Deux jours avant le second tour des élections législatives, 80 personnalités musulmanes et issues de la société civile signent cet appel à voter pour empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir. Initié par le recteur de la Mosquée de Paris Chems-eddine Hafiz, le texte s’alarme de la montée du racisme.
Comment réagir après un tel désastre politique ? Les Français, pétris d’humanisme et d’universalisme, ne sont pas des racistes. Comment alors comprendre que plus de 10 millions de nos concitoyens ont pu déposer un bulletin d’extrême droite dans l’urne ?
Chez ces Français, ni riches, ni pauvres, la peur du déclassement et une hostilité, ou au minimum une inimitié envers les arabes et les africains (les immigrés, devenus musulmans avant d’être considérés comme des islamistes intégristes), transformés en boucs émissaires, peuvent être un exutoire commode.
Mais ce jeu de chamboule-tout est un « tout-le-monde-perd » : les Français opposés au RN, ceux « issus de la diversité » et enfin les électeurs de Marine Le Pen eux-mêmes.
Or, si certains de nos concitoyens peuvent être taxés de xénophobes, nous ne sommes pas un pays raciste, en tout cas, pas avant d’être manipulés par une rhétorique de peur et de division.
Le RN n’a pas été élu par l’émotion mais par un travail de plus de vingt ans, avec un long processus de dédiabolisation, qui l’a positionné progressivement comme un parti éligible, normalisé, malgré un discours de haine et d’insécurité.
Il a progressé inexorablement, comme ses équivalents dans les sociétés démocratiques occidentales, en remplaçant la lutte des classes par la peur de l’autre, agrégeant autour de lui de plus en plus de Français agacés, déclassés, inquiets des suites de la mondialisation et de la globalisation, rejoints par les agriculteurs qui ne s’en sortent plus et des anciens gilets jaunes ou bonnets rouges. Il ne restait plus qu’aux cyniques, flairant le bon calcul politique, à emboîter le pas et « aller à la soupe ».
Avec les élections Européennes, ce qui était au départ un référendum « pour ou contre la diversité » s’est transformé, au fil de la normalisation, en un référendum pour ou contre le RN, ou plutôt un référendum pour savoir si le RN était un parti comme les autres, une fois achevé le processus de « mitterrandisation » de Marine Le Pen. Dès lors, les excès de Reconquête (qui n’en a que le nom) ont même permis au RN d’apparaître plus raisonnable.
En 2017, le président de la République a été élu sur la promesse d’un dépassement du clivage droite-gauche, voulant mieux coller aux réalités du monde. Cependant, la difficulté de ce discours, conjuguée à une faible implantation locale sans assise populaire, a conduit à une perte de repères de ce qui faisait société entre nous, au profit de forces toujours plus divergentes. C’est la fameuse montée des extrêmes, la radicalité des uns stimulant la radicalité des autres. De fait, au ministère de l’Intérieur en 2018, Gérard Collomb, avait eu cette phrase prémonitoire : « aujourd’hui, on vit côte à côte et je le dis, moi je crains que demain on ne vive face à face ». Nous y sommes.
Et nos concitoyens musulmans dans tout ça ? Comparé à un taux de participation national de 66,7 % (47,5 % en 2022), la participation en Seine-Saint-Denis a été de 60,6 % pour 38,9 % en 2022). Ceci représente en soi un chiffre remarquable témoignant d’une prise de conscience des
enjeux. Si l’extrême droite venait à gagner les législatives, ces populations parmi les plus pauvres, fragiles et discriminées, comprennent bien que nous risquons de voir nos valeurs les plus fondamentales mises en péril.
Sa prise de pouvoir entraînera une érosion des droits civiques, une montée de la xénophobie, avec une fracture encore plus profonde de notre société vis-à-vis de tous ceux à qui la parole raciste demande « d’aller à la niche »… Les horribles politiques discriminatoires et les discours de haine que l’on voit renaître grandiront, contre les uns, contre les autres, menaçant la cohésion et l’unité de notre nation. Le règne du « chacun pour soi », avec la guerre du « tous contre tous » remplaçant l’idée de communauté nationale.
Nous ne pouvons accepter qu’une partie d’entre nous, Français, soit pointée du doigt, faussement responsables des maux de la société, rendus boucs émissaires. La diversité de notre pays est une force, et la République ne peut prospérer que si chaque citoyen, respectant les règles de la République, soit respecté et protégé en retour.
Face à la montée du RN et de ses discours de division, les enfants d’immigrés, les descendants de ceux qui ont travaillé sans relâche pour construire, eux aussi, notre pays et trouver une vie meilleure, reconnaissent la nécessité et le pouvoir qu’ils détiennent entre leurs mains – le pouvoir de voter. Chaque citoyen doit se lever et faire entendre sa voix, non pas par la colère ou la violence, mais par le pouvoir du bulletin de vote.
Face aux racistes qui nient le pouvoir du vote (on se souvient des lois raciales discriminantes aux États-Unis), nous devons tous voir, quelles que soient nos convictions, que le vote est une action sacrée, façonnant l’avenir et influençant le cours de l’histoire. Voter n’est pas seulement un droit, mais un devoir éminent envers notre République. Protégeons ce pays qui nous protège.
Parce que chaque voix compte ; chaque vote est un acte de foi en la démocratie, un acte de foi en la justice, un acte de foi en un avenir meilleur. Une espérance…
Nous ne pouvons pas laisser la peur et l’intolérance déterminer notre avenir. L’histoire nous a montré à chaque fois les conséquences désastreuses de l’inaction face à l’extrême droite.
Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de prouver que nos principes d’égalité, de fraternité et de liberté qui forment le socle de notre nation peuvent triompher de la haine et de la division.
Nous, citoyens unis dans notre diversité, faisons entendre nos voix. Notre avenir s’organise aujourd’hui, dès cette élection. Pour demain, pour nos enfants, pour le quotidien, pour la France.