11/11/2021
DE LA COMMISSION SAUVE A LA COMMISSION DERAIN
Parmi les décisions actées par la Conférence des évêques de France (CEF) à la suite de son assemblée plénière figure la création d’une Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation chargée de prendre en compte les besoins des victimes. Elle sera dirigée par la juriste spécialiste des droits de l’enfant Marie Derain de Vaucresson(1).L’ancienne défenseure des enfants, actuellement cadre du ministère de la Justice, est confiante mais réaliste devant l’ampleur de la tâche.
Après avoir fait partie de la commission Christnacht, qui travaillait sur la situation des prêtres coupables de violences sexuelles, quel est votre plan de bataille pour accompagner les victimes ?
Mon cadre de départ, c’est celui de la justice restauratrice, qui passe par la reconnaissance des faits et de la responsabilité institutionnelle, la manifestation d’une honte, la présentation d’excuses publiques, la prise de mesures préventives et la réparation individuelle, objet de la future commission que je suis appelée à présider. Mais les étapes qui précèdent sont essentielles et, jusqu’à vendredi midi, elles n’étaient pas acquises.
Aujourd’hui, je suis nommée pour constituer en toute liberté une commission. Elle sera probablement constituée d’un noyau dur d’une dizaine de professionnels bénévoles afin de répondre au besoin d’expertise forte : juristes, médecins, psychologues et psychiatres qui connaissent les psychotraumas. J’ai aussi le projet d’associer les victimes, dont le savoir expérientiel sera précieux. Comme l’a esquissé le recueil De victimes à témoins, elles doivent maintenant être actrices de cette construction. Il est inconcevable de travailler sans elles. Enfin, il faudra nous entourer de professionnels de la médiation, pourquoi pas rémunérés. Mes seuls critères de sélection seront les compétences et la capacité à travailler ensemble, avec sans doute un mandat limité dans le temps.
J’ai eu avec Éric de Moulins-Beaufort de très bons échanges, qui me portent à croire que je pourrai compter sur le soutien de la CEF, comme Jean-Marc Sauvé a pu le faire. Nous allons d’ailleurs très probablement hériter des locaux de la Ciase. Si j’en crois les discussions engagées, les moyens ne seront pas un empêchement.
Quelle méthode de travail envisagez-vous pour les mois à venir ?
J’estime qu’il faudrait réussir à apporter les premières réponses aux victimes à partir de janvier 2022. C’est un objectif ambitieux mais pas téméraire ! D’ici là, il va nous falloir trouver un mode de traitement commun des sollicitations. Peut-être un portail numérique, premier point d’entrée, pour s’adresser indifféremment à la CEF ou à la Conférence des religieux et religieuses de France. Ce n’est pas aux victimes de savoir à qui s’adresser, c’est à nous de créer des ponts et d’aiguiller les dossiers. Mon expérience me dicte qu’on ne balade pas les victimes, ne serait-ce que pour ne pas les obliger à répéter leur histoire !
Je suis également en lien avec Jean-Marc Sauvé pour déterminer comment nous pourrons éventuellement faire suivre les témoignages Ciase et prendre contact avec leurs auteurs s’ils le souhaitent. D’autres victimes ne se sont pas encore déclarées, il importe de faire connaître notre commission, avec l’aide des diocèses, afin qu’elles puissent se manifester.
Souhaitez-vous vous appuyer sur l’échelle allemande d’indemnisations suggérée par la Ciase ?
Pas nécessairement. Je ne suis pas favorable à des automatismes d’indemnisation. On ne peut pas appliquer un barème systématique qui s’appuierait sur la seule nature des faits. Il faut partir de l’accompagnement des victimes et de l’expression de leurs besoins, qui évoluera peut-être au fil du temps. Elles ne sont pas toutes en demande de compensation financière. Certaines ont besoin de reconnaissance, de rencontrer les responsables ou les évêques en place au moment des faits, d’obtenir une confrontation, un échange… D’autres ont des besoins matériels précis en lien avec leur traumatisme, des soins médicaux, un suivi psy, une voiture pour aller au travail et échapper à la foule par exemple. Mais il faut être lucide : le no limit que certains appellent de leurs vœux va se heurter au principe de réalité.
