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19/09/2024

FRANCOIS LA TÊTE EN L'AIR

                       Publié le 

Photo : Mario Duran-Ortiz (CC BY-SA 2.0)

Photo :  (CC BY-SA 2.0)

Est-il raisonnable de laisser le pape s’exprimer en toute liberté dans les avions qui le ramènent de ses voyages ? François apprécie, tout autant que les journalistes qui l’accompagnent, ce format d’échanges, mais il y est coutumier de sorties fort peu contrôlées… La question se pose après les propos qu’il a tenus lors de son retour du long périple qui l’a conduit jusqu’en Papouasie et à Singapour.

Interrogé sur l’abbé Pierre, il répond avec une sorte de désinvolture lassée que, sans doute, le Vatican savait depuis au moins la mort du fondateur d’Emmaüs, et qu’il ne lui est « pas venu à l’esprit » de tenter d’en savoir plus. Il ajoute que l’homme était un grand pécheur, preuve s’il en fallait encore que, dans l’esprit du pape, la distinction entre le péché – contre la chasteté – et l’acte sexuel accompagné de violences n’est pas totalement claire. En effet, ce qui est reproché à l’abbé Pierre n’est pas son goût pour les femmes mais la prédation sexuelle compulsive constatée dès les années 1950 et que rien n’a stoppée, de sorte que l’impunité effective dont il a bénéficié l’a porté à s’attaquer à des personnes vulnérables et à des mineures – la plus jeune des victimes connues avait moins de dix ans.

Faut-il rappeler que le pape François n’a reçu ni Jean-Marc Sauvé ni aucun autre responsable de la Ciase et a laissé son proche entourage exprimer des doutes quant à la fiabilité des chiffres de son rapport final ? Ce dont le pape ne veut pas entendre parler, c’est ce que dénonce ce rapport, le caractère systémique des abus et de leur dissimulation, car le « système » n’est rien d’autre que le cœur même du catholicisme, le pouvoir exclusif et sacré des clercs, tous mâles et célibataires. Il faudra pourtant bien un jour regarder la réalité en face.

Mais, dans cet avion, François n’en est pas resté là et, interrogé sur les deux candidats à l’élection présidentielle américaine, il a tranquillement renvoyé dos à dos Trump et Harris, résumant l’actuelle vice-présidente à son engagement en faveur du droit à l’avortement, qu’il synthétise en un caricatural « tuer des enfants ». À Trump, il reproche ses propos antimigrants. On cherche en vain dans ses paroles la moindre nuance entre une femme engagée pour les droits et la justice et un menteur effronté. Il est temps que le pape remette les pieds sur terre.

Christine Pedotti     

 

21/08/2024

DE L'ALLEMAGNE A CALAIS, RECITS TRAGIQUES DE MIGRANTS EN QUÊTE DE LIBERTE

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Reportage 

Depuis le début de l’année, 25 personnes ont perdu la vie en tentant de traverser la Manche. Un record macabre, qui dépasse largement le bilan de 2023, établi à 12 décès. Derrière ces chiffres se cache l’histoire de familles, souvent passées par l’Allemagne, qui ont traversé l’enfer dans l’espoir de trouver la liberté.

Aylin Ho,  

De l’Allemagne à Calais, récits tragiques de migrants en quête de liberté

Dans les rues de Calais, dans la chaleur du mois d’août, migrants et vacanciers se croisent. Les uns se procurent des gilets de sauvetage dans des boutiques de plage, les autres savourent l’air marin de la côte. À quelques pas de la mer, tous les jours, une file se forme devant les grilles de l’accueil de jour du Secours catholique. Ce local est le seul endroit de la ville où les réfugiés peuvent se reposer quelques heures et s’approvisionner en eau, avant d’errer jusqu’au prochain départ en mer.

Malgré les efforts déployés, le nombre de personnes qui tentent de traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre ne cesse d’augmenter. En 2023, Londres et Paris s’accordent pour déployer 541 millions d’euros sur trois ans, pour freiner l’immigration illégale. 500 agents supplémentaires sont mobilisés sur les plages françaises. Des drones survolent les côtes pour anticiper les départs. Pourtant, « il n’y a jamais eu autant de personnes qui ont réussi à atteindre l’Angleterre », relate Flore Judet, de l’association L’Auberge des migrants. Dimanche 11 août, onze bateaux ont entrepris la dangereuse traversée, avec à leur bord plus de 700 migrants, un record.

Mais les tentatives ne réussissent pas toutes, et les morts s’accumulent dans la Manche. Deux personnes sont mortes dimanche matin, ce qui porte à neuf le nombre de migrants qui ont perdu la vie lors de ces traversées en l’espace d’un mois, et à 25 décès depuis janvier 2024, contre 12 sur l’ensemble de l’année dernière. « Par peur que la gendarmerie maritime ne perce les bateaux, les réfugiés s’entassent sur des embarcations incapables d’accueillir autant de gens », précise Angèle Vettorello, coordinatrice de l’association Utopia 56, à Calais. Certains ne meurent pas non plus de noyade en mer mais d’asphyxie sur les bateaux.

« Presque 20 personnes nous écrasaient, ma sœur et moi »

Dans la nuit du 27 au 28 juillet, Dina Al Shamari est morte, à 21 ans, étouffée dans une embarcation pneumatique. « Avant de monter à bord, elle a retiré sa chaîne, avec la lettre D en pendentif, et l’a donnée à sa mère. Comme un signe prémonitoire », raconte Mariam Guerey, salariée du Secours catholique de Calais. La sœur de Dina, Nour, 19 ans, a assisté à la scène : « Presque 20 personnes nous écrasaient, ma sœur et moi. Nous avons demandé à descendre, mais on ne nous a pas laissées faire. » Un homme a sorti un couteau pour faire taire les hurlements de la jeune femme et inciter le groupe à prendre le large.

Dina, ses parents, ses sœurs, son frère et son cousin avaient déjà tenté la traversée cinq fois avant le drame. La famille Al Shamari, persécutée au Koweït en raison de son appartenance à la minorité bidoune, qui lui interdit d’obtenir des papiers officiels, de trouver un emploi ou d’accéder au système de santé, est arrivée à Calais après un périple à travers l’Europe. Avant, elle s’était installée en Allemagne, pendant quatre ans.

Un passage par l’Allemagne

« Dina était très douée pour les études et a obtenu un diplôme dans le domaine dentaire », raconte Mariam Guerey. Pourtant, la demande d’asile de la famille est déboutée. De nouveau apatride, elle se met en route pour Calais, afin de rejoindre l’Angleterre. Objectif qu’elle conserve aujourd’hui, malgré la disparition de Dina.

Depuis quatre ans, les associations observent une augmentation du nombre de familles qui arrivent d’Allemagne. « Certains enfants y sont nés, parlent la langue et y ont été scolarisés. Ils entamaient enfin une intégration après des mois d’errance et se retrouvent à tout recommencer », observe Alexia Douane, coordinatrice juridique et sociale du Refugee Women’s Centre.

