13/11/2022
LE JUSTE ENRACINEMENT - FREDERIC BOYER écrivain -
LA CROIX hebdo samedi 12/11/2022 - CHRONIQUE
Frédéric BOYER - écrivain
La confusion règne chez bien des catholiques qui dénoncent le soi-disant « multiculturalisme » de l’Église (celle de François), face à la crise migratoire et identitaire. L’Église devient alors instrumentalisée et érigée en gardienne des traditions nationales et culturelles, pour dénoncer le « métissage » du monde, alors même que nous entrons dans une ère radicalement nouvelle de l’Histoire où notre responsabilité commune devant les crises et les catastrophes, d’ores et déjà présentes, devrait nous conduire à repenser notre rapport au monde et à autrui selon les « aspirations chrétiennes » (ce mot convient plus que valeurs, disait Simone Weil) de la charité et de l’espérance. Catholiques, nous devons faire preuve de courage et d’invention dans l’anamnèse de notre utopie chrétienne. Le repli sur des identités épuisées, malades et souvent fantasmées, n’est pas une solution mais un remède pire que le mal.
Rappelons que la Torah et nos Bibles s’ouvrent non pas sur la création d’un peuple ou d’une nation mais sur la Création universelle, placée sous la responsabilité harmonieuse de l’humanité. Si nous avons le devoir de nous « multiplier » sur toute la terre, nous avons aussi celui de ne pas verser le sang. L’un ne peut être honoré sans l’autre. Et j’ajouterais : de ne pas inverser la Création en détruisant le monde créé. Le Dieu de la Bible est le Seigneur de toute la Création et de toute l’humanité, jamais le Seigneur de quelques-uns. Il appelle Abraham, et sa descendance après lui, à une alliance particulière, mais au service de toutes les « familles de la Terre » (« En toi seront bénies toutes les familles de la Terre », Gn 12, 3). Le particularisme de l’élection s’entend au service de l’universalisme du salut qui s’étend à tous et à la Création comme « Terre » où vivre ensemble. Sans cela, notre « élection » n’est qu’un mensonge. Et l’universalisme ne peut être que celui du respect et de l’amour de tous et de chacun. Sans cela, notre « universalisme » n’est qu’un mensonge. Pour nous, chrétiens, des formes institutionnelles de souveraineté partagée ne peuvent constituer une menace pour les peuples et les nations, mais au contraire permettre la garantie d’identités diverses au service du « monde commun ». Les chrétiens espèrent la cité céleste à venir comme le lieu et le temps de la réconciliation des nations antagonistes. Cette utopie spirituelle et politique est notre aspiration.
C’était le sens de l’appel de Jean XXIII dans Pacem in terris (1963) en faveur d’une autorité mondiale indispensable pour gérer le bien commun de l’humanité. Qui ne nous appartient pas comme une conquête ou un dû mais est placé sous notre responsabilité infinie. Le trésor de l’enracinement de l’humanité dans des terres, des traditions, des cultures, ne pourra jamais être l’alibi des guerres et des exclusions, sous peine d’être un remède pire que le mal contre lequel il prétend lutter. Cet enracinement ne s’entend que s’il devient le socle du partage et de la responsabilité de tous pour chacun. « Un chrétien, affirmait Simone Weil, ne devrait pouvoir en tirer qu’une seule conclusion : c’est qu’au lieu qu’on doit au salut de l’âme, c’est-à-dire à Dieu, une fidélité totale, absolue, inconditionnée, la cause du salut de l’État est de celles auxquelles on doit une fidélité limitée et conditionnelle » (L’Enracinement). En reprenant Simone Weil aujourd’hui, les chrétiens ont le devoir de lutter contre le déracinement des êtres et celui de la Création parce que de cette lutte dépend notre propre enracinement dans la vie créée et au service de tous. Et abandonner les besoins des autres et du monde sous prétexte que mes propres besoins particuliers seraient menacés ne sera jamais le juste enracinement, mais une impasse sanglante.
31/10/2022
MANIFESTATION ORGANISEE PAR LE PEUPLE PALESTINIEN DEVANT LE PARLEMENT EUROPEEN - JACQUES GAILLOT
12/10/2022
FIN DE VIE - Mgr ULRICH EXORTE LES PARLEMENTAIRES A AIDER A VIVRE
Reportage Une petite soixantaine d’élus de la République ont assisté, mardi 11 octobre, à la messe de rentrée des parlementaires en la basilique Sainte-Clotilde, à Paris. Une cérémonie présidée par l’archevêque de Paris qui a invité à défendre une « aide à vivre ».