J’ai été interpellée récemment par l’Évangile dans lequel Jésus demande à l’aveugle Bartimée : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Lc 18, 35-43.) C’est tout l’enjeu de notre commission.
Propos recueillis par Agnès Willaume.
(1) Membre de la Communauté Mission de France
10/11/2021
LA CONTAGION DES MURS
25/09/2021
MORT DE BERNARD SESBOUE, FIGURE MAJEURE DE LA THEOLOGIE DU XXème SIECLE
Homme attentionné et modeste, généreux et discret, il refusait toute mise en avant : « D’accord pour parler d’un sujet, pas de moi », concédait-il à son éditeur Marc Leboucher qui a publié plusieurs ouvrages du théologien jésuite, dont un livre d’entretien. « Il était originaire du Perche et avait ce sens terrien qui l’a conduit à mener aussi bien des recherches pointues qu’à engager des polémiques intelligentes », poursuit Marc Leboucher.
Un itinéraire jésuite
Né à La Suze (Sarthe) en juillet 1929, Bernard Sesboüé était entré au noviciat de Laval en 1948, après sa scolarité au collège jésuite du Mans, puis une licence de Lettres classiques à la Sorbonne. Après ses années de philosophie et de théologie à Chantilly (1952-1961) et son ordination sacerdotale (1960), il fait son « Troisième an » (année de discernement spirituel dans la Compagnie de Jésus) à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire), puis part à Rome où il soutient une thèse de doctorat sur Basile de Césarée.
Dès son retour en France, et pendant dix ans (1964-1974), il enseigna la patristique et la dogmatique à la Faculté de théologie jésuite de Lyon-Fourvière. Héritier d’Henri de Lubac tout aussi bien que de François Varillon ou Jean Daniélou, il trouvait les mots pour faire face à l’athéisme contemporain : « Dieu est celui qui nous reconnaît, qui s’intéresse à nous, s’approche de nous et veut nous communiquer sa propre vie », insistait-il.
Mais le théologien, qui passait volontiers ses vacances dans les Alpes, ne restait pas perché dans les hauteurs de la pensée. Un après-midi par semaine, il confessait les fidèles de passage à l’église Saint-Ignace à Paris, et accompagnait de nombreuses personnes. « Pour garder les pieds sur terre », confiait-il.
Lui qui n’a jamais oublié la brûlure de la foi, quand il citait un autre jésuite, le père de Grandmaison (1868-1927) : « Tous les travaux des spécialistes ne valent que pour nous donner accès à la source : arrivé près d’elle, que celui qui a soif s’agenouille, et qu’il boive. » Et Michel Fédou, autre théologien jésuite de renom, souligne encore : « Il avait une foi discrète, pudique et robuste qui transparaissait dans ses enseignements et ses ouvrages ».
Confrontations
Travailleur infatigable, il n’est guère de questions théologiques auxquelles ce jésuite passionné ne se soit pas frotté depuis plus d’un demi-siècle d’enseignement, de recherche et de publication. Les titres de ses livres en témoignent, qu’il s’agisse de L’autorité dans l’Église ou encore la formule Hors de l’Église point de salut. Des recherches qu’il avait à cœur de partager : « Pédagogue, il était très fraternel, toujours disponible, confie François Euvé, jésuite et rédacteur en chef de la revue Études. Très proche des étudiants, c’était un pilier de la formation dans la Compagnie. »
Soucieux du rejet du christianisme par l’Occident, Bernard Sesboüé n’hésitait pas à se lancer dans des ouvrages plus polémiques, afin de répondre, par exemple à Gérard Mordillat ou Frédéric Lenoir (Christ, Seigneur et Fils de Dieu, DDB, 2010), ou dénonçant encore les « insinuations mensongères » de Dan Brown et de son Da Vinci Code : « Il y a là quelque chose de très grave : les bons catholiques ignorent tout des origines du christianisme et de la manière dont la foi s’est répandue ».