Fuir le pays, pour ne pas mourir

C’est le cas d’Issam (le prénom a été modifié), 24 ans, et Sarah (le prénom a été modifié), 29 ans. Assis sur un banc de l’espace réservé aux familles exilées de l’accueil de jour du Secours catholique, le jeune couple attend une distribution de couches. Leur fils de 1 an se balade dans la cour parsemée de peluches. Lorsque Issam porte une cigarette à ses lèvres se distingue une phrase en arabe, tatouée sur son avant-bras en hommage à sa mère. Le jeune homme, né en Syrie en 1999, décide à 16 ans, avec sa mère, de fuir le pays, pour ne pas mourir. Arrivée au Liban, la famille embarque dans un bateau de fortune pour rejoindre la Grèce. Une funeste traversée. Issam verra sa mère mourir, noyée dans la mer Méditerranée.

Il continue sa route à travers l’Europe. En Serbie, il est hébergé par une famille pendant deux ans et tombe amoureux de Sarah, la fille du couple. Avec son statut d’immigré illégal, Issam ne peut pas s’éterniser en Serbie. Elle décide de l’accompagner dans son périple. Le couple rejoint l’Allemagne en 2023, où Sarah donne naissance à leur garçon.

Au bout d’un an et six mois sur place, la demande d’asile d’Issam est acceptée, mais pas celle de Sarah. En 2023, sur 2 300 demandes d’asile de réfugiés serbes, seules cinq ont été acceptées par l’Allemagne. « On a voulu me retirer mon fils et le placer en famille d’accueil », lance la mère. Il y a trois semaines, par peur d’être séparée, la famille fait ses bagages pour Calais. Son but est de rejoindre l’Angleterre, par la mer. Tenter une traversée, malgré celle qui a coûté la vie à la mère d’Issam.

Une naissance miraculeuse

Lundi 11 juillet, ils sont parvenus à monter sur un small boat, canot pneumatique utilisé par les migrants pour traverser les 60 kilomètres qui les séparent de l’Eldorado britannique. Le trajet a été annulé lorsqu’une femme a accouché à bord.

Le même jour, une autre naissance a eu lieu, dans un camp de migrants. « Depuis que ma fille a vu sa mère accoucher en pleine forêt, ensanglantée, elle fait des cauchemars toutes les nuits », décrit, les larmes aux yeux, Hamid Hagizadeh, 39 ans. Sa femme Fatima Norooziyan, 28 ans, a donné naissance à son fils, à même le sol. Miraculeusement, le bébé et sa mère sont sains et saufs.

Avant de se retrouver dans ce cauchemar, Fatima et Hamid vivaient en Iran. Issus de la minorité religieuse bahaïe, persécutés dans leur pays d’origine, ils craignent des représailles. Ils traversent l’Europe et atteignent le sud de l’Allemagne, où ils vivent pendant deux ans. Hamid travaille dans un salon de coiffure pendant plusieurs mois mais Fatima, seule à la maison, peine à s’occuper de leur fille. Elle souffre du dos, en raison d’une broche située le long de sa colonne vertébrale.

L’Office fédéral des migrations considère que leur vie n’est pas en danger dans leur pays d’origine, et leur demande d’asile est refusée, même après recours. Une situation qui risque de se multiplier depuis que l’Allemagne durcit ses lois en matière d’immigration (lire les repères ci-dessous). Dans une chambre de l’hôpital de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), Fatima donne le sein à son nouveau-né. Sa fille de 1 an et demi, Atrisa, dort, allongée sur le lit. Épuisé et traumatisé, le couple espère désormais pouvoir rester en France pour éviter la mortelle traversée.

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Des tentatives de traversée toujours plus nombreuses

Depuis le début de l’année 2024, 18 574 personnes sont parvenues à atteindre l’Angleterre depuis les côtes du nord de la France, selon un décompte de l’AFP. L’année dernière, 36 000 migrants avaient traversé la Manche.

L’été, les tentatives de traversée sur des bateaux de fortune sont particulièrement nombreuses, et les drames se multiplient. Au moins neuf personnes sont mortes en l’espace d’un mois, portant le bilan à 25 décès depuis le début de l’année.

Pour déjouer les contrôles policiers, les passeurs commencent la traversée de plus en plus loin du littoral, parfois dès les rivières. En mars, une fillette de 7 ans s’était noyée dans le canal de l’Aa, à Watten (Nord).

 

16/08/2024

APRES LE J.O. OU SONT PASSES LES SANS ABRIS PARISIENS

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Analyse 

Si chacun s’accorde à dire que le nombre de sans-abri dans les rues de Paris a beaucoup diminué à l’approche des Jeux olympiques, associations et préfecture divergent fortement sur le nombre de personnes mises à l’abri.

  • Nathalie Birchem,  

Après les JO, où sont passés les sans-abri parisiens ?

Mais où sont les SDF parisiens ? Alors qu’en janvier 2024, la Nuit de la solidarité parisienne dénombrait 3 462 personnes à la rue, tentes installées sur le macadam et silhouettes allongées au sol ont quasiment disparu de la capitale dans les semaines précédant les Jeux olympiques et paralympiques. Une concomitance qui ne doit rien au hasard, selon le Revers de la médaille, collectif d’acteurs de terrain qui estime, dans un rapport paru en juin, qu’un « nettoyage social » a eu lieu pour avoir une capitale plus présentable à l’approche des JO.

Selon ce collectif, 138 expulsions de bidonvilles, regroupements de tentes et squats ont été réalisées par les autorités durant la période allant d’avril 2023 à mai 2024, contre 122 durant la même période en 2022-2023, et 121 l’année précédente. Ces expulsions ont concerné 12 545 personnes, soit une 

augmentation de 38,5 % par rapport à la période 2021-2022, affirme le rapport. De plus, un communiqué du 4 août fait état de 42 nouvelles expulsions en mai, juin et juillet 2024, concernant 2 572 personnes, dont 1 043 en juillet, ce qui marque une forte intensification à l’approche de la cérémonie d’ouverture. Au total, ce sont donc près de 15 000 sans-domicile qui auraient été délogés dans les quinze mois précédant les JO, selon le Revers de la médaille.

Des chiffres non comparables

« Nous démentons à la fois le terme de nettoyage social et les chiffres du collectif, dont on ne comprend pas du tout comment ils ont été calculés, répond Christophe Noël du Payrat, directeur de cabinet du préfet d’Île-de-France. Nous procédons depuis plusieurs années à des opérations de mise à l’abri, indépendamment des JO. Sur 2023, 6 643 personnes ont ainsi été prises en charge, soit quasiment autant qu’en 2022 et qu’en 2021. En 2024, 1 728 personnes l’ont déjà été. » Un chiffre très différent de celui du Revers de la Médaille. Et pas seulement parce qu’il concerne un intervalle de temps non comparable mais aussi parce que le recensement préfectoral se base sur les opérations d’évacuations assorties de mises à l’abri, quand celui du collectif s’appuie sur des observations de terrain de toute forme d’expulsion de lieux de vie informels.