Antoine d’Abbundo, le 12/10/2022 à 06:44
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Il est 18 h 50, ce mardi 11 octobre, quand le grand orgue de la basilique Sainte-Clotilde fait gronder sa voix, pressant les derniers retardataires de rejoindre leurs places réservées face au maître-autel : aux premiers rangs, les élus et les responsables municipaux de Paris ; à gauche, les sénateurs ; à droite, les députés venus en voisins de l’Assemblée nationale. Ils sont une soixantaine ou à peine plus à s’être déplacés pour assister à la traditionnelle « messe d’action de grâce pour les responsables politiques », célébrée cette année en mémoire de saint Jean XXIII, le soir anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II il y a soixante ans.
Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris depuis avril dernier, qui préside pour la première fois la cérémonie de rentrée des parlementaires veut voir en ce jour anniversaire « un signe important ». « Cet événement manifeste le désir et la capacité de dialogue de l’Église au milieu du monde que nous célébrons aujourd’hui », lance-t-il avec enthousiasme dans son message d’accueil de l’assemblée.
Fin de vie
Cette volonté de dialogue, les évêques de France n’ont cessé de la manifester, malgré leurs inquiétudes, depuis que le président Macron a décidé de lancer un grand débat national sur la fin de vie, préalable à une possible évolution de loi légalisant une « aide à mourir ». Depuis, les représentants de l’épiscopat ont saisi toutes les occasions pour alerter les autorités politiques et l’opinion publique sur le risque de « rupture majeure » qu’ouvrirait ce projet tel qu’il est envisagé par le Conseil consultatif national d’éthique dans son avis 139 publié le 13 septembre.
« Sans toujours être bien entendus tant l’Église est perçue comme un épouvantail et sa parole démonétisée, ressentie comme réactionnaire par une grande partie de la population mais aussi du personnel politique », se désole le père Marc Lambret, directeur du service pastoral d’études politiques. Ce qui n’est pas une raison pour désespérer. « Même si les digues de la raison semblent emportées par la vague d’affects et d’émotions qui verrouille le débat, même si nous sommes minoritaires, nous ne pouvons pas renoncer à défendre notre humanité », plaide-t-il.
Aide à mourir
C’est ce à quoi s’est employé, ce soir-là, Mgr Ulrich dans une homélie aussi courte que dense, appelant les élus de tous bords à endosser leurs responsabilités « de bergers du troupeau », dans une référence biblique. « Dans le débat qui s’annonce sur la fin de vie, nous devons nous souvenir que l’appel à une plus grande fraternité est un appel à aider à vivre (…). Demandons à tous, chrétiens ou non, de ne pas faire en sorte que pour les malades ou les vieux, l’aide à mourir ne soit pas la seule issue. Faisons entendre la voix de ceux qui accompagnent, apaisent et permettent d’espérer de nouveau au moment de partir (…). Non pas pour s’engager dans un combat idéologique, mais comme une prière. Parce que le Seigneur nous appelle à cela. »
Après l’envoi, sur le parvis, les réactions des quelques élus interrogés par La Croix montrent que le message a été reçu par la petite assemblée. « S’il s’agit de légaliser l’euthanasie comme l’avait proposé Olivier Falorni en avril 2021, ma position est connue : je suis résolument contre. Mais ils n’iront pas, du moins je l’espère, jusqu’à cette extrémité », veut croire Marc Le Fur, député LR des Côtes-d’Armor.
Faible développement des soins palliatifs
Son collègue Vincent Bru, élu MoDem des Pyrénées-Atlantiques, se déclare prêt à un débat qu’il juge nécessaire. « Beaucoup de mes administrés m’ont dit qu’il fallait faire quelque chose car il y a encore trop de souffrances non prises en compte à cause d’un trop faible développement des soins palliatifs en France. J’entends ce cri légitime, mais je reste attaché à la vie, au sens de la vie. Il nous faudra trouver le chemin étroit pour avancer. Puis chacun votera selon sa conscience », explique-t-il.
