En réalité, l’intitulé complexe de la loi cache ce que l’exposé de ses motifs désigne plus clairement : « Un entrisme communautariste, insidieux mais puissant, gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste. Il est la manifestation d’un projet politique conscient, théorisé, politico-religieux, dont l’ambition est de faire prévaloir des normes religieuses sur la loi commune que nous nous sommes librement donnée. Il enclenche une dynamique séparatiste qui vise à la division. » Il s’agit bien de ce fameux « séparatisme » que le président Macron évoquait dans son discours des Mureaux du 2 octobre 2020.
Notons qu’à l’époque le mot était au pluriel : il s’agissait de lutter contre « les » séparatismes. Mais, dans la bouche du Président, il repassait déjà vite au singulier : « Ce à quoi nous devons nous attaquer, c’est le séparatisme islamiste. C’est un projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République. » L’exposé des motifs du projet de loi reprend des termes proches mais repasse au pluriel : « Face à l’islamisme radical, face à tous les séparatismes, force est de constater que notre arsenal juridique est insuffisant. » Il faut dire qu’entre le discours d’octobre et ce projet de loi s’est produit le drame de l’assassinat du professeur Samuel Paty, comme une tragique illustration de ce que la présentation du texte de loi appelle « l’idéologie séparatiste » qui « a fait le terreau des principaux drames qui ont endeuillé notre communauté nationale ces dernières années ».
Reste la volonté de faire un texte qui permettrait de lutter contre un « séparatisme » mot absent des termes de la loi et qui ne viserait ni l’« islam » ni les « musulmans », mots qui n’y figurent pas non plus. Il n’y est en effet question que de « religions » et de « cultes ». Et c’est là que le bât blesse. Les instances religieuses protestantes, catholiques et juives protestent contre les modifications que la loi introduit dans les usages actuels, en particulier sur les modalités de contrôle des associations et tout particulièrement des associations cultuelles. Il est vrai que la loi de 1905, devenue aujourd’hui plus sacrée que le Décalogue, avait instauré, en son article 4, une « police des cultes », mais celle-ci ne s’était guère exercée. Si la loi de 1905 édicte l’interdiction de tenir des réunions politiques dans les temples et églises, elle s’abstient de se prononcer en quoi que ce soit sur ce qui y est dit, sauf en cas de diffamation explicite et affichée. Or, voilà que la nouvelle loi impose aux associations recevant des subventions ou éditant des reçus fiscaux une série de vérifications liées à cette fameuse « conformité aux principes de la République » ainsi qu’à la transparence des financements, en particulier de ceux qui proviennent de l’étranger.
La loi est-elle pour autant « liberticide » ? Permet-elle à l’État d’exercer un contrôle indu sur les religions en contravention avec le compromis libéral de 1905 ? Outre les responsables des cultes, des spécialistes de l’histoire de la laïcité comme Philippe Portier ou Valentine Zuber le soutiennent. Mais, sous couvert de liberté de conscience religieuse, jusqu’où peut-on s’écarter de la loi ? Sans même songer à l’islam, peut-on permettre, que, pour des motifs religieux, on organise des stages pour « réparer l’identité blessée » des homosexuels comme le font certaines officines catholiques et évangéliques dénoncées par les associations de défense des personnes LGBT+ ?
Demeure l’argument de « l’arsenal juridique insuffisant ». Faut-il une loi avec un tel intitulé pour étendre le principe de neutralité aux délégataires d’une mission de service public, vérifier le consentement des époux lors d’un mariage ou contrôler les objectifs et le financement d’associations subventionnées ? Poser la question, c’est y répondre. Avec cette loi, le pouvoir « fait de la politique » et il n’est pas sûr qu’elle soit bonne. Dénoncée par presque tous pour une raison ou son contraire, elle risque fort de diviser plus que d’unir.
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