Toutefois, la préfecture reconnaît une intensification des évacuations avant les JO. « Nous assumons d’avoir augmenté le nombre de mises à l’abri, qui est passé de 35 pour tout 2023 à 39 rien que pour ce début de 2024. » Mais pas pour des raisons de nettoyage social : « Cela s’explique par deux évolutions dans nos méthodes de travail. Alors qu’avant, on faisait des opérations uniquement quand on avait des grands campements de 1 500 à 2000 personnes, désormais, on fait des mini mises à l’abri chaque semaine. De plus, nous allons aussi maintenant dans les accueils de jour pour proposer aussi des hébergements. Ce sont deux évolutions positives, il me semble. » Au total, selon la préfecture, 3 215 personnes ont été mises à l’abri depuis début 2024, dont 1 728 à l’issue des 39 mises à l’abri de l’année.

Une minorité hébergée, un avenir incertain

15000 depuis quinze mois ou 3 215 depuis sept mois… quel que soit leur nombre, où sont allées ces personnes ?

D’abord, 216 grands marginaux, qui vivaient, souvent depuis plusieurs années, à proximité des sites olympiques se sont vus proposer des hébergements pérennes. Un chiffre que ne conteste pas le Revers de la Médaille. « On a aussi ouvert quelques places pour des usagers de drogue, ce qui en tout monte le nombre de personnes en errance depuis de nombreuses années prises en charge durablement à 256 », précise la préfecture.

Mais pour le reste des délogés, « seule une petite minorité a été hébergée, estime Antoine de Clerck, coordinateur du Revers de la Médaille. Au départ, la seule proposition qui a été faite à l’issue des évacuations a été d’aller dans un des dix sas régionaux créés depuis 2023 en province. 5 630 ont accepté. Mais beaucoup ont refusé car c’est à Paris qu’ils ont leur travail, l’école de leurs enfants, leur réseau d’entraide. » Toutefois, précise-t-il, « en juillet, il s’est passé quelque chose de différent car l’État a hébergé près de 1 000 personnes dans des « sites tampons temporaires », ouverts en Île-de-France en vidant des centres d’accueil et examen de situations administratives » (Caes).

Combien sont encore hébergés à l’heure actuelle ? Côté Revers de la médaille, on est pessimiste. « Sur les 6 530 personnes parties en sas régionaux, on estime que 40 % sont des demandeurs d’asile et ont été envoyés dans des centres dédiés, explique Antoine de Clerck. Mais le reste des personnes envoyées en province n’a été pris en charge que trois semaines en moyenne avant d’être invitées à appeler le 115, qui est le plus souvent déjà saturé. Beaucoup reviennent donc ensuite sur l’Île-de-France. À Bordeaux, on avait estimé que c’était le cas pour 15 % des gens. » Et il est craint un retour à la rue aussi pour ceux qui ont été hébergés en juillet dans des sites franciliens car « le contrat ne prévoit que 30 jours d’hébergement », selon Antoine de Clerck.

La préfecture, elle, estime que sur les 3 215 personnes évacuées depuis janvier 2024, 1 707 ont été orientés dans un sas régional et le reste, sont allés dans les CAES d’Île-de-France. À l’issue de ces hébergements, « on n’a pas de fichier pour savoir ce que les personnes deviennent une par une, assure Christophe Noël du Payrat. 35 % des personnes en sas vont dans un centre pour demandeur d’asile et le reste est orienté vers de l’hébergement d’urgence, qui n’est pas toujours synonyme de courte durée, loin de là, notamment pour les familles. »

Enfin, suite à l’évacuation sans proposition d’hébergement de plusieurs campements de jeunes migrants à la rue car non reconnus comme mineurs pal’Aide sociale à l’enfance, la mairie de Paris a ouvert plusieurs gymnases, comme elle l’avait fait durant la trêve hivernale. Au total, « on a 800 jeunes en gymnases à Paris mais que vont-ils devenir à la rentrée quand la mairie va avoir besoin de les reprendre ? », interroge Antoine de Clerck.

19/07/2024

LE SPORT QUELLE HISTOIRE !

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Le sport, quelle histoire ! Par Christine Pedotti


En un peu plus d’un siècle, le sport a envahi nos sociétés et notre quotidien de façon si évidente que nous ne nous en rendons plus compte. Certes, la Grèce antique et Rome, son héritière, ont pratiqué des jeux sportifs, mais, ensuite, l’exercice du corps et sa mise en compétition subit un long effacement. Il n’est guère que les jeux de guerre qui subsistent, tournois, escrime, lutte. Pendant de longs siècles, on ne songe guère à se disputer une balle ou un ballon, à peine connaît-on le jeu de paume et la soule. Les corps sont exposés à la guerre, à la fatigue des travaux agricoles et de la première industrie. Qui songerait à courir, sauter, ou lever des poids pour le plaisir ?

Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que naisse le sport moderne et qu’il fasse la conquête du monde. Ses conséquences sont si massives qu’il est difficile de les cerner : libération des corps, et en particulier de celui des femmes, qui échappent au corset et aux contraintes, introduction du vêtement de sport dans l’habillement quotidien, nouveaux édifices dédiés aux disciplines sportives – piscines, immenses stades, courts de tennis, salles de sport… Les compétitions sportives et leurs résultats sportifs ont le plus souvent la première place dans l’information et les sportifs sont des stars planétaires. Des événements comme les Jeux olympiques, que la France organise cette année, deviennent des enjeux internationaux et des moments où se forgent les identités des peuples…

Le sport touche à tous les domaines, économiques, politiques, sociaux et culturels, il semble même parfois devenir un ersatz de religion.

                       Christine PEDOTTI 

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16/07/2024

MARIE-DERAIN : "ON NE PEUT PAS CONSIDERER QU'IL Y A DES VICTIMES ACCEPTABLES ET D'AUTRES INNACEPTABLES

La Croix logo/16/07/2024

Marie Derain : « On ne peut pas considérer qu’il y a des victimes acceptables et d’autres inacceptables »

Entretien

Marie Derain de Vaucresson Présidente de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation

L’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) a accordé 60 000 € de réparations financières à Jean-Yves Schmitt. Ce septuagénaire a été victime d’agressions sexuelles de la part d’un prêtre pendant son adolescence, avant d’être condamné, lui-même, à plusieurs reprises pour des actes pédocriminels. Marie Derain de Vaucresson, présidente de l’Inirr, revient sur cette décision.

  • Recueilli par Juliette Vienot de Vaublanc , l

La Croix : Comment avez-vous étudié la situation de Jean-Yves Schmitt, victime d’abus durant son adolescence, puis condamné pour des actes pédocriminels ?

