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09/12/2021

LA FRANCE, LA FRANCE

Photo : Faces Of The World (CC BY 2.0)

Cette fois, nous y sommes ou presque ; les « petits chevaux » sont presque tous alignés sur la ligne de départ pour la grande course présidentielle. Il manque certes le président sortant, mais il ne fait guère de doute qu’il sera candidat à sa succession et, à date, le prétendant le plus sérieux pour le titre, de sorte que tous les autres sont pour l’instant des challengers.

Que dire sinon gémir de tristesse devant l’affligeant émiettement de la gauche ? Au-delà de son incapacité dramatique à présenter un candidat ou une candidate ayant un espoir de figurer au second tour, sa faiblesse et sa dispersion ne lui permettent même pas de peser sur le positionnement d’Emmanuel Macron, qui cherchera plutôt à rattraper des électeurs et des électrices fuyant une droite tendue vers l’extrême. Car c’est bien à droite que ça se passe, une droite dont les différentes nuances n’atténuent pas les couleurs criardes et violentes. Marine Le Pen se retrouve bizarrement à incarner la droite populaire du gros rouge qui tache et du (faux) « bon sens près de chez vous ». Sa bonhomie en deviendrait rassurante comparée à la figure de Zemmour, tout recuit de ressentiment, en appelant à une France pétaino-pompidolienne fantomatique, une France issue de l’accouplement improbable de Dupont Lajoie et de Brasillach. Il a été rejoint, sans grande surprise, par les militants de Sens commun – rebaptisé Mouvement conservateur en 2020 –, une formation droitière issue du combat contre le mariage pour tous.

La campagne de désignation du champion des Républicains quant à elle a d’abord montré des candidats infléchissant leur propos sur des positions de plus en plus nationalistes, xénophobes et autoritaires. Le premier tour a placé Éric Ciotti en tête et, s’il s’est finalement incliné devant Valérie Pécresse, il a quand même atteint 40 % des suffrages en ne cachant pas sa proximité avec l’autre Éric. Il n’a d’ailleurs pas attendu vingt-quatre heures pour peser sur la vainqueure en prétendant lui dicter des choix de campagne aussi radicaux qu’un « Guantánamo à la française » dans la lutte antiterroriste.

Que reste-t-il de la France dans tous ces délires ? La France « millénaire » et fantasmatique de certains est-elle une autre France que celle des Lumières, de l’universalisme, des droits humains, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et de la laïcité ?

Christine_Pedotti-100x100 (2).jpgChristine Pedotti  TC.GIF

 

06/12/2021

« La juste place de chacun » par Pierre-Alain LEJEUNE curé de quatre paroisses du Diocèse de Bordeaux

la juste place de chacun.GIF

Nous avons tous été profondément meurtris par les révélations du rapport de la CIASE : non seulement les abus sexuels commis par des prêtres et religieux mais aussi la manière dont ces scandales ont été étouffés pendant des décennies. 

     Un groupe de paroissiens a entrepris la lecture du rapport et je me suis joint à eux la semaine dernière. L’une des nombreuses questions que nous avons abordées vendredi dernier, est celle de la place du prêtre dans la communauté chrétienne. En effet, lorsque le prêtre est un homme à part, intouchable, en position de surplomb, personne n’osera dénoncer même les pires agissements. C’est d’ailleurs probablement la recherche de cette position dominante leur garantissant l’impunité, qui a attiré vers le sacerdoce des hommes présentant de graves déséquilibres psycho-sexuels. Nous comprenons mieux aujourd’hui que ce n’est pas le sacerdoce qui pousse à la pédo-criminalité mais plutôt les pédo-criminels qui sont attirés par le sacerdoce. 

     Pour cela, il est essentiel de redonner au prêtre sa juste place : le voir non pas sur un piédestal mais comme un serviteur. Mieux comprendre la place du prêtre, c’est d’abord redécouvrir que la différence prêtre/laïcs n’est pas « essentielle ». Ce qui est essentiel, c’est le baptême que nous avons tous reçu ; c’est notre trésor commun et pour ma part, je considère que je n’ai rien reçu de plus grand que le baptême. Le ministère de prêtre confié à quelques-uns ne leur confère aucune supériorité mais fait d’eux des serviteurs. Le prêtre ne fait pas le lien entre vous et le Christ car chaque baptisé est en lien direct avec le Christ. Le prêtre en revanche est au service de ce lien qui nous unit au Christ Jésus, au service de la vocation des baptisés. Il ne doit jamais être un intermédiaire mais un serviteur. 