Cette vivacité d’esprit, il l’aiguisa aussi à l’égard de l’institution elle-même, notamment vis-à-vis des ministères confiés aux laïcs, invitant l’Église à plus d’audace, ce qui n’a pas toujours été très apprécié de l’épiscopat. « Ce n’était pas de la provocation, précise encore Michel Fédou, mais une fidélité profonde à ce qu’il pensait, il portait une grande attention à ce dont l’Église a besoin aujourd’hui. »
« Écrire un livre de théologie, c’est casser des œufs pour faire une omelette », confiait le père Sesboüé avec cet humour qu’il cultivait notamment en communauté. C’était la liberté du théologien et du chrétien qui l’animait, invitant, par exemple, à une catéchèse qui engage un discours critique et qui n’en reste pas « à une catéchèse pour enfants auxquels on dit ce qu’il faut croire ».
Une parole vive, qu’il délivrait avec une humilité qui était aussi l’une des qualités de ce théologien souriant, vigilant et confiant : « L’Église ne sera jamais à la hauteur du Christ, il faut le reconnaître. La tâche redoutable de l’Église est d’être suffisamment transparente et fidèle pour pouvoir être le témoin toujours crédible du Christ. »
LA CROIX, Christophe Henning, avec Claire Lesegretain
24/09/2021
MARSEILLE : PLUS QU'UNE VILLE, UN MESSAGE
En rentrant du pays du Cèdre, le pape Jean-Paul II avait lancé : « Le Liban est plus qu’un pays, c’est un message ! » Au moment où les regards se tournent vers Marseille, à l’occasion du Congrès mondial de la nature, organisé par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), permettez-moi d’oser dire la même chose à propos de ma chère cité phocéenne : Marseille est plus qu’une ville : c’est un message ! Un message où la détresse se mêle à l’espérance.
La détresse, parce que Marseille est blessée dans sa chair. Sous nos yeux, des mafias meurtrières et sans scrupule transforment la jeunesse des quartiers pauvres en chair à canon pour trafics en tous genres : armes, drogues, prostitution, etc. Cet été, la liste des morts, de plus en plus jeunes, s’est dramatiquement allongée et des populations entières se sont retrouvées prises au piège de leur environnement. Quand j’étais enfant, nous habitions les Quartiers Nord, à Saint-Barthélemy, dans une cité HLM pour agents de la SNCF. Les cités avoisinantes avaient des noms poétiques : Font-Vert, La Busserine, La Marine Bleue et La Marine Blanche, Les Rosiers et les Marronniers. Aujourd’hui, ces noms poétiques sont ensanglantés, les cités sont devenues des ghettos et depuis longtemps, dans les autres quartiers de la ville, l’indifférence a étouffé l’indignation. Marseille reste fière mais elle est meurtrie : d’un côté, elle continue de sourire pour charmer les touristes et se distraire au Stade ; de l’autre, elle s’enfonce dans la violence et pleure sa jeunesse. À quand un réveil des consciences ? Pourquoi et comment les réseaux de trafic ont-ils pris autant de pouvoir, narguant la République, ses lois et sa justice ? Jusqu’à quand les consommateurs de stupéfiants ne comprendront-ils pas la complicité qu’ils entretiennent avec les réseaux de la mort ? Marseille, certes, a besoin de moyens que seul l’État peut lui donner. Mais tous les moyens du monde ne sauraient suffire si les consciences ne se réveillent pas.
Comme archevêque de Marseille, je veux cependant croire que les consciences ne sont pas irrémédiablement endormies ou anesthésiées. Comme le Liban, cette ville est riche d’une étonnante capacité d’espérance, envers et contre tout. Tel est l’autre message de Marseille : rien n’est jamais perdu, pour peu qu’on ait du cœur ! Sillonnant la ville depuis des années, je sais le patient travail des associations de quartier, des clubs sportifs ou des centres sociaux. Je sais le dévouement de tant et tant d’enseignants, du privé et du public, au service de l’éducation des enfants des quartiers délaissés. En tant que responsable de la communauté catholique, je sais également le rôle précieux des communautés chrétiennes qui habitent ces quartiers, développent du soutien scolaire et accueillent les plus déshérités. Humblement mais résolument, des liens se tissent, j’en suis témoin, entre des croyants de religions différentes, qui prennent soin ensemble des plus pauvres et doivent parfois lutter, au sein même de leurs religions, contre les discours de division et d’exclusion. Mais je puis l’affirmer : l’espérance est invincible, quand elle est portée par des hommes et des femmes de bonne volonté, quelles que soient leurs religions ou leurs convictions. Et pour le chrétien que je suis, cette espérance n’est pas une illusion naïve, car elle procède de la Croix du Christ, mort pour tous afin que tous aient la Vie.