Marie Derain de Vaucresson : Comme pour chaque personne victime, nous avons accueilli cet homme avec son récit, tel qu’il l’a rapporté. Un référent a identifié avec lui ce qu’il s’est passé, le contexte, et les conséquences que cela a pu avoir dans sa vie, en s’intéressant à différents critères : psychiques, somatiques, scolaires et professionnels, et dans ses relations, qu’elles soient familiales, conjugales ou amicales. Tout cela se déroule dans un laps de temps de trois à six mois, et s’accompagne d’une démarche de l’Inirr auprès du diocèse où se sont déroulés les faits, pour confirmer leur vraisemblance, savoir si l’agresseur est connu, si la victime s’est adressée au diocèse, et si des réponses ont déjà pu être apportées. Tout cela rentre en compte dans la fixation du montant des réparations.

Le fait que la personne en question se soit elle-même rendue coupable d’actes pédocriminels est-il entré en jeu, que ce soit favorablement ou défavorablement, dans la décision de lui verser 60 000 € de réparations ?

M. D. : À l’Inirr, nous sommes au côté des personnes victimes, dans une démarche de réparation et non d’indemnisation car cela signifierait que nous établissons un lien direct entre ce qui a été vécu et les conséquences que cela a eues. Or, ce n’est pas le cas. Pour Jean-Yves Schmitt, le fait qu’il ait été agresseur a eu une influence sur les discussions autour de sa situation, mais pas sur le montant des réparations financières qui lui ont été accordées. Pour aider au discernement, nous nous sommes concentrés sur le fait que c’était bien une personne victime qui s’adressait à nous, et que c’est cette dimension-là que nous devions prendre en compte.

Aviez-vous déjà connu ce genre de situation depuis la mise en place de l’Inirr ?

M. D. : Ce n’est pas la première fois que nous recevons la demande d’une personne victime devenue un agresseur. Sur 679 décisions prises par l’Inirr, ce cas s’est présenté à six reprises, même si les faits subis et infligés étaient moins graves. Mais, nous ne sélectionnons pas les personnes victimes. À partir du moment où les faits sont vraisemblables, nous ne pouvons pas considérer qu’il y a des personnes victimes acceptables et d’autres inacceptables.

« Il faut comprendre que tout vient du fait que j’ai été victime : si je ne l’avais pas été, je n’aurais pas été prédateur », a expliqué Jean-Yves Schmitt à l’AFP. L’Inirr est-elle parvenue aux mêmes conclusions ?

M. D. : Le lien de causalité exclusif établi par la victime entre le fait d’avoir été victime et celui d’être devenu agresseur n’est pas ajusté. Dans certains médias, son avocat – qui par ailleurs n’est pas intervenu dans la démarche de l’Inirr – parle aussi d’un « virus de la pédophilie » qui lui aurait été transmis, mais ce virus n’existe pas. Une vie peut se structurer à partir d’une agression subie, surtout pour un adolescent entrant dans la sexualité, dont les repères et le rapport au droit se trouvent bousculés. Mais toutes les personnes agressées ne deviennent pas des agresseurs et, si elles le deviennent, nous ne pouvons pas établir un lien de causalité exclusif avec les événements vécus précédemment. Entre les deux, il y a le libre arbitre. C’est le sens des conclusions de l’Inirr, qui ne remettent nullement en cause la part de responsabilité de la personne victime dans ce qu’elle a commis.

Ne craignez-vous pas que les réparations financières accordées à Jean-Yves Schmitt soient mal reçues par ses victimes ?

M. D. : Ce n’est pas un sentiment, c’est un constat. Cette décision peut être reçue difficilement par ses victimes et les autres personnes victimes, puisqu’elles font partie d’une communauté au sein de laquelle se trouve un agresseur. Le fait que l’avocat de Jean-Yves Schmitt ait instrumentalisé notre démarche, en le déplaçant du côté de la responsabilité de l’Église dans le parcours de son client, alors que notre réponse ne relève pas de ce registre, ne va sans doute pas arranger les choses. Ce cas ne va pas faciliter la compréhension de notre démarche par les autres personnes victimes, qui pourraient trouver notre décision injuste et se sentir fragilisées.

06/07/2024

TROP DE NOS CONCITOYENS MUSULMANS ...

LE MONDE des religions 05/07/2024 

TROP DE NOS CONCITOYENS MUSULMANS NE SAVENT PLUS S’ILS PEUVENT COMPTER SUR L’ESTIME D’UN PAYS DONT ILS CONTRIBUENT À FORGER LE DESTIN

Français et Musulmans

Jean-François Bour, prêtre et expert des relations avec l’islam à la Conférence des évêques de France, appelle, dans une tribune au « Monde », à « entendre l’inquiétude » des musulmans face à l’extrême droite. Il déplore, dans le débat actuel, « une tendance à tolérer sans sourciller le soupçon global qu’instillent les affirmations racistes ou simplistes ».

Citoyen et prêtre catholique qui tente de favoriser un paradigme d’estime et de coopération entre les religions plutôt qu’une logique de confrontation, je suis fils du concile Vatican II (1962-1965) qui a osé un regard d’estime sur les autres religions − à ne pas confondre avec la naïveté. Les évêques français se sont déjà exprimés mais, avec d’autres catholiques, je pense important de me joindre au débat collectif pour entrer en discussion, même avec mes frères ou mes amis séduits par l’extrême droite.

Je m’y risque car trop de nos concitoyens musulmans ne savent plus s’ils peuvent compter sur l’estime d’un pays dont ils contribuent à forger le destin. Dans le contexte électoral actuel, leur inquiétude doit être entendue.

« Les musulmans sont la France, eux aussi »

De fait, les lumières métaphysiques, littéraires ou artistiques des civilisations islamiques qui éblouirent tant d’orientalistes, ont laissé place, dans nos esprits, au dédain ou à des thèses réductrices. Voici l’islam désigné souvent comme l’ennemi juré d’une civilisation judéo-chrétienne qu’il a pourtant aidé à gravir les sommets. Certes, ceux qui devraient en rénover les usages et les doctrines le servent parfois bien mal. Les islamistes, prospérant sur le désarroi et la misère, ont su jouer de logiques binaires jusqu’à favoriser la violence vengeresse d’un millénarisme étroit, qui terrorise aussi les musulmans. Tout cela finit par diffuser une peur que d’aucuns s’emploient à utiliser politiquement.

Je ne viens pas, pour autant, pointer du doigt ceux qui ont exprimé, dans les urnes, une exaspération multiforme. Je ne souhaite pas analyser ici les raisons d’un vote RN. Elles sont diverses. Je me permets simplement d’interroger la tendance à tolérer sans sourciller le soupçon global qu’instillent les affirmations racistes ou juste simplistes.

