Sous le coup de mesures conservatoires après un signalement, condamné à une peine de prison, ou encore visé par une peine canonique sans avoir été condamné par la justice nationale… Où sont les prêtres auteurs de violences sexuelles, relevés de leurs missions, et toujours sous la responsabilité de l’institution ecclésiale ? Peuvent-ils revenir à des charges pastorales ? Ces questions restent un casse-tête pour l’Église de France alors que de nombreux efforts ont été déployés depuis le rapport Sauvé pour mettre la victime au centre.
En avril 2016, la Conférence des évêques de France (CEF) avait mis en place une commission nationale d’expertise sur la pédocriminalité, présidée par Alain Christnacht. Toujours en activité quoique peu sollicitée, cette instance, qui travaille sur dossier, a un rôle de conseil auprès des évêques sur les mesures à prendre vis-à-vis d’un prêtre agresseur. « Si l’auteur reste dans le déni de ses actes, nous ne pouvons pas beaucoup l’aider, explique Alain Christnacht. En revanche, la reconnaissance des faits permet de graduer les mesures d’éloignement. »
Que ce soient les évêques ou les supérieurs de communautés, le premier réflexe est souvent de trouver une solution en interne. « Mais il n’y a plus de place aux archives », ironise un prêtre. Les couvents et abbayes ont longtemps servi de « refuge » pour les auteurs, au risque de perturber la vie de la communauté. Devant la multiplication des demandes, la Conférence monastique de France (CMF) a élaboré une « charte de l’accueil des prêtres pénitents dans les monastères » en 2013. Enfin, le recours à l’aumônerie d’hôpital et même aux postes administratifs, parce qu’il entraîne des contacts avec le public, reste mal perçu. « Il faut pourtant faire quelque chose de ces auteurs. Je ne suis pas favorable à les exclure définitivement, sauf à ce qu’ils présentent un risque de récidive », précise Alain Christnacht.
À la suite de la publication du rapport Sauvé en octobre 2021, les évêques de France ont confié ce sujet à l’un des groupes de travail mis en place conjointement avec la Conférence des religieuses et religieux de France (Corref), chargé de faire des propositions pour « l’accompagnement des mis en cause d’auteurs de violences sexuelles ». Pour son responsable, Bertrand Galichon, « l’auteur est marqué au fer rouge, se trouve dans une grande solitude. » En dépit du choc que provoquent les révélations, « l’accompagnement du mis en cause doit commencer sans délai, dès le signalement, et doit s’inscrire dans la durée », préconise le groupe de travail.
La stigmatisation des abuseurs est renforcée par leur état de prêtre. Plusieurs, mis en cause pour des faits de moindre gravité, n’ont pas supporté l’exposition publique et se sont suicidés : « Il est indispensable de créer un cadre protecteur et bienveillant vis-à-vis de l’auteur », souligne Walter Albardier, psychiatre et responsable en Île-de-France du Centre ressources pour intervenants auprès d’auteurs de violences sexuelles (CRIAVS). Le groupe de travail de la CEF-Corref va jusqu’à formaliser cet accompagnement en conseillant la mise en place d’un « cercle de soutien » auprès de l’auteur.
« S’occuper des auteurs ne minimise certainement pas la gravité des actes ni la douleur des victimes mais permet de mieux comprendre les violences sexuelles dans l’Église », explique le père Nicolas Port, frère de Saint-Jean et chercheur en psychologie. Auteur d’une analyse fine des profils à paraître prochainement, il a pu montrer que « le passage à l’acte ne s’explique pas seulement par la frustration sexuelle, mais implique aussi des éléments comme le pouvoir, l’emprise et les fragilités narcissiques ». Pour Walter Albardier, « les auteurs sont le plus souvent des personnes proches, plutôt chaleureuses qui ont parfois du mal à trouver leur juste place dans la relation à l’autre ». Et Nicolas Port de poursuivre : « On imagine que ce sont des monstres, alors qu’il peut s’agir d’un oncle sympathique ou du curé de la paroisse… ce qui nous frappe d’autant plus. » « La prise en charge des auteurs ne peut pas être exclusivement psychiatrique ou psychologique, insiste Walter Albardier. La parole judiciaire et le cadre social doivent intervenir. » Il y a la mobilisation des différents acteurs, mais aussi le travail personnel de l’abuseur : « Il faut leur donner le temps du retour sur eux-mêmes », prévient Alain Christnacht. Et ce chemin n’est pas plus facile quand les affaires sont révélées très tardivement, l’auteur ayant, d’une certaine façon, bénéficié d’une impunité pendant des années. « Dès qu’il est mis en cause, le prêtre risque d’être écarté définitivement, sa réputation numérique assurant la publicité de la peine pendant des années », constate Bertrand Galichon.
« La mise à l’écart quasi définitive des coupables est une constante de nos sociétés et pas seulement pour les prêtres mis en cause, constate Walter Albardier. Il est vrai que l’Église a été tellement ébranlée par le rapport de la Ciase que les fidèles catholiques ont beaucoup de mal à voir revenir un prêtre dans une mission pastorale. » Quelle place l’Église peut-elle encore accorder aux auteurs ? Le retour à la vie laïque ou le renvoi de la vie religieuse peuvent intervenir lors des cas les plus graves. Les sanctions partielles – interdiction de confesser, de célébrer en public – entravent un réel ministère.
Plusieurs structures existent ou sont en projet pour accueillir pour quelques semaines, voire plusieurs mois les auteurs d’abus mais aussi des prêtres en souffrance ou pris dans des addictions. De ce travail d’accompagnement délicat, les initiateurs – sollicités par La Croix – ne veulent pas parler trop vite, tant la démarche est fragile.
Reste la justice restauratrice qui, en marge des étapes judiciaires et canoniques, participe à la prise en charge à la fois des victimes et des auteurs. « Elle n’est possible qu’avec l’engagement de tous les acteurs, la victime, l’agresseur mais aussi l’entité ecclésiale, diocèse ou communauté, explique le jésuite Guilhem Causse, philosophe et aumônier pénitentiaire qui organise ce vendredi 15 mars un colloque aux Facultés Loyola Paris intitulé « Réparation et pratiques du pardon » (1). « Elle va permettre à l’auteur d’abus, poursuit-il, de prendre conscience de la gravité de ses actes et de dépasser le déni. » Et peut-être aussi, ajoute Walter Albardier, de « réhumaniser l’auteur de l’agression dans l’œil de la victime ».