Marseille, as-tu du cœur ? Oui, je sais que tu en as, et bien plus que pour une célèbre partie de cartes ! Alors n’aie pas peur de reconnaître tes plaies et engage-toi à en combattre les causes. Car c’est en assumant sa vulnérabilité qu’on trouve le courage de son espérance. En accueillant le Congrès mondial de la nature chargé d’élaborer de nouvelles recommandations en faveur de la biodiversité en vue de la COP 15 en 2022, tu attires les regards du monde entier sur les rivages de la Méditerranée, cette mer qui a tissé ton histoire et te confie son avenir. Profite de cette opportunité pour te faire l’écho, non seulement de la clameur de la terre, mais aussi de la clameur des pauvres, d’une rive à l’autre de cette mer. Tu le sais d’expérience : rien ne sert de s’émerveiller devant la beauté de la nature si l’on ne sait pas s’indigner quand une vie humaine est bafouée. Je te dis tout cela, Marseille, non pas pour te donner des leçons, mais parce que je suis fier d’être Marseillais et que j’ai mal quand ma ville souffre ou est dénigrée.
Je te le dis, foi d’archevêque ! Marseille a une belle et grande mission. Plus qu’une ville, elle est un message pour le monde. Aidons-la à réussir et le monde réussira !
+ Jean-Marc Aveline, Archevêque de Marseille 31 août 2021
06/09/2021
LE POIDS DE LA FRATERNITE -
Père Benoist de Sinety - Publié le 05/09/21
Ils sont nombreux ces gens simples et pauvres qui ne peuvent combler leurs humbles désirs. Combien sommes-nous à les combler de notre humanité ?
Elle est là, noyée dans la foule qui se presse dans les rues de Lille. Cela fait deux ans qu’on l’attend cette brocante ! L’an passé, le virus nous en privait. En ce mois de septembre où l’été s’attarde dans le ciel du Nord, nul ne compte se priver du plaisir de sortir, de chiner, de trinquer, de chanter, de se retrouver. Certes les stands sont moins nombreux, réservés par prudence aux seuls commerçants. Mais de-ci de-là, dans les cours des presbytères par exemple, les étals sont montés, les cartons d’objets les plus hétéroclites déballés, et d’aucuns retrouvent le plaisir de s’attarder devant tous ces vestiges de vies les plus divers et les plus étranges parfois, rassemblés et livrés aux regards pas toujours indulgents du passant. Lire ... La vieille dame et le petit chien de porcelaine.pdf
Publié sur ALETEIA
17:08 Publié dans EVENEMENTS : Politique, actualité, économie, ... | Lien permanent | Commentaires (0)
12/07/2021
QUELLE SOLIDARITE AVEC GAZA APRES LES FRAPPES ISRAELIENNES DE MAI 2021??
A LIRE ... Intéressant bien qu'un peu long
Dimanche 4 juillet, l'Atelier Israël-Palestine du GAIC a organisé une rencontre sous forme de tables rondes dans la salle de conférences de la Grande Mosquée de Massy pour apporter des éléments de réponse à cette question: après les bombardements israéliens de mai 2021, comment manifester sa solidarité avec Gaza?
Dans la troisième de ces tables rondes, des représentants du CCFD-Terre solidaire et du Secours Islamique France ont donné des exemples concrets de leur action pour aider Gaza à se relever de ses ruines et l'ensemble des Palestiniens à ne pas courber l'échine sous le joug israélien. En diffusant ces informations, le GAIC entend s'associer modestement aux efforts de ces deux associations et les remercier pour leur fidèle et généreux partenariat.