Je me contente d’un constat simple qui part de l’anniversaire du débarquement allié que nous venons de commémorer : il donne à voir les libérateurs de l’Europe dans leur composante multi-ethnique et multireligieuse. La France put alors compter sur des milliers d’hommes issus des cultures musulmanes d’Afrique sub-saharienne et du Maghreb. Beaucoup sont morts pour la France comme déjà, avant eux, leurs ancêtres en 14-18. Qu’ils reposent en paix. La Grande Mosquée de Paris en est le digne mémorial et la gardienne de la mémoire de nombreux musulmans qui sauvèrent des juifs de la terreur nazie.

Mais je veux aussi, comme déjà dans mes vœux aux musulmans poul’Aïd-el-Kebir, prendre en compte mes compatriotes musulmans d’aujourd’hui. Ils sont binationaux mais pas toujours, pratiquants ou non, mariés à un conjoint musulman ou pas ; ils sont réfugiés, pauvres ou riches, peu ou très qualifiés, habités d’un sens civique profond ou insuffisant, clairs avec l’islamisme ou pas suffisamment, honnêtes ou délinquants, ouverts au dialogue interreligieux ou méfiants… Ils vivent les milles nuances d’une identité complexe.

Ils sont présents dans tous les métiers, arrivés récemment en France ou de quatrième génération : ce sont nos médecins, nos infirmières, nos ingénieurs, nos étudiants, nos aides à domicile… Ils ont leurs passions et leurs loisirs, comme tous les Français, et s’affrontent, comme chacun, à la fatigue du combat quotidien. Alors, gardons l’esprit clair : ils sont la France eux aussi. Ils font la France aujourd’hui. Dans bien des familles où se vit le brassage culturel, on ne parle d’ailleurs plus de personnes anonymes : il s’agit ici d’un gendre, là d’une belle-fille, de petits enfants, de cousins, de demi-frères et de demi-sœurs…

Le risque d’une « dérive revancharde »

Qu’on me permette de dire encore mon admiration pour ces responsables du culte musulman qui me confient leurs efforts pour éviter que l’atroce affrontement qui oppose Israéliens et Palestiniens n’échauffe les esprits ou ne sombre dans l’antisémitisme. On ne saurait, sans risquer une grave injustice, établir un lien nécessaire entre une culture ou une religion et l’insécurité, le terrorisme, l’antisémitisme ou la délinquance. Tout ceci exige des actions éducatives, sociales et judiciaires adaptées.

J’assume donc, en citoyen et en croyant, la reconnaissance de la dignité égale de chacun et un patriotisme imperméable au nationalisme, une identité d’autant plus forte qu’elle est capable de relations, d’échanges et de partage avec l’autre dans sa différence. Ma lecture des Ecritures bibliques, premier et nouveau Testament, m’incite autant à chercher la Vérité qu’à méditer la manière dont Dieu associe des « païens » et des « réprouvés », à l’accomplissement de son Salut. C’est pourquoi, il nous reste à affronter avec courage et surtout ensemble, les causes des détresses qui minent notre société. Personne ne sortira grandi d’une dérive revancharde qui autorise les passions tristes à traquer un bouc émissaire.

C’est d’un esprit citoyen rénové dont nous avons besoin, celui qu’a fondé, malgré ses excès, la Révolution française : elle a posé le socle d’une citoyenneté égalitaire où nul n’est réduit à ses origines, à ses opinions ou croyances. Elle a établi le cadre où chacun peut se mettre au service du bien de tous. Les communautés croyantes elles-mêmes ont le devoir de former à cette citoyenneté, avec la République, en amenant leurs adeptes à s’approprier leur religion d’une manière responsable et libre, sans craindre l’émancipation que protège notre contrat social.

Pour avancer, et alors qu’on nous accule à exprimer qui ou ce que nous rejetons, décidons de consolider d’abord les liens qui font la France aujourd’hui : dans les entreprises, les associations, le sport, le dialogue interreligieux, l’action éducative et humanitaire… Le monde est en feu et il est grand temps de nous associer les uns aux autres pour affronter la complexité des défis.

Jean-François Bourprêtre

Jean-François Bour est prêtre dominicain, expert du dialogue entre catholiques et musulmans à la Conférence des évêques de France et membre de l’Institut dominicain d’études orientales (IDEO), au Caire.

Le Monde 5 juillet 2024   Lien à la Source

 

05/07/2024

NON AU RM

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Au fond, ces trois mots pourraient suffire. Il n’y a rien à ajouter, rien à retrancher. C’est un non, ferme, massif, non négociable, sans « mais », sans exception. Et l’on pourrait plagier l’Évangile : « Que votre non soit non. »

Beaucoup cependant auront envie d’objecter : « Mais à quoi disons-nous oui ? » Et il est vrai que face à ce bloc terrible, qui pour l’heure semble si uni, si uniforme, si univoque, il y a toutes les nuances et toute la diversité de nos choix et engagements politiques.

Alors, les questions surgissent, frontalement ou insidieusement : moi qui suis de gauche depuis si longtemps, qui ai si souvent « fait barrage », dois-je de nouveau voter pour un candidat du centre ou de la droite ; moi qui suis modéré, puis-je donner ma voix à un histrion gauchiste qui va aller siéger à l’Assemblée ? Toutes ces questions sont légitimes, mais elles ne connaissent qu’une seule réponse : dimanche prochain, chacun de nos bulletins peut donner ou refuser la majorité absolue au RN. Et c’est la seule chose qu’il faut peser.

Ensuite, parce qu’il y aura un après, on fera des bilans, on tentera des alliances, on imaginera des remèdes… Mais, pour cela, il faut que la digue tienne. Car la vague qui menace n’est pas celle d’une simple alternance, c’est une vague qui balaierait tout ce qui fait que la France est la France, héritière des Lumières, de la Révolution française, effondrée par le désastre de 1940, rebâtie dans le sang des résistants et des libérateurs alliés. C’est la France du fronton de nos mairies qui peut être effacée, celle de la Liberté, de l’Égalité, de la Fraternité, la France de la République de tous et de toutes, généreuse, inclusive. C’est la France que nous aimons, celle pour laquelle nos ancêtres ont donné leur sang qui est au risque d’être salie et violentée. Et, pour nous qui nous appelons Témoignage chrétien, cette France est aussi celle d’un christianisme qui a fécondé sa générosité et son hospitalité au nom de l’attention aux petits, aux vulnérables, aux blessés de la vie, aux abandonnés au bord du chemin. Cette France est notre joie, notre honneur, notre gloire, notre espérance.

Non au déshonneur, non au désespoir, non au RN.

Rejoignez la campagne Nous c'est non sur https://nouscestnon.fr/

 

15/05/2024

LOGIQUE D'INTENDANCE

Logo Saint-Merry Hors les Murs Violet

 

Panneau Propriété Privée Bois Cormorey St Cyr Menthon

 

 

Comment sortir de l’impasse sociale de la propriété privée exclusive ? Guillaume Dezaunay propose un essai fondé sur les « paraboles des intendants » des évangiles : nos biens et nos pouvoirs ne nous appartiennent pas vraiment, seule compte leur utilité sociale. Un livre inspirant quelles que soient les convictions du lecteur.