     Évidemment, dans la mesure où il exerce la mission de pasteur, le prêtre (et plus encore l’évêque) est investi d’une autorité et il ne s’agit en aucun cas de refuser ou de fuir cette responsabilité. Il faut l’assumer. Mais dès qu’il y a autorité, il y a danger ; le danger que viennent s’y loger le péché de l’homme et son désir de toute-puissance. Nul ne peut se croire à l’abri de ce risque. Les apôtres eux-mêmes dans l’Évangile seront repris par Jésus sur ce point. Il est donc essentiel que cette autorité soit vécue comme un service du peuple de Dieu et en collaboration avec une équipe de paroissiens. C’est en cela que le prêtre a autant besoin des paroissiens que les paroissiens ont besoin du prêtre. C’est ensemble que nous nous aidons à assumer pleinement nos vocations respectives. 

     Un jour, Saint Augustin a mis des mots d’une grande justesse sur la relation du pasteur au peuple qui lui est confié, des mots qui peuvent grandement nous éclairer aujourd’hui : "Si ce que je suis pour vous m'épouvante, ce que je suis avec vous me rassure. Pour vous en effet, je suis l'évêque ; avec vous je suis chrétien. Évêque, c'est le titre d'une charge qu'on assume ; chrétien, c'est le nom de la grâce qu'on reçoit. Titre périlleux, nom salutaire".

     Cette juste place me semble être une question décisive car je crois que la juste place du prêtre détermine la juste place de chaque baptisé. Si le prêtre est perçu comme un « super chrétien » alors les baptisés auront tendance à se considérer comme des chrétiens de seconde zone, pouvant être dispensés de vivre l’Évangile dans toute sa radicalité. A l’inverse, lorsque le prêtre est accueilli comme un serviteur de notre vie baptismale, alors nous sommes tous entraînés à vivre pleinement notre baptême. 

     Cette crise majeure que traverse l’Église est sans doute un signe des temps et il nous faut saisir cette occasion pour grandir dans la foi. De cette crise,  nous sortirons par le haut et nous sortirons grandis, si du moins nous savons nous mettre ensemble à l’écoute de l’Esprit Saint. La démarche synodale est en cela une opportunité et une grâce qu’il ne faut pas manquer ! 

Pierre Alain Lejeune / Crédit photo : Paroisses des Jalles

01/12/2021

MIGRANTS, CHANGER DE VISION

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Si loin, si proches
Migrants, changer de vision
Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef à La Croix

Pendant quelques jours, on a pu croire que l’Europe allait être envahie. Ce n’était pas les Huns ni l’Armée rouge mais quand même « la plus grande tentative de dé-stabilisation de l’Europe » depuis la guerre froide, selon le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki. Des milliers de migrants attendaient en Biélorussie de pouvoir franchir la frontière. Pour les en empêcher, Varsovie a bouclé la zone, déployé plusieurs milliers de soldats, gardes-frontières et policiers. Des clandestins ont été débusqués jusque dans les hôpitaux.

Ce flux migratoire ne devait rien au hasard. Les Européens ont établi que la Biélorussie avait délibérément acheminé les migrants à cette frontière, après avoir délivré des visas et affrété des vols à partir de capitales du Moyen-Orient. L’autocrate Alexandre Loukachenko se vengeait ainsi des sanctions infligées à son régime depuis l’élection présidentielle truquée d’août 2020, qu’il affirme avoir emportée. Ses services ont activé des réseaux de passeurs au Kurdistan, en Syrie, au Liban, faisant miroiter un accès facile vers l’Allemagne, nouvel eldorado. Les mafias ont récolté une manne en suscitant l’élan d’hommes et de femmes jeunes, parfois avec enfants, désireux de fuir un avenir désespérant. La Pologne affirme avoir enregistré au total plus de 34 000 tentatives de franchissement de sa frontière, avec un pic en octobre. La Biélorussie a évoqué le chiffre de 7 000 migrants sur son sol, dont plusieurs centaines ont été depuis rapatriés. Selon les ONG, 11 personnes sont mortes durant la traque, de froid ou de maladie.