Exprimer sa solidarité c’est prendre position lorsque les circonstances l’imposent
Par trois fois et sous des formes différentes, le CCFD s'est ainsi manifesté:
1. le CCFD-Terre Solidaire a Soutenu « l’Appel à l’action pour mettre fin aux expulsions de familles palestiniennes à Jérusalem-Est » lancé par les Associations CIDSE -Ensemble pour une justice mondiale[1] – et Alliance ACT [2]- c’était le 12/05/2021
2. Mme Manuèle Derolez, déléguée générale du CCFD, a publié dans La Croix du 19 mai un article « Il faut mettre fin à l’occupation illégale de la Palestine ».
Lire l'article :
Il faut mettre fin à l’occupation illégale de la Palestine »
3. Le CCFD-Terre Soildaire a publié sur son site le 20 mai dernier un document pédagogique intitulé: "Comprendre la colonisation à Jérusalem en 3 minutes":
Comprendre la colonisation à Jérusalem en trois minutes
Une nouvelle fois, c'est de Jérusalem qu'est parti l'embrasement et la révolte des Palestiniens. Connue pour abriter les lieux saints des trois monothéismes, les Palestiniens y sont soumis à un...
https://ccfd-terresolidaire.org/nos-combats/paix-et-vivre...
07/07/2021
L'IMPASSE DEPASSEE
L’impasse Adiexode est située au fin fond de la ville. À l’extrémité, en haut d’un talus, on pouvait apercevoir une cabane. Faite de planches, de tôles, de plastique, elle était vaste. Pourquoi son occupant, Nemo, un SDF, donc « bien connu des services de Police », mais à qui personne n’avait demandé son nom, se serait-il contenté d’un logement exigu ? Il y avait de la place et personne ne la lui disputait tellement elle était difficile d’accès, sans eau ni électricité, bloquée dans un cul-de-sac.
L’impasse Adiexode, elle, se trouvait en contrebas, une zone inondable. Elle avait vu s’y édifier de part et d’autre des maisons pauvres mais en dur.
Tous les riverains, ou presque, étaient des laissés-pour compte qui d’expulsion en expulsion s’étaient retrouvés là. D’un côté les Musulmans (ou les Arabes, tout le monde confondait), de l’autre les chrétiens, « bons chrétiens » évidemment, on n’est pas des chiens. Et de ci de là ceux qui ne se reconnaissaient ni avec les uns ni avec les autres, les « sans-dieu » comme on disait. Cela faisait trois groupes qui s’ignoraient. Tous des mécréants au dire des Musulmans, des Arabes ou des renégats pour les « bons chrétiens », des gens pleins de superstitions au dire du troisième groupe.
Au-dessus de tous ceux-là planait Nemo, dans sa cabane surplombant les lieux. Il faisait l’unanimité et même l’union de tous les habitants, contre lui, bien sûr. Son installation leur était insupportable. De plus il avait construit le plus grand logement, minable mais le plus grand. Il faisait la manche. Certainement il dormait sur un trésor amoncelé. Alors on ne ratait pas une occasion de lui crier dessus, de lui faucher ce qu’il apportait, de le vilipender, bref de lui rendre la vie impossible.
Mais tout SDF qu’il était, habitué depuis longtemps aux mauvais traitements, Nemo commença à se rebeller.
Il alla voir le curé pour se plaindre de ce que des « bons chrétiens » lui faisaient subir. Le curé l’écouta, avec compassion, évidemment, lui demanda pourquoi il ne venait jamais à la messe, et lui promit d’agir mais voulait le revoir un peu dans son église. Depuis lors chaque dimanche Nemo vint à l’église. Il en profitait d’ailleurs pour faire la manche à la porte... en sortant de la messe un « bon chrétien » se doit bien de donner une petite pièce ! Et les chrétiens ne le molestèrent plus le dimanche, c’était un mieux.
Il se rendit ensuite chez l’imam qui lui promit d’intervenir, mais ne pouvant le faire pour un mécréant, il serait bon qu’on le voie à la prière du vendredi. Et Nemo se rendit chaque vendredi à la mosquée, jour où seuls les chrétiens purent encore le molester.
