Le pape François a développé, lundi 10 janvier, devant les diplomates de toute la planète, ses préoccupations pour le monde. Parmi elles : les vaccins, les migrants et la détention d’armes. Pour la première fois, il s’est montré préoccupé par la « cancel culture ».
Rome De notre envoyé spécial permanent - Loup Besmond de Senneville
C’est le grand rendez-vous du début d’année au Vatican. Le pape François s’est longuement exprimé, lundi 10 janvier, lors de la traditionnelle cérémonie de vœux adressés à tous les ambassadeurs accrédités près le Saint-Siège. Durant un discours fleuve, il a dressé un vaste état du monde et a adressé aux 183 États représentés devant lui une vigoureuse exhortation à agir, dans le contexte critique de la pandémie.
Car c’est bien des autorités politiques et sanitaires que dépend la distribution des vaccins, dont François a estimé que, même s’ils ne sont pas « des outils magiques de guérison », ils constituent « la solution la plus raisonnable pour la prévention de la maladie ». Depuis la salle des Bénédictions, au cœur du Palais apostolique, il a d’ailleurs fustigé, en la matière, les « informations infondées » et les « faits mal documentés » qui constituent des « idéologies » en rupture avec « la réalité objective des choses ».
« Un engagement global de la communauté internationale est nécessaire pour que l’ensemble de la population mondiale ait un accès égal aux soins médicaux essentiels et aux vaccins », a-t-il affirmé.
Insistant sur l’importance de l’éducation dans cette période troublée, il a redit sa « douleur » de constater que des abus sur mineurs avaient eu lieu « dans divers milieux éducatifs ». « Il s’agit de crimes sur lesquels il faut avoir la ferme volonté de faire la lumière en examinant les cas individuels, afin d’établir les responsabilités, de rendre justice aux victimes et d’empêcher que de telles atrocités ne se reproduisent à l’avenir. »
Autre demande adressée aux États, de la part d’un pape qui est apparu inquiet pour le monde : celle d’accueillir les migrants. Le thème est d’autant plus présent chez lui qu’il estime, comme il l’avait exprimé lors de son voyage en Grèce et à Chypre, début décembre, que le sort des migrants est frappé par l’indifférence générale. S’il s’est dit « conscient des difficultés que rencontrent certains États face à des flux humains considérables », il a aussi affirmé que ces réticences ne pouvaient être le prétexte à une fermeture totale : « Il y a une nette différence entre accueillir, même de façon limitée, et repousser totalement. »
Pour le pape, la solution aux crises migratoires et climatiques se trouve dans une réponse globale, portée par des instances multilatérales. Mais la diplomatie multilatérale, grande priorité du Saint-Siège, fait l’objet d’un affaiblissement réel ces dernières années, et du « manque d’efficacité de nombreuses organisations internationales ». L’une des raisons de cette carence ? « Une forme de colonisation idéologique », a répondu François. Pour la première fois, le pape a évoqué la « cancel culture » (culture de l’annulation), qu’il a définie comme une « pensée unique contrainte à nier l’histoire ». « Au nom de la protection de la diversité, on finit par effacer le sens de toute identité, avec le risque de faire taire les positions qui défendent une idée respectueuse et équilibrée des différentes sensibilités », a fustigé le pape.
En décembre, François avait critiqué un guide interne de la Commission européenne, dans lequel il était notamment recommandé de ne plus souhaiter « Joyeux Noël », afin de respecter les différentes traditions religieuses. Un épisode que le pape n’a toutefois pas directement nommé, fidèle à la tradition de la diplomatie du Saint-Siège de ne pas mettre en cause un organisme ou un État de manière frontale. On peut aussi relever l’absence de la mention de deux États, avec lesquels les relations demeurent particulièrement délicates : la Chine et la Russie.
Pour autant, le pape n’a pas évité d’autres sujets difficiles, et à ses yeux prioritaires, comme la détention d’armes. « On a parfois l’illusion que les armements ne remplissent qu’un rôle dissuasif contre d’éventuels agresseurs, a-t-il averti. L’histoire, et malheureusement aussi l’actualité, nous enseignent que ce n’est pas le cas. Celui qui possède des armes finit tôt ou tard par les utiliser. » Une inflexion claire dans la doctrine, qui a longtemps condamné l’utilisation des armes, tout en reconnaissant à la dissuasion une forme de légitimité.
Paroles
« Son diagnostic sonne vraiment très juste »
Patrick Renault
Ambassadeur de Belgique près le Saint-Siège
« Je suis frappé par les propos du pape sur plusieurs points. D’abord, sa condamnation des fausses rumeurs sur les vaccins est claire. Cela peut avoir un impact important sur ceux qui aujourd’hui, notamment en dehors d’Europe, utilisent des arguments religieux pour tenir des discours anti-vaccination. Ensuite, son diagnostic sur le multilatéralisme et la crise des organisations internationales sonne vraiment très juste. Lorsqu’il parle du manque d’efficacité de ces organismes, on ne peut qu’être d’accord. Enfin, il exprime une réelle inquiétude sur le fait que le processus de paix entre Israël et Palestine n’ait pas avancé et il promeut des négociations avec l’Iran pour un accord sur le nucléaire. C'est le soutien fort et très significatif."
Recueilli par Loup Besmond de Senneville (à Rome)