Laure Lavalette, élue RN du Var, veut rester optimiste. « Marine Le Pen s’est toujours prononcée contre l’euthanasie, mais sur un sujet aussi sensible et intime, je pense qu’il n’y aura pas de consigne de vote. Pour ma part, je suis persuadée que la loi aura l’avantage de remettre les soins palliatifs au milieu du village. Or, aujourd’hui encore, 30 % des départements n’en ont pas. Les gens veulent mourir sans souffrir. Il faut les accompagner vers cela. »
Mais ces prises de position sont à relativiser. « Les élus qui restent attachés à la défense de la vie, par leur foi ou leurs convictions philosophiques, restent une minorité, rappelle le père Marc Lambret. Ce que je constate dans la classe politique, c’est une lente érosion du sens des responsabilités au profit de prises de position qui consistent à conduire le peuple là où il veut aller. De ce point de vue, on n’est pas loin de la démagogie. »
À lire aussiFin de vie : « Une fraternité de mort cohabiterait avec une fraternité de vie ? »
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06/10/2022
SPORT:LE STADE MORAL
Photo : Kremlin.ru, CC BY 4.0, via Wikimedia Commons
Les stades sont-ils nos nouvelles cathédrales et le sport une nouvelle religion ? La question se pose face à l’émoi que provoquent tout à coup la tenue du Mondial de football au Qatar ou l’attribution, au premier abord totalement surréaliste, de l’organisation des Jeux asiatiques d’hiver de 2029 à l’Arabie saoudite. Oui, vous avez bien lu, des jeux d’hiver, avec de la neige et de la glace. Les organisateurs précisent que la température descend sous zéro en hiver et que le complexe sportif sera écologiquement respectueux. On découvre cependant que cette station géante sera ouverte toute l’année… et surtout que, si sa situation géographique l’expose un peu au froid, en revanche la neige, elle, sera totalement artificielle.
Si on revient au foot et au Qatar, la question est celle de l’acceptabilité morale d’un événement qui a demandé la construction d’infrastructures, stades et hôtels, par une main-d’œuvre de migrants mal payée, à peu près sans protection sociale ou juridique. Les chiffres sont sujets à discussion mais le nombre de morts liés aux conditions de vie et de travail est de plusieurs milliers. Plus d’une dizaine de grandes villes françaises semblent le découvrir et, se drapant dans une tardive vertu, décident de ne pas installer de lieux munis d’écrans géants pour accueillir les fans, ceci afin de montrer leur réprobation. On a envie de dire qu’il est un peu tard, et que le geste n’est pas coûteux. Les matchs auront lieu du 20 novembre au 18 décembre et le climat chez nous ne sera guère propice aux rassemblements de plein air.
On peut aussi rappeler que le précédent Mondial, qui a vu la victoire de la France – Cocorico ! –, s’est tenu dans la Russie de Poutine en 2018, laquelle avait déjà envahi la Crimée et une partie du Donbass sous couvert de milices séparatistes, ce qu’en bons tartuffes nous n’avons pas voulu voir.
Alors, morale ou pas morale ? Quel rapport instaurer entre les compétitions sportives, la défense des droits humains, la vigueur de la démocratie ou le respect de l’environnement ? Et les salaires des footballeurs ? Est-ce un sujet ?
Si on pense que le sport mondialisé peut faciliter la communion entre les peuples et la paix entre les nations, il va falloir répondre à ces questions.
Christine Pedotti
28/09/2022
FIN DE VIE : LES EVÊQUES EXPRIMENT LEUR INQUIETUDE DEVANT LE PRESIDENT MACRON
Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, et le père Hugues de Woillemont, secrétaire général, ont été reçus mardi 27 septembre à l’Élysée par Emmanuel Macron. Le sujet de la fin de vie a été au cœur des discussions.
FIN DE VIE
« Nous avons pu redire notre inquiétude devant ce projet de loi sur la fin de vie. » Reçu mardi 27 septembre à l’Élysée par Emmanuel Macron avec Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), le père Hugues de Woillemont, secrétaire général, confirme que le thème de la fin de vie a été au cœur des échanges.
« Volonté d’un débat ouvert »
Le président de la République a émis le souhait, devant les représentants de l’épiscopat, « de ne pas diviser la société » avec un tel sujet, rapporte Hugues de Woillemont. « À ce stade, que ce soit la ministre Agnès Firmin Le Bodo, que nous avons rencontrée lundi 26 septembre, ou le président, nous entendons de leur part la volonté d’un débat ouvert, souligne le secrétaire général de la CEF. Nous leur faisons crédit et nous aurons à le vérifier dans les prochaines semaines. »
Cette rencontre avait lieu deux semaines après la publication de l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui a jugé qu’une « aide active à mourir » pourrait s’appliquer en France, « à certaines conditions strictes ». Et quelques jours après les propos du président de la commission des lois, Sacha Houlié, dans les colonnes de La Croix, selon lequel le Parlement se réserve le droit de faire voter la loi quand bien même la convention citoyenne dirait non à la légalisation de l’aide active à mourir.