Mais de nos jours les SDF en veulent toujours plus, les valeurs de retenue, de discrétion, de soumission à sa condition sont malheureusement bien passées. Nemo décida qu’il ne pouvait se contenter du mieux limité aux vendredis et dimanches. Il alla voir un avocat. Ce dernier l’écouta, lui demanda cent euros pour la consultation, et lui expliqua que les faits n’étaient pas assez caractérisés pour intervenir en justice, à moins que la police ne s’en occupe. Il se rendit au commissariat, il était bien connu de ses services, et l’officier de permanence lui expliqua que c’était à lui de se comporter comme un bon citoyen, avec une maison comme tout le monde.
En désespoir de cause il se tourna vers les « sans-dieu » car parmi eux il y avait un militant. Ce dernier l’écouta, lui proposa de prendre une cotisation à l’association, il y avait des prix cassés pour les pauvres. Nemo paya 5 euros et le militant composa un tract qu’il distribua le vendredi à la sortie de la mosquée, le dimanche à la sortie de l’église, exigeant le respect des droits pour tous. Pour une telle action et pour avoir amené un nouveau membre à l’association, il fut d’ailleurs promu au bureau de sa section.
Mais, vous vous en doutez, rien ne changea. Alors Nemo, qui ne croyait ni à dieu ni à diable, se mit à prier le ciel pour le cas où s’y trouverait un dieu ou un diable. Il demanda au ciel de les punir tous et de les faire disparaître. Personne ne sait quelle discussion se déroula là-haut dans un bruit de tonnerre, toujours est-il qu’après ce tonnerre une pluie diluvienne s’abattit sur l’impasse qui fut totalement inondée, l’eau entrait dans toutes les maisons, les gens couraient de partout pour colmater les ruisseaux, pour vider l’eau de leurs logements, mais en vain. Tout allait disparaître sous ce déluge.
Du haut de son talus, Nemo les regardait, étonné de toute cette agitation et pas tellement mécontent. Mais au bout d’un moment tout le monde le vit, là-haut, protégé de l’inondation, ils se tournèrent vers lui qui ressemblait à un ange protecteur, ou vengeur, allez savoir. Alors il leur fit de grands signes pour qu’ils montent s’abriter dans son domaine. Tout le monde se précipita. On vit même des chrétiens aider des fatmas à escalader le talus, des Arabes porter dans leurs bras les petits enfants, musulmans ou chrétiens, peu importait. Et les « sans-dieu » ne furent pas les derniers à aider. Dans la cabane, assez vaste pour tous les contenir, Nemo servit le café et ses réserves de biscuits, alluma un feu pour que tout le monde se sèche.
Et la pluie cessa brusquement, l’eau se retira très vite de l’impasse tandis qu’apparut un bel arc-en-ciel, signe de la paix du ciel qui dépose son arc. Et depuis lors, vous l’aurez deviné, l’impasse Adiexode devint le lieu de paix et de convivialité de la ville dont tous avaient été exclus. Personne n’imaginait qu’elle soit une impasse.
Et le dieu des bons chrétiens, ainsi que celui des Musulmans, n’eut plus besoin de la visite hebdomadaire de Nemo.
Lucien Grémaud
Source : https://www.famille.centremazenod.org/un-petit-conte-de-l...
GARRIGUES ET SENTIERS, Espaces de liberté, de foi et de réflexion chrétiennes
01/07/2021
PASSION FRANCAISE
Publié le 1/07/2021
Le constat ne peut guère être discuté ; ces deux derniers dimanches de juin, les Français et les Françaises ont voté, même si deux sur trois l’ont fait avec leurs pieds et non en glissant un bulletin dans l’urne. Le peuple français est un peuple trop politique depuis trop longtemps pour que l’on puisse attribuer à une prétendue « fatigue démocratique » un si ample mouvement d’abstention. Et, s’ils ne sont pas allés voter, c’est qu’ils avaient de bonnes raisons politiques de ne pas le faire : ça ne les intéressait pas.
