Le scénario du crime d’Annecy pourrait avoir été composé pour mettre en évidence les structures de pensée fautives qui gangrènent notre société.
Pour commencer, les victimes : des enfants, presque des bébés. Annecy est la figure parfaite d’un massacre des Innocents tel que l’Évangile le rapporte.
Ensuite, le coupable : un homme d’origine syrienne, chrétien, qui a obtenu un statut de réfugié dans un des pays d’Europe réputé pour son attention au traitement des étrangers et des migrants. Il a connu une forme d’insertion puisqu’il semble s’être marié et avoir eu un enfant. L’acte : cet homme, qui erre depuis plusieurs semaines dans Annecy, poignarde quatre jeunes enfants et deux adultes qui tentent de s’interposer. Il le fait en criant « Au nom de Jésus-Christ ». Un crime à l’arme blanche, qui tranche dans la chair des enfants : l’horreur absolue. Pour finir, le héros, ou montré comme tel par beaucoup de médias : un jeune homme de 24 ans, chrétien lui aussi, ayant décidé de faire un pèlerinage, le tour des cathédrales de France. Il s’est interposé et a essayé de détourner le criminel de ses objectifs.
Ces quatre « ingrédients » constituent un cocktail extrêmement toxique pour tous les esprits simplistes. Évidemment, si cet homme avait été musulman et avait invoqué le nom d’Allah, on aurait conclu à un acte terroriste. S’il n’avait pas été un migrant mais un père de famille français, on aurait interrogé la prise en charge psychiatrique en France… S’il avait tiré, on aurait pensé aux États-Unis et parlé de la circulation des armes à feu. Et, si le héros avait été un étranger… un Asiatique… un bouddhiste… un libre-penseur…, qu’aurait-on conclu ?
La tragédie d’Annecy, comme toute vraie tragédie, opère un dévoilement des replis de nos pensées, et surtout de leurs faux plis.
Dans ce terrible événement, il y a un homme, gravement perturbé par sa propre histoire : si les réfugiés ont besoin de protection, c’est à cause de ce qu’ils ont subi. Être accueilli et protégé n’efface pas le passé. Il y a un jeune homme qui tente de protéger des enfants au risque de sa propre vie, et c’est à la fois courageux et simplement humain. Il y a l’horreur du mal, de la maladie et la fatalité… Aussi, la principale et peut-être la seule leçon à tirer est que ni les accès de folie ni les actes d’héroïsme n’ont de religion.