Devant un président de la République décrit comme à l’écoute et prenant des notes, les représentants de la CEF ont défendu le développement et la promotion des soins palliatifs. Selon Mgr Éric de Moulins-Beaufort, le chef de l’État « partage cette inquiétude-là, globalement, mais il insiste sur la nécessité aujourd’hui de réfléchir au cas des personnes conscientes mais atteintes d’une maladie incurable, qui, librement, après en avoir parlé à leur famille et avec l’accord des médecins, estiment qu’elles n’ont pas envie de vivre les derniers mois qu’il leur reste ».
Reprenant leur argumentaire développé dans une tribune dans le journal Le Monde, la délégation de la CEF a exprimé sa « volonté que la société tout entière donne un signe d’aide à vivre et non pas d’aide à mourir ». « Nous pensons que ce n’est pas par la technique que nous pouvons résoudre cette inquiétude que nous avons tous devant la mort, mais à travers davantage de fraternité », souligne le père de Woillemont. En revanche, les modalités que pourrait prendre la mobilisation de l’Église, opposée à la légalisation du suicide assisté ou de l’euthanasie, n’ont pas été abordées.
Outre la fin de vie, les échanges au cours de cet entretien, qui faisait suite à une lettre de Mgr de Moulins-Beaufort au moment de la réélection d’Emmanuel Macron, ont également porté sur la situation internationale. Les représentants de l’épiscopat ont notamment évoqué leur déplacement à Kiev, du 16 au 19 septembre ; ainsi que les suites du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), « en particulier avec le déploiement des instances de reconnaissance et de réparation de la CEF et de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) ».
27/09/2022
IRAN:LA REVOLTE DES FEMMES
15/09/2022
LA DIGNITE, L'INCARNATION ET LA DEMOCRATIE ...
Photo : Bibliothèque et Archives Canada, CCBY20, via Wikimedia commons
On peut hausser les épaules devant le déferlement ininterrompu d’images et de commentaires qui fait suite au décès de la reine Élisabeth II et à sa succession par son fils désormais roi, Charles III. Il y a pourtant là matière à méditer très sérieusement. Cette antique monarchie parlementaire, dont les usages se sont forgés au long des siècles, a strictement séparé deux pôles du pouvoir ; celui de la représentation, de l’incarnation, tenu par un ou une monarque, visible et muet·te, et celui du gouvernement, soumis aux mouvements du temps et de l’opinion et contrôlé démocratiquement. On a vu ainsi cohabiter l’excentrique Boris Johnson avec sa tête de balai O’Cedar, hâbleur et menteur, et la très digne souveraine Élisabeth. Nulle part ailleurs que chez nos voisins anglais ces deux pôles ne sont aussi visiblement et strictement séparés.
On peut oser la comparaison avec la papauté, elle aussi entourée d’un faste suranné. Même si les flabella en plumes d’autruche et la tiare ont disparu, il reste les gardes suisses, qui n’ont rien à envier aux horse-guards. Quant au Vatican, il est largement à la hauteur du palais de Buckingham. Pourtant, l’idée nous vient que les papes, ces dernières décennies, ont perdu quelque chose. Au XIXe siècle, l’essayiste anglais Walter Bagehot écrivait à propos de la monarchie : « Le mystère est sa vie. Nous ne devons pas laisser entrer la lumière du jour sur la magie. »
Pouvons-nous supporter qu’il n’y ait plus aucune magie dans la représentation du pouvoir ? À moins qu’il ne faille à la fois la transparence de la démocratie et la « magie » claire obscure de l’incarnation de l’autorité.
Les papes, depuis cinquante ans, sortent du Vatican et parcourent la terre entière. Ils effacent une part de la « magie » qui les entourait, mais, en contrepartie, il n’y a dans l’Église catholique aucune forme de démocratie. L’administration vaticane est toujours aussi opaque, les synodes toujours aussi verrouillés, et ce n’est pas mieux au niveau local. Les curés, surtout les plus jeunes, se prennent pour des élus de droit divin, espérant tirer à eux un peu de magie.