L’Union européenne a fini par faire reculer le potentat de Minsk. La compagnie aérienne biélorusse va être punie et la Commission propose un texte visant à pouvoir sanctionner à l’avenir « les sociétés complices de traite et de trafic de migrants ».

Fin de l’épisode ? La question des migrants est récurrente depuis vingt ans mais rarement elle aura pu être appréhendée avec autant de facilité. Les spectateurs que nous étions en ont perçu toute la dramaturgie : comme dans une tragédie grecque, la raison d’État a broyé les destinées humaines. Mais comment ne pas en garder un profond goût d’amertume. Quoi ? Étions-nous vraiment menacés par ces milliers de personnes cherchant un avenir meilleur ? N’était-il pas possible de trouver des solutions plus respectueuses de la dignité humaine ?

La question migratoire est difficile et malheureusement dans une impasse à l’échelle européenne. La plupart des gouvernements sont tétanisés par la dimension politique de l’enjeu. L’Union ne réussit pas à dégager de nouvelles formes de solidarité entre ses membres. Elle parvient malgré tout à peser sur ses voisins en vue de limiter les flux migratoires et de faire respecter ses frontières. Mais elle est sur la défensive et manque d’assurance. Une nouvelle stratégie nécessiterait de travailler sur les représentations que les citoyens ont des migrants. Une attitude plus confiante dans la rencontre et l’altérité devrait être stimulée, notamment en observant le passé. L’Europe a toujours été un continent d’arrivées et de départs. C’est ce que raconte l’exposition « Picasso l’étranger », au Musée national de l’histoire de l’immigration, à Paris (1). L’exilé catalan est devenu une figure mondiale de l’art en France. Picasso n’a pourtant jamais été naturalisé français et il a, de ce fait, longtemps vécu dans l’insécurité.

(1) Jusqu’au 13 février. histoire-immigration.fr

30/11/2021

LETTRE OUVERTE DE GUY AURENCHE A MGR MICHEL AUPETIT

28/11/2021/ SAINT MERRY HORS LES MURS

Frère Michel, 
Dans le brouhaha qui vous assaille, rassurez-vous : je n’éprouve aucune satisfaction, mais plutôt de  la tristesse. Je réprouve le mélange fait scandaleusement, par certains médias, entre une supposée relation affectueuse que vous auriez éprouvée et les questions de fond que pose la réforme de l’Église. 

Marcher ensemble !
Contrairement à ce qu’affirment certains, Saint-Merry Hors-les-Murs, n’est aucunement impliqué dans une quelconque cabale contre vous. Au contraire depuis neuf mois il a multiplié les démarches pour que vous acceptiez le dialogue. 
Je sais d’expérience que la richesse de l’Église est d’être plurielle : « À l’heure actuelle, il est si important de marcher ensemble, de se rencontrer, de s’écouter et de discerner ensemble… » (Cardinal De Kesel, Études, décembre 2021).
Votre décision de remettre « entre les mains du pape » votre mandat ne répond à aucune des urgences que souligne la démarche synodale souhaitée par le pape François. Au contraire elle va figer les positions de chacun ; la vôtre confortée par votre confirmation, comme celle de ceux qui vous reprochent un exercice autoritaire et peu évangélique dans l’animation du diocèse.
Acceptons de parler en vérité au service de l’annonce de l’Évangile. Pour cela, comme modeste membre de ce Peuple de Dieu, je vous suggère d’organiser pour juin 2022 un grand Rassemblement du Peuple de Dieu qui vit à Paris. En retenant par exemple ces trois questions. 