Le livre se présente comme une réflexion à propos des « paraboles des intendants » qui fourmillent dans les évangiles sur l’argent, la gestion, l’avoir et le pouvoir. Chacun des 19 courts chapitres met en exergue une parabole parmi les plus connues ou d’autres plus inattendues. Derrière le titre évidemment provocateur du livre – la notion de bien commun est-elle communiste ? – Guillaume Dezaunay propose une lecture de la radicalité du message du Christ que l’on pourra qualifier aussi bien spirituelle, philosophique ou politique. Une lecture accessible à tous, attrayante parce qu’elle n’est pas si fréquente et qu’elle a le mérite de s’attaquer aux grandes questions politico-économiques contemporaines. La logique d’intendant ou de gestionnaire de ce qui nous est confié est l’inverse de la logique de propriétaire, nos pouvoirs sur les biens et les personnes ne sont que de services et il ne s’agit pas de métaphores.

Couv Christ Rouge

Pensée sociale de l’avoir et du pouvoir

Dezaunay est un jeune philosophe marqué par la lecture d’Emmanuel Levinas, d’Hannah Arendt et surtout, en l’occurrence, de « Résurrection » de Tolstoï. Dans ce roman, un aristocrate prend conscience de ses privilèges et les abandonne progressivement. C’est un peu le chemin que propose d’emprunter Dezaunay. Les points centraux des deux premières parties sont peut-être la critique de l’appropriation privative qui apparaît en définitive stérile, génératrice de violence à cause du mimétisme humain et incapable de répondre à notre vif désir de sécurité (p 40-43) ; la critique de l’héritage, absurde s’il est égoïstement dilapidé ou s’il ne sert pas la justice, illégitime s’il ne produit pas des fruits de bonté (p 45-47) ; la critique de l’argent qui asservit s’il ne sert pas l’harmonie sociale et la fraternité (p 29-34); la critique de la marchandisation à outrance (p 59-66).

L’auteur évoque ainsi des éléments de pensée sociale sur les thèmes de l’avoir et du pouvoir, et il esquisse « une théologie de l’expropriation » qui vient contrer la « pseudo-théologie de la prospérité » faisant croire que les profits sont mérités et dons de Dieu (p 99). « Choisir la vie plutôt que la mort » (Deutéronome 30, 19) signifie pour lui choisir la justice et la bonté qui résume « l’esprit du Règne », non pas la compétition et l’esclavage. Il faut « quitter l’anthropocentrisme déviant ». Mais pourquoi est-on si peu attentif à ce désir de justice, et pourquoi faisons nous si peu pour lutter contre l’injustice sociale ? L’auteur esquisse une théorie sur le libéralisme qui historiquement serait parvenu à nous convaincre indument que le profit comme but en soi est incontournable, que les pauvres n’ont droit à rien et qu’au total seul une rationalisation de l’égoïsme serait efficace (p 19). On aurait aimé qu’il développe ce point, peut-être sera-ce pour un ouvrage ultérieur.

Pistes pratiques

La troisième partie (“Que faire ?”) propose des pistes plus pratiques pour soi et pour notre monde, en réaction devant les dérives économiques, sociales et environnementales. « Il est temps de retrouver la dimension matérialiste de la spiritualité chrétienne », c’est-à-dire satisfaire vraiment les besoins des nécessiteux (p 122). « L’éthique est une optique » disait Levinas, n’est-ce pas ce qu’indique aussi Mt 25, 40 « ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » ? Il s’agit d’apprendre « à être de bons intendants », « la voie d’un pouvoir qui devient service et qui se répand en autonomisation des plus fragiles » (p 127). Dezaunay propose aussi sa vision de l’écologie intégrale sortant la théologie chrétienne traditionnelle de sa torpeur immobiliste face à l’appropriation du vivant, la surconsommation, la globalisation sans limites, l’identitarisme, la méritocratie, etc.

Une lecture possible de ce livre est qu’il s’agit de « réchauffer la magnifique doctrine sociale de l’Église malgré ses conceptions culturelles limitées » (p 13). L’auteur propose en effet une illustration personnelle des grands principes de cette doctrine et des écrits du pape François : la « destination universelle des biens », le « bien commun », la « justice », « l’amitié sociale », « la fonction sociale de la propriété », etc.

Radicalité des évangiles

Il s’adresse principalement à la « bourgeoisie catholique » dont il fait partie, et dans le prologue, installé à une terrasse d’aéroport, se disant riche, décroissant et chrétien, il décide de prendre l’avion pour la dernière fois, qu’il est temps « de comprendre que le christianisme sans quête de justice sociale et sans recherche du bon régime économique n’est pas le christianisme » et que lire des textes révolutionnaires réclamant justice pour tous sans jamais aller dans « les trous des pauvres » paraît hypocrite (p 10). Pour la « bourgeoisie catholique », les paroles et les gestes du christ rapportés par les écritures font en principe autorité. C’est pourquoi Dezaunay cherche à la convaincre en renversant l’interprétation classique qu’en donne le christianisme identitaire. Comment en effet ne pas être stupéfait par l’écart entre les croyances conservatrices qui se satisfont fort bien de privilèges indécents, et la lecture des évangiles comme la critique la plus sévère qui soit de nos errements socio-économiques contemporains ? L’Évangile ne serait-il pas l’instance critique la plus radicale pour toute pensée concernant le plus humain de l’humain, comme l’avait suggéré Maurice Bellet ? Ou bien le christianisme n’existerait-il pas encore vraiment (Dominique Collin) ? En dépoussiérant le sens du texte, en choisissant des mots simples sans se laisser aller à des simplifications abusives ou à des dénis de réalité, Dezaunay fait œuvre extrêmement utile. Il témoigne notamment d’une perspective très positive pour l’Église en lui suggérant qu’il n’y a pas de religion valable qui ne soit toujours en train de réinterpréter sa vérité.

Lire ce livre revient certainement à redécouvrir la nouveauté révolutionnaire des évangiles et de la pensée sociale catholique. Mais c’est d’abord un essai de bon sens et de saine réaction contre les méfaits du capitalisme mondialisé. Le souffle de ce livre n’est pas seulement salutaire pour les chrétiens, il intéressera aussi tous les passionnés de justice et de démocratie. L’ouvrage a l’apparence d’un témoignage personnel mais c’est tout le contraire : il s’agit de la genèse d’une parole collective qui fonde l’action, et l’amorce d’une prise de conscience qui vaut pour une Église neuve comme certainement pour d’autres institutions aussi. Ce livre, agréable à lire et facile d’accès, est recommandé à toute personne que la soif d’un avenir commun intéresse.

Guillaume Dezaunay, Le Christ rouge, Salvator, 2023, 170 pages, 17,90 €

jacq.debouverie
Jacques Debouverie, Ingénieur-urbaniste de métier, conseil auprès des collectivités locales et formateur. Responsable associatif dans le domaine du droit au logement des jeunes. Participant de la communauté de Saint Merry depuis les années 80, en équipe à la Mission de France. Père de famille et diacre.
 