Bref, il y a peut-être une leçon anglaise à tirer et de subtils équilibres à trouver : l’autorité peut s’incarner et même se célébrer dans des formes solennelles d’autant plus que le pouvoir, lui, est régi par un État de droit réellement démocratique.
Christine PEDOTTI
publié le
02/08/2022
DU BON CÔTE - MGR JACQUES GAILLOT
13/07/2022
"HALTE AU FEU !"
Tribune de Benoist de Sinety
sur le site Aleteia . fr
« Halte au feu !
Lorsque la mort frappe, surtout lorsqu’elle survient dans la violence du désespoir, il est normal de pleurer, de crier, de chercher à comprendre.
Ce qui ne l’est pas c’est de se heurter à un mur de silence qui s’érige immédiatement comme s’il s’agissait de protéger une institution - dans le cas du P François de Foucauld, l’Eglise - en donnant du coup l’impression forte qu’elle a beaucoup à se reprocher.
C’est ce réflexe devenu quasi névrotique qu’il serait sans doute bon designer et de nommer: personne n’a ni le devoir ni la mission de sauver l’Eglise. A moins de transformer l’Eglise en secte.
Quelle que soit la hauteur de la mitre, nul ne peut, sain d’esprit, imaginer réparer les dégâts causés par le péché dont des membres du corps se sont rendus complices.
Il n’est plus possible aujourd’hui, et en fait il ne l’a jamais été, de décréter que « tout peut rentrer dans l’ordre » sans évoquer le mécanisme qui a conduit à la catastrophe, la responsabilité de ceux qui y ont pris part et de demander pardon pour les conséquences que cela a entraîné.
Or ce mécanisme est connu: il découle de la mission même qui est demandée à ceux qui reçoivent une charge pastorale.
Parce qu’on y mêle à la grâce sacramentelle l’exercice de pouvoirs temporels, comme si cela allait de soi, comme si la prière pouvait à elle seule suffire à garantir la capacité. Quel que soit le degré de cette responsabilité, il est irresponsable de laisser de pauvres hommes seuls face à une attente surhumaine. Où on les conduit au découragement, ou à la toute puissance.
Ce que l’on reproche à l’Etat : refus des corps intermédiaires, considérer qu’il a, à lui seul, la solution à tout et que la fin justifie les moyens; ne voyons-nous pas que les mêmes maux sont à l’œuvre dans l’Eglise?
Jusqu’à une époque récente la pratique du silence et de l’arrangement était de mise pour les délits et crimes sexuels: on soupirait fort devant l’incapacité du clerc à se contenir et puis on trouvait une solution pour ne pas écorner de trop l’autorité de l’Eglise, qui se devait d’apparaître toujours virginale et pure, comme si Jesus n’aimait que des créatures sans failles et sans défauts…
Et puis nous nous sommes décidés à accepter d’écouter ceux que nous trouvions suspects par principe: psychologues, psychiatres, sociologues, ainsi que les victimes qu’ils essayaient de soutenir.
L’insistance de ces victimes a d’abord agacée. Les mêmes qui soupiraient devant les pulsions incontrôlées de leurs confrères, s’exaspérèrent de ces cris que rien ne parvenaient à faire taire: ni les appels à la conversion, ni les menaces, ni les discours « raisonnables »…
Et puis il y eut la CIASE. Sans pour autant éviter que quelques quarterons de défenseurs auto-proclamés de l’Institution ne jugent bons de chercher à en discréditer le rapport et les conclusions.
Nous voici désormais avec la question lourde des abus de pouvoirs. Ils sont réels: le nombre de personnes qui évoquent avoir souffert dans leurs paroisses, leurs communautés, leurs diocèses, d’évêques, de prêtres et de responsables est sans doute d’un ordre de grandeur terrifiant. Cela ne veut pas dire que tel ou tel corps soit, en soit, pire qu’un autre mais que l’exercice de la responsabilité doit être repensé, revu et réformé.
Qu’au Moyen Âge, ceux qui avaient la capacité de lire et d’écrire, qui détenaient ainsi les clés du savoir, puissent du même coup exercer dans la communauté humaine une responsabilité forte et sans beaucoup de contre pouvoir peut aisément se comprendre.
Ce qui m’interroge c’est de voir qu’il nous est encore assez naturel à nous, clercs, de penser que cela va aujourd’hui de soi. Que le fait d’avoir reçu l’onction sacerdotale, ou épiscopale, suffit à justifier de prendre toutes sortes de décisions sans que puisse s’exercer un véritable contre pouvoir autre que des conseils qui n’ont rien de coercitifs et où, la plupart du temps, la volonté du chef est appliquée sans sourciller.