Vivre en Peuple de Dieu
Comment répondre à l’ecclésiologie du Peuple de Dieu affirmée par le concile Vatican II ? Comment faire participer le plus possible ledit peuple dans sa diversité femmes/hommes, la variété des sensibilités spirituelles, les différences dans la lecture des Écritures. « De la crise actuelle émergera l’Église de demain… L’Église sera véritablement perçue comme une société de personnes volontaires. En tant que petite société, elle sera amenée à faire beaucoup plus souvent appel à l’initiative de ses membres », écrivait en 1969 le cardinal Ratzinger. À Paris quel conseil pluraliste faut-il créer ? Quels mécanismes seront mis sur pieds pour entendre la voix de tous et en particulier des plus fragiles ? Quel processus éclairera ceux (pourquoi pas celles) qui prendront les décisions ? 

Spécificité de la mission du prêtre 
Comment oser mettre à plat la question de la spécificité de la mission confiée aux prêtres ? Il ne s’agit en rien d’une « lutte des classes », ni de permettre aux laïcs d’exercer le pouvoir à la place de… ! « Vivre la coresponsabilité pour nous… c’était se donner la possibilité de changer le visage de l’Église » (J.-C. Thomas, Et vous m’avez accueilli. Contributions pour une Église vivante, éditions Salvator, 2021). 
À plusieurs reprises a été mise en cause la « sacralisation » de la personne du prêtre et de son rôle. « Le positionnement doctrinal reconnu au prêtre par la tradition peut se voir détourné par certains au profit d’abus de pouvoir, d’abus spirituels, voire de violences sexuelles », constatait le rapport de la Ciase, invitant l’Église à « s’interroger (sur) des causes structurelles », systémiques, des abus sexuels. Yves Congar, l’un des théologiens français ayant pesé sur la discussion lors du concile Vatican II, éclairait le service confié au prêtre en faisant de lui le témoin d’un « triple signe ». Une symbolique temporelle : le prêtre reliant la communauté au passé de toute l’Église. Une symbolique spatiale en veillant à chaque personne dans le groupe et en intégrant celui-ci dans l’universalité de l’Église. Une symbolique d’altérité en rappelant à chacun(e) que la mission lui est confiée par un Autre. Il faut y ajouter une symbolique d’invitation : le prêtre invitant toute la communauté au grand repas partagé par Jésus-Christ. 

Un langage au service de l’Évangile
Comment, pour être au service de l’annonce de l’Évangile, adapter les mots, le langage, les gestes de l’Église afin qu’ils soient compréhensibles par nos contemporains ? Dire une Bonne nouvelle exige, au moins, de se soucier d’être compris par ses interlocuteurs. L’Église n’a pas à s’adapter à toutes les modes de son temps, mais, à chaque génération, elle doit tenir compte des « peines et des joies » du monde qui l’entoure. Aussi bien dans les messages de vie qu’elle propose que dans la liturgie qu’elle célèbre. Le rendez-vous principal de l’Église, son unique rendez-vous sans doute, est bien de se laisser imprégner de l’Esprit d’Évangile et de savoir le partager.
Le grand rassemblement du Peuple de Dieu qui vit à Paris prendrait alors toute sa place dans la démarche synodale, « le rendez-vous que Dieu désire pour l’Église du 3e millénaire » (pape François). 
Oui, au-delà de légitimes divergences, riches de nos diversités, désireux de répondre à l’appel de la mission, rencontrons-nous sans tarder, et construisons ensemble. 

 Guy Aurenche : "Construire une société française qui choisit d'accueillir".  - Université d'été 2019 - CVX -Guy Aurenche, né en 1946, est un avocat français, militant des droits de l'homme, président d’honneur de la Fédération internationale de l'action des chrétiens pour l'abolition de la torture et ancien président du Comité catholique contre la faim et pour le développement. 

29/11/2021

FAIM ET DIGNITE : L'ETAT DE LA PAUVRETE EN FRANCE

Le Secours Catholique-Caritas France a publié jeudi 18 novembre son rapport statistique annuel État de la pauvreté en France 2021. Constats et analyses sur la précarité issus de l’observation sur l’ensemble du territoire national de plus de 38 800 situations (sur les 777 000 personnes accueillies en 2020).

