniser les papes et, de façon générale, avec le cléricalisme ambiant, qui tente de faire des prêtres, évêques et papes des hommes d’une nature distincte de celle du commun des mortels, les laïcs, hommes et femmes.

Le prédécesseur de Benoît XVI, Jean Paul II, usé par la maladie, à bout de forces, avait répondu à la question de sa démission éventuelle que « Jésus n’était pas descendu de la croix », sauf que, précisément, ni le pape, ni les évêques, ni les prêtres ne sont Jésus. Cette exaltation sacrificielle de la figure du prêtre, nous le savons maintenant très bien, est la porte ouverte à toutes les déviances et à tous les abus. C’est pourquoi nous avons un motif de reconnaissance à l’égard de Benoît XVI. Il a libéré le pape de cette folie. L’excellent professeur de théologie qu’il était a fondé et justifié sa décision de telle sorte qu’elle ne puisse être contestée et, paradoxalement, sa réputation de conservatisme y contribua. Le pape François ne s’y est pas trompé, qui, au jour de son élection, se présenta d’abord comme l’évêque de Rome.

Reste à l’Église catholique à se demander s’il est raisonnable de confier tant d’autorité à un seul homme, sans aucun contrôle ni aucun cadre de régulation du pouvoir. Malheureusement, la question ne semble pas à l’ordre du jour.

Christine PedottiChristine_Pedotti-100x100 (2).jpg