Comment éviter alors que celui qui commande ne devienne vite incapable d’entendre et de recevoir une parole autre que la sienne avec, chez certains, les risques d’une vraie dérive morale? C’est ce qu’exprimait le P François de Foucauld dans sa tribune devenue connue de tous en démontrant le processus de mise sur la touche et d’élimination du jeu de celui dont la voix perturbe les règles tacitement admises.
C’est ce qui explique aussi le départ silencieux de bien des baptisés qui n’acceptent pas d’être ainsi infantilisés dans leur vie de foi par des hommes auxquels ils reconnaissent d’autres compétences que celles dont ces-derniers se réclament.
Sans nier l’importance que chacun assume les responsabilités de ses actes ou de ses décisions, il est urgent de crier le « halte au feu ». Car rien ne se réglera dans la recherche de boucs émissaires.
L’appel à la synodalité est sans doute le moment de mettre à plat un certain nombre de systèmes pervers. Le moment de nous parler comme on le fait en famille, non en laissant la parole à ceux que l’on respecte le plus mais en laissant chacun s’exprimer, fors de la certitude que la parole du plus humble aura au moins l’autorité que l’on reconnaît d’emblée au puissant.
Bien malin qui pourra dire ce qu’il en sortira: l’Esprit seul peut nous guider. Cet Esprit dont il nous est dit que nous ne savons jamais complètement d’où il vient et où il va mais dont nous expérimentons au quotidien qu’il est la seule réponse aux violences de ce monde. A condition toutefois de nous laisser porter par lui sans déterminer d’avance le chemin qu’il doit emprunter. »
Père Benoist de Sinety
Curé de la paroisse St Eubert à Lille
Églises St Maurice, St Étienne et St Sauveur
01/07/2022
UNE INTERPELLATION
« Le fait qu’un grand pays ayant une longue tradition démocratique ait changé sa position sur cette question interpelle le monde entier. » C’est par ces mots que les autorités catholiques, au Vatican, commentent la décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer l’arrêt Roe vs Wade, qui, depuis 1973, assurait la légalité de l’avortement sur l’ensemble du territoire américain. Désormais, chacun des États de l’Union peut déterminer sa politique en la matière, jusqu’à choisir l’interdiction absolue. Quelques heures après la décision de la Cour, treize États l’avaient interdit et treize autres en prenaient le chemin.
Le Vatican a raison sur un point, c’est que cette décision interpelle, et en premier lieu, la démocratie. En effet, les juges de la Cour suprême des États-Unis ne représentent pas directement la nation. Ils sont normalement là pour protéger les droits constitutionnels des citoyens et citoyennes. C’est précisément là que le bât blesse. Écrite à la fin du XVIIIe siècle et amendée principalement au début du XIXe, la Constitution ne connaît pas « les citoyennes », lesquelles n’obtiennent le droit de vote que par la ratification du dix-neuvième amendement en 1920.
Dès lors, une lecture fondamentaliste et littéraliste permet aux juges de prétendre que le droit des femmes sur leur propre corps n’est pas garanti par la Constitution. Et ceci en dépit de cinq décennies de légalité de l’avortement et du soutien très majoritaire de l’opinion publique à l’arrêt Roe vs Wade.
Une petite minorité, riche, militante et agissante a donc eu raison, contre la majorité et la santé des femmes, surtout celles des femmes pauvres qui ne pourront pas aller avorter dans un autre État. Pauvres et… noires, intersection des malheurs.
Ne soyons pas dupes ; la question n’est pas celle du respect de la vie, contrairement à ce que le Vatican voudrait faire croire. La Cour suprême en a d’ailleurs fait la preuve, la veille, en interdisant aux États de restreindre le droit du port d’arme. Ce qui est en question, c’est le corps des femmes et le droit que les hommes s’arrogent de le soumettre et de le contrôler. Ici, il n’est pas question de morale, mais de politique. Et, si on soulève le voile prétendument pudique du respect de la vie, on trouve la grande peur , celle d’un grand remplacement, d’une guerre des ventres gagnée par les « autres » – Noirs, métis, musulmans. De quoi, en effet, être interpellés.
Christine Pedotti
Photo : Ted Eytan (CC BY-SA 2.0)