Pour son rapport 2021 qui alerte sur la dégradation du niveau de vie des plus pauvres, l’association a complété son étude d’une enquête approfondie sur la question spécifique de l’aide alimentaire et de l’accès à l’alimentation, à travers une enquête menée auprès de 1 088 ménages qui ont eu recours à l’aide alimentaire d’urgence allouée par le Secours Catholique durant le premier confinement, de mars à mai 2020.

La crise sanitaire a agi comme un puissant révélateur d’une insécurité alimentaire déjà bien ancrée pour des millions de Français. La pandémie de Covid-19 a déstabilisé des situations budgétaires déjà très serrées. Quand les maigres ressources baissent alors que les dépenses augmentent (du fait de la fermeture des cantines scolaires ou de l’augmentation des dépenses d’électricité), les privations deviennent dès lors quotidiennes.

Le Secours Catholique rappelle que la précarité alimentaire est liée à une unique constante : l’insuffisance et l’instabilité des ressources. 

22 % des ménages accueillis ne disposent d’aucunes ressources financières.

1/3 des ménages accueillis n’ont pas accès à un logement stable.

27 % ne mangent pas pendant 1 journée entière ou davantage.

Pour  télécharger le rapport, cliquer sur :

https://www.secours-catholique.org/sites/scinternet/files/publications/rs21.pdf

 

25/11/2021

VOYAGE AU VATICAN

Les visites de chefs d’État au Vatican sont toujours un étrange objet diplomatique et politique. On se souvient que celle de Mikhaïl Gorbatchev en décembre 1989 entérina la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide. À cette occasion, de façon très singulière, la diplomatie soviétique accorda le point au pape en le canonisant vainqueur du communisme… une façon habile de ne pas le donner aux États-Unis. On n’oubliera pas non plus le visage fermé, voire hostile, de François à l’égard de Donald Trump ; il est des silences renfrognés plus ravageurs que les mots. Hélas, nous avons encore honte de la burlesque visite de Nicolas Sarkozy accompagné de l’humoriste Bigard. Plus récemment, du côté français, la rencontre avec François Hollande fut un peu guindée et protocolaire, tandis que la visite d’Emmanuel Macron sembla plus cordiale et familière. On en déduisit qu’entre le pape disciple d’Ignace et l’ancien élève des jésuites s’était trouvée une communauté de culture.

Les conditions dans lesquelles le président français se rend une nouvelle fois au Vatican en cette fin de novembre sont plus étonnantes. D’abord parce que, de tradition, le pape s’abstient de recevoir des dirigeants en campagne ou près de l’être. Ensuite, parce que l’émoi soulevé par le rapport de la Ciase sur les violences sexuelles et leur dissimulation ne peut laisser ni le pape ni le chef de l’État indifférents. Voilà trois années, nous plaidions en faveur d’une enquête menée de façon indépendante, suggérant une commission parlementaire au motif d’un trouble à l’ordre public qui subvertissait les règles ordinaires de la séparation des Églises et de l’État.

Les conclusions de la Ciase confirment notre inquiétude. Les religieux et religieuses, puis les évêques ont reconnu leur responsabilité institutionnelle. Ils entrent dans un processus de réparation par le biais de l’écoute et de l’indemnisation des victimes. Mais il reste une lourde interrogation quant à la gestion des risques. Quels changements doivent être engagés dans l’organisation des institutions afin de mettre les enfants à l’abri ? Les 330 000 victimes agressées dans le cadre des activités du catholicisme ne sont pas des sous-citoyens parce que catholiques. Espérons que cette grave question sera au centre de l’entretien qui se tiendra au Vatican le 26 novembre.

Publié le 

18/11/2021

PERVERS !

Publié le par Christine Pedotti

Les véritables pervers ont un talent particulier, celui de savoir utiliser aussi bien les forces que les faiblesses de leurs adversaires ; nous sommes en train d’en faire l’amère expérience avec le satrape biélorusse, Alexandre Loukachenko. L’homme, au pouvoir depuis 1994, tient le pays sous sa dictature : l’interdiction d’accès aux médias imposée à toutes les oppositions et des élections truquées depuis six mandats le maintiennent au pouvoir. Une partie de la communauté internationale, et en particulier l’Union européenne, lui dénient toute légitimité et imposent au pays des sanctions économiques. Il est cependant reconnu tant par la Chine que par la Russie et bénéficie de l’appui et de la bienveillance de Vladimir Poutine, trop heureux de laisser le matamore biélorusse empoisonner la vie des Européens.