13/05/2024

LETTRE OUVERTE SUR L'ECOLOGIE INTEGRALE AUX CANDIDATS AUX ELECTIONS EUROPEENNES

Élections Européennes : Discerner Avec Laudato Si’ 3

A l’initiative du Mouvement "Laudato Si", une trentaine de mouvements, associations, congrégations, etc. chrétiens, dont notre communauté de Saint-Merry Hors-les-Murs, ont signé une lettre aux principales listes candidates aux élections européennes afin de les interpeller sur leur engagements en faveur de l’écologie intégrale. Cette lettre ouverte a été envoyée aux principales têtes de listes françaises afin de leur rappeler les enjeux essentiels de ces élections pour la sauvegarde de notre Maison Commune et de celles et ceux qui y vivent (*), et publiée le 9 mai dans La Croix sous forme d’une tribune.

Cher monsieur …, chère madame …

Vous portez une liste candidate aux élections du Parlement européen. Vous vous engagez ainsi au service du bien commun et nous vous en remercions. Cet engagement courageux vous oblige car vous exercerez votre mandat dans une période marquée par des crise écologiques et sociales qui ont de plus en plus d’influence sur la vie des Européens et de tant d’autres êtres humains. 

Nous, associations, communautés, congrégations catholiques et chrétiennes, sommes particulièrement préoccupées par la crise climatique et environnementale, dans la lignée des enseignements de l’Église, en particulier l’encyclique du pape François Laudato Si’ (publiée en 2015) et l’exhortation apostolique Laudate Deum (publiée en 2023). 

Les institutions européennes ont été façonnées par des personnes motivées par le bien commun. Certaines y étaient poussées par leur foi chrétienne, comme Robert Schuman, récemment déclaré Vénérable par le Pape, c’est-à-dire dont la vie est proposée en exemple aux chrétiens. Fondée sur la volonté de créer une paix durable en Europe grâce à une solidarité en actes, l’Union Européenne peut voir dans ce défi de la transition écologique un nouveau projet commun unificateur. C’est pourquoi, en 2024, il nous semble clair que l’UE doit miser sur sa conversion écologique pour rester fidèle aux intuitions initiales.

L’UE a su jouer un rôle pionnier sur le plan climatique dans la mise en œuvre des engagements internationaux, depuis le Protocole de Kyoto jusqu’à l’adoption de l’Accord de Paris. Elle a su se placer en fer de lance de la transition écologique au niveau mondial en se dotant d’un véritable plan pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris : le pacte vert. En s’attaquant aux enjeux climatiques mais également à la biodiversité, aux pollutions et en cherchant une transition juste, le pacte vert inscrit la transition écologique dans une vision systémique et une politique de long terme. S’il nous permet d’aller dans la bonne direction, il doit cependant être mis en œuvre, approfondi et mis en cohérence, notamment sur le plan de la politique commerciale avec de vraies clauses miroir.

Le débat public contemporain tend à opposer les enjeux sociaux et environnementaux. C’est une erreur fondamentale, comme nous le rappelle le pape François :  “Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale.”, ce qui implique d’entendre “la clameur de la Terre et la clameur des pauvres”.

Vos engagements pour une écologie intégrale sont donc très importants aux yeux des associations, communautés, congrégations catholiques et chrétiennes que nous représentons et du point de vue de notre foi chrétienne, car “vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu […] n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne.” Nous croyons que notre “intelligence de la foi” peut être une contribution utile au débat public.

Nous vous proposons donc de nous rencontrer ou de nous transmettre par écrit vos engagements pour la sauvegarde de notre Maison Commune. En particulier, nous aimerions savoir si vous vous engagez à soutenir les dispositions du pacte vert en agissant pour :

1- Travailler à une sortie des énergies fossiles, en Europe comme dans le monde. Cela nécessite notamment de : 

  • s’assurer que les institutions européennes ne financent ou ne facilitent pas la construction de nouvelles infrastructures fossiles, comme des terminaux méthaniers par exemple,
  • envoyer des signaux clairs aux acteurs financiers en classant le gaz fossile comme un investissement brun,
  • soutenir l’adoption d’un traité international de non-prolifération des énergies fossiles, qui permettrait une sortie concertée, organisée et compensée des fossiles, dans un esprit de justice internationale.

2- Que l’Union européenne défende la justice climatique internationale, à travers notamment :

  • Un financement par l’UE ou ses membres, nouveau, additionnel et sous forme de dons, destiné aux nations plus pauvres afin qu’elles puissent atténuer et s’adapter  au dérèglement climatique,
  • Un soutien fort aux négociations en cours pour une convention sur la fiscalité à l’ONU, qui permettrait de rééquilibrer les flux financiers liés à l’impôt des multinationales, faisant bénéficier les pays du Sud de davantage de ressources propres,
  • L’abondement du fonds “pertes et dommages”, récemment créé mais insuffisamment doté pour effectivement compenser les souffrances vécues par nos frères et sœurs des pays les plus vulnérables,
  • L’annulation de la dette des pays du Sud qui en ont besoin, pour faciliter leurs investissements dans des politiques d’atténuation et d’adaptation au réchauffement climatique.

3- La conversion écologique des systèmes agricoles, ce qui passe par un retournement de paradigme : mettre l’agriculture au service des hommes et du vivant, en passant d’une agriculture industrielle à une agriculture agroécologique qui restaure les écosystèmes, l’eau et la biodiversité, dans le respect de la dignité du travail et des droits humains de chacun et en particulier des agriculteurs. Cette démarche doit être guidée par la recherche d’une souveraineté alimentaire pour tous les pays, y compris ceux du Sud. La souveraineté alimentaire doit être comprise comme l’accès à une alimentation saine, produite avec des méthodes durables, et le droit pour les populations de définir son propre système agricole et alimentaire.
Cette transition vers des systèmes agroécologiques passe donc aujourd’hui passe par deux leviers :

(1) le partage de la terre, c’est-à-dire des mesures de limitation de l’agrandissement des exploitations (régulation du prix du foncier, décorrélation des aides de la PAC de la taille des exploitations, avec une pondération à l’actif).

(2) La promotion de pratiques agroécologiques au sein de l’UE (réduction de l’usage des pesticides) et hors de l’UE en mettant en cohérence les politiques agricoles, commerciales et d’aide au développement, pour limiter le dumping alimentaire et les concurrences déloyales.

4- Sortir du “paradigme technocratique” dénoncé par le Pape François, par exemple en refusant les ‘fausses solutions’. Car “nous courons le risque de rester enfermés dans la logique du colmatage, du bricolage, du raboutage au fil de fer, alors qu’un processus de détérioration que nous continuons à alimenter se déroule par-dessous. Supposer que tout problème futur pourra être résolu par de nouvelles interventions techniques est un pragmatisme homicide, comme un effet boule de neige.” Défendre l’absence d’action immédiate en raison de potentielles mais incertaines innovations techniques est une imprudence majeure, sans compter que les techniques apportent avec elles leurs lots de risques nouveaux. Nous pensons aux techniques de captage et de stockage de carbone ou au développement de carburants alternatifs dans l’aviation, qui peuvent désinciter à la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre notamment par plus de sobriété dans les usages.