La première conséquence de cette abstention a été de reconduire les sortants ; résultat logique d’un scrutin qui n’a suscité ni haines ni passions. Après tout, les exécutifs régionaux et locaux n’ont sans doute pas démérité dans la sphère d’exécution et d’initiative qui est la leur. Car là se trouve l’une des vérités de cette élection : les régions françaises ont « déconcentré » le pouvoir mais elles ne l’ont certainement pas « décentralisé ». Soyons lucides, la gestion des lycées et celle d’une part des transports ou des déchets sont certainement des questions importantes mais elles ne déchaînent pas les passions politiques. Pour le reste, les régions et les départements soutiennent des orientations qui sont initiées et financées « au centre ». À quoi il faut ajouter que la réforme de 2015 a constitué de grandes régions dont beaucoup n’ont pas – pas encore – d’identité historique et culturelle.
Les électeurs et électrices ont donc snobé un scrutin « sans importance », se réservant pour la mère de toutes les batailles, la présidentielle, cette passion française. On peut bien déplorer la focalisation de la politique sur ce moment-là, les experts peuvent expliquer à quel point le phénomène est pervers, on adore ça. Du sang, des larmes, des traîtres, des rebondissements, du suspens. Pourquoi s’en priverait-on, d’autant que c’est nous qui pour l’essentiel choisissons les acteurs, écrivons le scénario et surtout décidons de l’issue. Pourquoi s’infliger le documentaire insipide des régionales et départementales alors que l’année qui vient nous promet une superproduction ?
Allez, encore un tout petit peu de patience, le casting est déjà en cours, le spectacle va commencer.
Christine Pedotti
28/06/2021
LIBERTE, LIBERTE CHERIE !
La chronique de Guillaume de FONCLARE
Liberté, liberté chérie !
Cette antienne résonne dans ma tête depuis que les dernières mesures de couvre-feu ont été levées, et que nous pouvons à nouveau circuler à visage découvert dans les rues, boulevards et avenues de nos métropoles. Ce vers de notre hymne national (sixième couplet) prend une dimension nouvelle en ces temps de libération, alors que les libertés publiques reprennent place en notre belle démocratie. D’aucuns de prétendre, un peu abusivement il me semble, que nous sommes à l’aube d’années folles, à l’image de celles qui ont succédé à la fin de la Première Guerre mondiale. Nous n’avons pas connu la guerre, et le chiffre des morts n’égale pas, et de loin, celui des victimes du premier conflit mondial. Certes, la pandémie, si tant est qu’elle soit derrière nous, a été éprouvante, éprouvante pour nos anciens, éprouvante pour tous ces jeunes isolés et dépités, mais elle n’est pas à l’aune d’une confrontation guerrière.
Il n’en demeure pas moins que nous avons retrouvé le plaisir de vaquer comme bon nous semble, bas les masques, retrouvé la joie de partager des moments de convivialité à la française dans nos bars et restaurants, retrouvé la possibilité de célébrer la musique ensemble, à l’unisson. Et pourtant, ce sentiment de liberté si particulier, si intimement lié à notre organisation démocratique, il nous paraît si naturel que nous en oublions un peu vite qu’il est tout à fait original à l’échelle de notre planète, rare et à préserver coûte que coûte. Le taux d’abstention des élections régionales démontre une usure, une lassitude des citoyens qui doit interpeller les consciences. Nous qui nous réjouissons de pouvoir, à nouveau, exercer pleinement nos droits à circuler et à nous réunir sans contraintes, nous délaissons les urnes, nous abandonnons notre devoir civique à l’abstention, remisant dans les oubliettes de la négligence notre liberté à choisir nos représentants, liberté conquise de haute lutte par ceux qui nous ont précédés, et qui ont parfois payé du prix fort cette conquête collective. Nos aïeux ont cru qu’en établissant la République, il permettrait à chacun, par son droit de vote, de peser sur le destin de tous. Il faut convenir que nous avons perdu le sens de cette leçon, et que notre système est à un point de rupture.