Et, en effet, Loukachenko est en train de mettre ses menaces à exécution. Il avait promis d’inonder l’Europe de migrants et de drogue ; les migrants sont là, recrutés par ses soins en Syrie, au Liban ou en Irak ; ils sont conduits à la frontière polonaise, que les gardes les poussent à traverser, tandis que l’armée polonaise les menace de l’autre côté des barbelés.

Sa perversité est monstrueuse en ce qu’elle instrumentalise des hommes désespérés et les transforme en « armes » contre l’Union européenne. Mais Loukachenko exploite aussi les conflits actuels de l’Union. La Pologne, qui veut pouvoir mener à sa guise une politique nationale et nationaliste, refuse toute aide européenne et tout accès tant à la presse qu’aux organisations humanitaires. Son opinion publique redoute l’arrivée de migrants par sa frontière de l’est alors qu’elle a refusé toute contribution à l’accueil de ceux-ci lors de la crise majeure de 2015-2016 et s’oppose toujours à toute arrivée. L’Europe se trouve prise en étau entre la défense de ses valeurs et des droits humains et les misérables arrangements de conscience qui lui ont déjà fait payer tribut au Turc Erdogan afin qu’il garde les migrants syriens sur son territoire. Pourquoi, dès lors, Loukachenko ne tenterait-il pas le chantage à l’égard de l’UE afin de faire lever les sanctions qui pèsent sur son pays ?

Mais peut-on refuser de céder à la pression au prix de plusieurs milliers de vies humaines prises au piège de forêts et de marécages glacés ? Telles sont les lourdes questions qui s’imposent à nous et il n’y a pas de réponses simples.

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Photo : Government.ru (processed by Roman Kubanskiy)CC BY 4.0, via Wikimedia Commons

11/11/2021

DE LA COMMISSION SAUVE A LA COMMISSION DERAIN

Parmi les décisions actées par la Conférence des évêques de France (CEF) à la suite de son assemblée plénière figure la création d’une Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation chargée de prendre en compte les besoins des victimes. Elle sera dirigée par la juriste spécialiste des droits de l’enfant Marie Derain de Vaucresson(1).L’ancienne défenseure des enfants, actuellement cadre du ministère de la Justice, est confiante mais réaliste devant l’ampleur de la tâche.

Après avoir fait partie de la commission Christnacht, qui travaillait sur la situation des prêtres coupables de violences sexuelles, quel est votre plan de bataille pour accompagner les victimes ?

Mon cadre de départ, c’est celui de la justice restauratrice, qui passe par la reconnaissance des faits et de la responsabilité institutionnelle, la manifestation d’une honte, la présentation d’excuses publiques, la prise de mesures préventives et la réparation individuelle, objet de la future commission que je suis appelée à présider. Mais les étapes qui précèdent sont essentielles et, jusqu’à vendredi midi, elles n’étaient pas acquises.

Aujourd’hui, je suis nommée pour constituer en toute liberté une commission. Elle sera probablement constituée d’un noyau dur d’une dizaine de professionnels bénévoles afin de répondre au besoin d’expertise forte : juristes, médecins, psychologues et psychiatres qui connaissent les psychotraumas. J’ai aussi le projet d’associer les victimes, dont le savoir expérientiel sera précieux. Comme l’a esquissé le recueil De victimes à témoins, elles doivent maintenant être actrices de cette construction. Il est inconcevable de travailler sans elles. Enfin, il faudra nous entourer de professionnels de la médiation, pourquoi pas rémunérés. Mes seuls critères de sélection seront les compétences et la capacité à travailler ensemble, avec sans doute un mandat limité dans le temps.

J’ai eu avec Éric de Moulins-Beaufort de très bons échanges, qui me portent à croire que je pourrai compter sur le soutien de la CEF, comme Jean-Marc Sauvé a pu le faire. Nous allons d’ailleurs très probablement hériter des locaux de la Ciase. Si j’en crois les discussions engagées, les moyens ne seront pas un empêchement.