5- Proposer un horizon au-delà du consumérisme, à travers des politiques de sobriété, comme par exemple des réglementations sur l’affichage environnemental ou de réparabilité, une réflexion démocratique sur la limitation du trafic aérien, une réduction du parc automobile en parallèle de la fin des moteurs thermiques ou la lutte contre l’éco-blanchiment.

Bien sûr, nous vous encourageons à lire les textes publiés par le Pape (en particulier Laudato Si et Laudate Deum), ou à regarder le documentaire La Lettre que le Mouvement Laudato Si a co-produit, qui évoque Laudato Si’ pendant environ une heure.

Pour la sécurité et la paix en Europe, pour la justice dans le monde, pour l’avenir des plus jeunes, nous prions pour vous et votre engagement. Nous restons à votre disposition afin de vous accompagner dans vos discernements futurs.

Avec nos plus respectueuses sollicitations,

Signataires :

Anne Doutriaux, Coordinatrice France du Mouvement Laudato Si
Sylvie Bukhari de Pontual, présidente du CCFD-Terre Solidaire
Emmanuelle Huet, membre du collectif Lutte et Contemplation
Margot Chevalier et Jean-Luc Bausson, coprésidents de Chrétiens dans le Monde Rural (CMR)
Véronique Devise, présidente du Secours Catholique-Caritas France
Anne-Marie Maison, présidente du Mouvement Chrétien des Retraités (MCR)
Sœur Anne Méjat, responsable de la conversion écologique de la province France-Belgique-Tunisie des salésiennes de Don Bosco.
Manon Rousselot-Pailley, présidente du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC)
Philippe Blaise, animateur d’Écologie Paroles de Chrétiens Nantes – Église verte 44
Arnoult Boisseau, président du CA et Christine Lamolinerie, Vice-Présidente de la Délégation Catholique pour la Coopération (DCC)
Sœur Corinne Tallet, supérieure générale des sœurs de saint François d’Assise
Père François Michon, responsable de la Communauté du Chemin Neuf
Sœur Hélène Noisette, référente Église verte de la Province de France-Belgique des Sœurs auxiliatrices
Christine Vogel, coordinatrice nationale France de la Communauté Mondiale pour la Méditation Chrétienne
Michel Roy, secrétaire général de Justice et Paix
Jacques Debouverie, Équipe pastorale de Saint-Merry Hors-les-Murs
Nathalie Verhulst, présidente de l’action catholique des milieux indépendants (ACI)
Sébastien Dumont, président d’Oeko-logia
Fabien Revol, directeur du Centre Hélène et Jean Bastaire, Berganty (46)
Pierre Dupouet, référent national CVX-Laudato si.
Frère Columba, prieur administrateur de l’abbaye d’En-Calcat
Frère Jean-Marie, prieur de l’abbaye Notre-Dame de Sénanque
Sœur Thérèse Revault, référente de la Congrégation des Filles du Saint-Esprit.
Frère Marie-Benoît, directeur de l’Académie pour une écologie intégrale – sanctuaire Notre-Dame du chêne
Marcel Rémon, directeur du Centre de Recherche et d’Action Sociales (Ceras)
Sœur Bénédicte-Marie Lecaillon, responsable de l’écologie pour la congrégation des sœurs Trinitaires
Daniel Federspiel, provincial des Salésiens de Don Bosco
Philippe Leroux, président des Chrétiens dans l’Enseignement Public (CdEP)
Patrick Raymond, président de l’Action Catholique des Enfants (ACE)
Alfonso Zardi, délégué général de Pax Christi France
Gilbert Landais et Elisabeth Flichy, coprésidents de Chrétiens Unis pour la Terre (CUT)
Dominika Ercsey et Sandrine Nourry, responsables de la Fraternité Politique du Chemin Neuf

(*) Nous proposons à tous les chrétiens d’interpeller eux-mêmes les candidats avec cette lettre. La marche à suivre pour le faire est détaillée ici (c’est très simple et ne nécessite pas plus de 5 minutes de votre temps). 

 

11/04/2024

ISRAËL, LA COURSE A L'ABÏME"

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Israël, la course à l’abîme

Ce pourrait être la goutte qui fera déborder le vase de la patience et de la bienveillance américaines à l’égard du régime de Benjamin Netanyahou : un tir de Tsahal prétendument « non intentionnel » sur un convoi humanitaire de l’ONG World Central Kitchen, faisant sept victimes – le chauffeur traducteur palestinien, une Australienne, trois Britanniques, un Polonais, un Américano-Canadien –, âgées de 25 à 57 ans. Ces morts s’ajoutent à la longue litanie de celles des médecins et journalistes victimes des frappes israéliennes, ainsi que de celles des innombrables civils, enfants, femmes, hommes, dont le principal crime était d’être là parce qu’ils n’avaient nul autre endroit où aller.

Dès le 7 octobre, nous avons écrit ici que l’intention du Hamas était de déchaîner la haine. Il y réussit au-delà de toute espérance… Les Gazaouis perdent la vie et Israël perd son âme. Bien sûr, après l’attaque barbare d’octobre, Israël avait le droit de se défendre, de rechercher les coupables et de décapiter l’organisation terroriste, mais ce droit ne peut s’exercer aux dépens du droit humanitaire, ou même du simple droit de la guerre. La règle de la proportionnalité fait la différence entre la réplique légitime et le crime. Sans nul doute, Israël enfreint largement cette règle : hôpitaux ravagés, cimetières dévastés, tirs sans sommation, bombardements aveugles, pillages, destructions vengeresses, le tout sur fond de désastre sanitaire et d’une famine plus que menaçante. Il semble que l’armée se retire du Sud, mais, pour l’essentiel, que reste-il à détruire ? Rien, sinon les consciences. Celles des Gazaouis, bien sûr, mais aussi celles des militaires israéliens qui exécutent des ordres qu’ils savent illégitimes, celle d’une population israélienne qui jusqu’alors – même si quelques signes contraires commencent à apparaître – ne réussit pas à surmonter le choc d’octobre et à faire chuter le gouvernement criminel de Netanyahou. Aujourd’hui, la seule raison de la poursuite de cette guerre sale est le maintien au pouvoir de l’extrême droite et l’immunité qu’il procure à un Premier ministre aux abois. Le coût humain est aussi exorbitant que le discrédit moral qui s’accumule sur Israël. Et plus cela dure, plus l’effroyable victoire du Hamas est éclatante. La seule issue, puisque la sagesse a quitté cette terre, est que l’administration Biden coupe le robinet d’approvisionnement des armes, non pour perdre Israël mais pour le sauver.

Christine Pedotti