L’impasse Adiexode est située au fin fond de la ville. À l’extrémité, en haut d’un talus, on pouvait apercevoir une cabane. Faite de planches, de tôles, de plastique, elle était vaste. Pourquoi son occupant, Nemo, un SDF, donc « bien connu des services de Police », mais à qui personne n’avait demandé son nom, se serait-il contenté d’un logement exigu ? Il y avait de la place et personne ne la lui disputait tellement elle était difficile d’accès, sans eau ni électricité, bloquée dans un cul-de-sac.
L’impasse Adiexode, elle, se trouvait en contrebas, une zone inondable. Elle avait vu s’y édifier de part et d’autre des maisons pauvres mais en dur.
Tous les riverains, ou presque, étaient des laissés-pour compte qui d’expulsion en expulsion s’étaient retrouvés là. D’un côté les Musulmans (ou les Arabes, tout le monde confondait), de l’autre les chrétiens, « bons chrétiens » évidemment, on n’est pas des chiens. Et de ci de là ceux qui ne se reconnaissaient ni avec les uns ni avec les autres, les « sans-dieu » comme on disait. Cela faisait trois groupes qui s’ignoraient. Tous des mécréants au dire des Musulmans, des Arabes ou des renégats pour les « bons chrétiens », des gens pleins de superstitions au dire du troisième groupe.
Au-dessus de tous ceux-là planait Nemo, dans sa cabane surplombant les lieux. Il faisait l’unanimité et même l’union de tous les habitants, contre lui, bien sûr. Son installation leur était insupportable. De plus il avait construit le plus grand logement, minable mais le plus grand. Il faisait la manche. Certainement il dormait sur un trésor amoncelé. Alors on ne ratait pas une occasion de lui crier dessus, de lui faucher ce qu’il apportait, de le vilipender, bref de lui rendre la vie impossible.
Mais tout SDF qu’il était, habitué depuis longtemps aux mauvais traitements, Nemo commença à se rebeller.
Il alla voir le curé pour se plaindre de ce que des « bons chrétiens » lui faisaient subir. Le curé l’écouta, avec compassion, évidemment, lui demanda pourquoi il ne venait jamais à la messe, et lui promit d’agir mais voulait le revoir un peu dans son église. Depuis lors chaque dimanche Nemo vint à l’église. Il en profitait d’ailleurs pour faire la manche à la porte... en sortant de la messe un « bon chrétien » se doit bien de donner une petite pièce ! Et les chrétiens ne le molestèrent plus le dimanche, c’était un mieux.
Il se rendit ensuite chez l’imam qui lui promit d’intervenir, mais ne pouvant le faire pour un mécréant, il serait bon qu’on le voie à la prière du vendredi. Et Nemo se rendit chaque vendredi à la mosquée, jour où seuls les chrétiens purent encore le molester.
Mais de nos jours les SDF en veulent toujours plus, les valeurs de retenue, de discrétion, de soumission à sa condition sont malheureusement bien passées. Nemo décida qu’il ne pouvait se contenter du mieux limité aux vendredis et dimanches. Il alla voir un avocat. Ce dernier l’écouta, lui demanda cent euros pour la consultation, et lui expliqua que les faits n’étaient pas assez caractérisés pour intervenir en justice, à moins que la police ne s’en occupe. Il se rendit au commissariat, il était bien connu de ses services, et l’officier de permanence lui expliqua que c’était à lui de se comporter comme un bon citoyen, avec une maison comme tout le monde.
En désespoir de cause il se tourna vers les « sans-dieu » car parmi eux il y avait un militant. Ce dernier l’écouta, lui proposa de prendre une cotisation à l’association, il y avait des prix cassés pour les pauvres. Nemo paya 5 euros et le militant composa un tract qu’il distribua le vendredi à la sortie de la mosquée, le dimanche à la sortie de l’église, exigeant le respect des droits pour tous. Pour une telle action et pour avoir amené un nouveau membre à l’association, il fut d’ailleurs promu au bureau de sa section.
Mais, vous vous en doutez, rien ne changea. Alors Nemo, qui ne croyait ni à dieu ni à diable, se mit à prier le ciel pour le cas où s’y trouverait un dieu ou un diable. Il demanda au ciel de les punir tous et de les faire disparaître. Personne ne sait quelle discussion se déroula là-haut dans un bruit de tonnerre, toujours est-il qu’après ce tonnerre une pluie diluvienne s’abattit sur l’impasse qui fut totalement inondée, l’eau entrait dans toutes les maisons, les gens couraient de partout pour colmater les ruisseaux, pour vider l’eau de leurs logements, mais en vain. Tout allait disparaître sous ce déluge.
Du haut de son talus, Nemo les regardait, étonné de toute cette agitation et pas tellement mécontent. Mais au bout d’un moment tout le monde le vit, là-haut, protégé de l’inondation, ils se tournèrent vers lui qui ressemblait à un ange protecteur, ou vengeur, allez savoir. Alors il leur fit de grands signes pour qu’ils montent s’abriter dans son domaine. Tout le monde se précipita. On vit même des chrétiens aider des fatmas à escalader le talus, des Arabes porter dans leurs bras les petits enfants, musulmans ou chrétiens, peu importait. Et les « sans-dieu » ne furent pas les derniers à aider. Dans la cabane, assez vaste pour tous les contenir, Nemo servit le café et ses réserves de biscuits, alluma un feu pour que tout le monde se sèche.
Et la pluie cessa brusquement, l’eau se retira très vite de l’impasse tandis qu’apparut un bel arc-en-ciel, signe de la paix du ciel qui dépose son arc. Et depuis lors, vous l’aurez deviné, l’impasse Adiexode devint le lieu de paix et de convivialité de la ville dont tous avaient été exclus. Personne n’imaginait qu’elle soit une impasse.
Et le dieu des bons chrétiens, ainsi que celui des Musulmans, n’eut plus besoin de la visite hebdomadaire de Nemo.
Lucien Grémaud
Source : https://www.famille.centremazenod.org/un-petit-conte-de-l...
GARRIGUES ET SENTIERS, Espaces de liberté, de foi et de réflexion chrétiennes