Ce parallèle entre le déconfinement général et les élections locales peut paraître osé. Il ne l’est pas, pourtant, car, privés de libertés essentielles pendant presque un an, nous avons pu mesurer ce qui doit compter en termes de droits fondamentaux, et l’attachement à la démocratie aurait pu, aurait dû en sortir grandi. Le fait que ce ne le soit pas n’est pas un épiphénomène ; c’est une révolution en devenir. Le fossé entre les citoyens et ceux qui sont censés les représenter s’est tellement creusé qu’il a désormais tout du gouffre. À qui la faute ? Aux politiques eux-mêmes, qui ont si facilement tendance à nous infantiliser ? Aux citoyens, qui n’ont plus conscience des atouts qu’incarne le système représentatif et qui oublient un peu vite que vivre en démocratie est une chance auguste ? Je ne saurais le dire. Néanmoins, si l’on s’intéresse à l’actualité internationale et à l’histoire de notre planète, je regrette amèrement qu’on ne se compare pas davantage à tous ceux dont les cris sont étouffés par la censure et la répression. Eux mesurent ce qu’être privé de liberté veut dire. Et nos atermoiements collectifs les laissent sans doute pantois.
Voter, c’est choisir. Et à ces élections, le panel de choix était immense. Refuser de voter, c’est montrer sa volonté de refuser de choisir. Je le comprends, et j’en comprends partiellement les raisons. Beaucoup de promesses nous ont été faites, et peu ont été tenues au cours de ces dernières décennies. Cela ne doit pas empêcher l’espoir de demeurer vivace, et de s’intéresser à la chose publique. C’est à nous de faire entendre la voix du changement, et de mener le combat pour maintenir nos privilèges démocratiques, sociaux, républicains. Je ne suis pas un censeur, simplement un citoyen qui réfléchit, qui s’inquiète, et qui attend un sursaut qui ne vient pas. Non, ami lecteur, je ne jette la pierre à personne ; je m’interroge pourtant sur notre désir commun de vivre ensemble, dans une société libre et démocratique, et je me questionne sur notre détermination à construire main dans la main un destin collectif. Alors, oui, plus que jamais, chantons notre amour sacré de la Patrie. Liberté, Liberté chérie !
Journal LA CROIX 28 06 2021
23/06/2021
RESSENTIMENT
Publié le 17 juin 2021
par Christine Pedotti
Il faut revenir sur l’épisode de la gifle infligée au président de la République lors de son déplacement la semaine dernière. D’abord, pour lui donner raison sur le fait qu’il ne faut pas en exagérer la portée. En effet, tout homme ou femme politique se sait être une cible potentielle. Et qu’est-ce qu’une gifle comparée à l’attentat du Petit-Clamart contre Charles de Gaulle – 150 balles tirées, 14 atteignant le véhicule.
Plus intéressants sont les réactions et commentaires à l’évènement, lesquels dénoncent une « montée de la violence » en politique. Le rappel des attentats d’autrefois montre que la violence a toujours existé. Et pourtant, nous avons le sentiment diffus et certain que nous sommes entrés dans des temps brutaux. Il est vrai que le mouvement des gilets jaunes s’est singularisé par des scènes de violences urbaines dont le but avoué était d’atteindre le cœur de l’État ; il a fallu barricader l’Élysée, une porte de ministère a été défoncée, la préfecture a été incendiée au Puy-en-Velay, et de nombreux élus de la majorité ont été pris à partie jusqu’à leur domicile tandis que leurs permanences étaient mises à sac. Une montée de la violence policière contre les manifestants y a répondu. Mais, là aussi, un peu de profondeur historique nous rappellerait que les années 1970 connurent des niveaux de brutalité bien supérieurs avec des lois dites « anticasseurs » et les attentats d’Action directe.
La violence est-elle aujourd’hui plus « commune » ? Sans doute, les réseaux sociaux permettent-ils à monsieur et madame tout-le-monde de se croire plus écoutés et entendus qu’ils ne l’étaient autrefois au Bar du commerce ou devant la machine à café. Les mots « pour rire » dépassent la pensée. On se moque en traitant le président de « tête à claques »… et voilà qu’il en prend une. Ce passage à l’acte presque « impensé » est aussi ce qui a caractérisé l’assaut du Capitole en janvier dernier à Washington.
Finalement, c’est peut-être l’analyse de Cynthia Fleury, interrogée dans TC cet hiver, qui est à la fois la plus pertinente et la plus inquiétante. Elle voit se lever « l’homme du ressentiment », rassasié de jalousie et d’amertume, levain du fascisme.
Il est certes naturel d’être irrité, agacé, et même « en colère » ; reste que Camus a toujours raison : « Un homme, ça s’empêche. »
Christine Pedotti