Quelle méthode de travail envisagez-vous pour les mois à venir ?

J’estime qu’il faudrait réussir à apporter les premières réponses aux victimes à partir de janvier 2022. C’est un objectif ambitieux mais pas téméraire ! D’ici là, il va nous falloir trouver un mode de traitement commun des sollicitations. Peut-être un portail numérique, premier point d’entrée, pour s’adresser indifféremment à la CEF ou à la Conférence des religieux et religieuses de France. Ce n’est pas aux victimes de savoir à qui s’adresser, c’est à nous de créer des ponts et d’aiguiller les dossiers. Mon expérience me dicte qu’on ne balade pas les victimes, ne serait-ce que pour ne pas les obliger à répéter leur histoire !

Je suis également en lien avec Jean-Marc Sauvé pour déterminer comment nous pourrons éventuellement faire suivre les témoignages Ciase et prendre contact avec leurs auteurs s’ils le souhaitent. D’autres victimes ne se sont pas encore déclarées, il importe de faire connaître notre commission, avec l’aide des diocèses, afin qu’elles puissent se manifester.

Souhaitez-vous vous appuyer sur l’échelle allemande d’indemnisations suggérée par la Ciase ?

Pas nécessairement. Je ne suis pas favorable à des automatismes d’indemnisation. On ne peut pas appliquer un barème systématique qui s’appuierait sur la seule nature des faits. Il faut partir de l’accompagnement des victimes et de l’expression de leurs besoins, qui évoluera peut-être au fil du temps. Elles ne sont pas toutes en demande de compensation financière. Certaines ont besoin de reconnaissance, de rencontrer les responsables ou les évêques en place au moment des faits, d’obtenir une confrontation, un échange… D’autres ont des besoins matériels précis en lien avec leur traumatisme, des soins médicaux, un suivi psy, une voiture pour aller au travail et échapper à la foule par exemple. Mais il faut être lucide : le no limit que certains appellent de leurs vœux va se heurter au principe de réalité.

J’ai été interpellée récemment par l’Évangile dans lequel Jésus demande à l’aveugle Bartimée : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Lc 18, 35-43.) C’est tout l’enjeu de notre commission.

Propos recueillis par Agnès Willaume.

(1) Membre de la Communauté Mission de France

10/11/2021

LA CONTAGION DES MURS

camion gaillot.jpgAvez-vous remarqué cette contagion des murs à travers le monde? Des murs qui séparent des peuples et les  empêchent de circuler. Des murs de la honte. Mur entre Israéliens et Palestiniens, entre Américains et Mexicains, entre Espagnols et Africains…
A la télévision, je regardais avec indignation ce mur de barbelés élevé par la Pologne pour empêcher les migrants venant de Biélorussie d’entrer chez elle. Aujourd’hui, c’est au tour de la Lituanie d’élever son mur de barbelés.
Quand le mur de Berlin a été détruit le 9 novembre 1989, je n’imaginais pas que l’Europe deviendrait une forteresse ! Les murs ne sont-ils pas faits pour être détruits un jour?
Mais il y a, en nous, des murs qui nous séparent les uns des autres.
Le mur de l’argent entre riches et pauvres.
Le mur des préjugés et de la méfiance qui divise tant de familles et de groupes!
Le mur de l’indifférence qui fait que l’on s’ignore.
Le mur de l’oubli qui fait tomber une chape de plomb sur ce que l’on a vécu avec d’autres.
Le mur de la haine surtout, qui crée une séparation apparemment infranchissable entre les humains.
L’homme de Nazareth a passé sa vie à faire tomber des murs.
J’aime qu’il soit né hors les murs et qu’il soit mort hors les murs. Par sa mort sur la croix, il a  détruit le mur de la haine qui nous séparait les uns des autres.
La planète appartient à la famille humaine. Nous sommes faits pour circuler et vivre ensemble. On ne fait  pas la paix avec du béton et des barbelés qui emprisonnent les gens.
Jacques Gaillot GAILLOT JACQUES.jpg
Evêque de Partenia
9 /11/2021

 

L'EGLISE CATHOLIQUE FACE AU CHANGEMENT

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Comme la cathédrale de Paris hier, l’Église de France est aujourd’hui en feu ! Le tocsin sonne. Au moment de se réunir à Lourdes pour décider de son avenir, les évêques l’entendront-ils ?

À l’origine de l’incendie, le terrible rapport Sauvé, qui a révélé le nombre effarant d’abus sexuels pratiqués par des prêtres et des religieux, et le silence organisé de fait par un système qui a d’abord protégé les coupables et non les victimes. L’opinion publique ne peut comprendre et donc pardonner cette cruelle faillite, qui enlève pratiquement toute crédibilité à la parole catholique. En commandant le rapport Sauvé en toute indépendance, l’Église a cependant ouvert un contre-feu en prenant enfin le parti de la vérité, une initiative courageuse dont d’autres institutions ou secteurs de la société, d’autres religions également, pourraient s’inspirer.

Mais, plus largement, l’Église doit aussi prendre en compte le fait qu’un monde est en train de mourir alors que celui de demain est imprévisible tellement l’accélération des changements, principalement en raison des révolutions scientifiques et technologiques, bouleverse nos schémas de pensée et notre capacité à les comprendre. Il y avait un choc des civilisations ; il y a maintenant le risque d’une mort des civilisations. Cette radicale remise en cause des modes d’organisation sociétale a comme première conséquence celle de toutes les institutions, y compris la démocratie, institutions qui étaient hier les principaux piliers du « vivre ensemble ». L’Église, en tant qu’institution, ne peut y échapper. Au pied du mur, face aux gigantesques défis du monde de demain, elle doit – tout comme la société – se réinventer.

La situation est pour l’Église d’autant plus cruelle que sa mission est d’abord d’être « une parole » qui ouvre un espace nouveau à l’homme pour qu’il devienne « sujet » de son histoire. Et c’est précisément ce devenir-là qui est en cause dans les bouleversements mettant en jeu l’avenir de l’humain. Pour répondre à sa vocation, l’Église ne retrouvera une parole crédible que si celle-ci passe par des actes significatifs, c’est-à-dire par des décisions qui permettent une vérification aux yeux de tous. Les trois priorités pour une parole prophétique sont :

– la place des femmes. Elle ne sera pleinement reconnue dans l’Église que lorsque des femmes pourront être ordonnées prêtres ;

– la place des laïcs. Elle ne sera pleinement reconnue que lorsque la responsabilité de la pastorale et la gestion des paroisses seront partagées avec des laïcs, hommes et femmes élus par leur communauté ;

– la désacralisation du prêtre. La prise en compte des deux premières priorités y participera. De plus, la réalité sociale et économique va imposer d’autres décisions allant dans le même sens. Face à la chute des vocations, l’ordination d’hommes mariés est inévitable pour que, partout où des catholiques désirent célébrer la messe, ils puissent se réunir en lien avec l’évêque. Il s’agit alors de déconnecter la vocation sacerdotale de celle du célibat. D’autre part, l’Église n’ayant plus d’argent pour faire face à ses charges, les prêtres de demain devront avoir un métier pour subvenir à leur propre besoin. Ils en seront d’autant plus insérés dans la société.

De telles décisions nécessitent une modification du droit canon dans le seul cadre qui en aurait l’autorité, à savoir un nouveau concile, Vatican III. Le synode sur la façon de faire Église demain, récemment lancé par le pape François pour 2022, pourrait préparer une telle initiative. N’est-ce pas une belle occasion pour les évêques de France de se tourner vers Rome pour réclamer un tel aggiornamento ? Mais qui dit nouveau concile dit nouvelles modalités, afin qu’il soit le signe et le porteur d’un changement radical : double parité dans le vote, celle prêtres/laïcs, et, parmi les laïcs, celle hommes/femmes.

Alors, mais alors seulement, l’Église répondrait à la nécessité d’un nouveau paradigme pour une parole vivante et significative pour tous.

Daniel Duigou, prêtre du diocèse de Paris, journaliste et psychologue-psychanalyste

.L'appel d'un présentateur de JT devenu curé pour en finir avec le célibat  des prêtres